Coupe du Monde 2026 – Pascal Boniface : Le Maroc a l’avantage d’une candidature resserrée

La candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du Monde 2026 est entrée dans sa dernière ligne droite avec l’arrivée lundi, au Maroc, de la Task Force de la FIFA pour inspecter les installations du royaume. Les atouts du Maroc, les liens étroits entre les Etats-Unis et la FIFA sur la planète du « Foot business » et le sport en général, et le ballon rond en particulier comme instrument politique, ont été au centre de l’entretien accordé à Le1.ma par Pascal Boniface, géo-politologue français, fondateur et directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

Le1 : Que vous inspire la candidature du Maroc pour abriter la Coupe du Monde de 2026 alors qu’il y a toute une agitation autour notamment par rapport à la FIFA et sa dernière trouvaille de « Task Force », contestable et contestée ?

Pascal Boniface : Effectivement, il y a un ensemble Etats-Unis, Canada et Mexique qui, financièrement et démographiquement est beaucoup plus fort. On sait aussi que la FIFA a des liens avec les Etats-Unis et que pour des questions d’ordre financier et politique pourrait favoriser cette candidature américaine ; mais en même temps, il y a d’autres éléments qui peuvent jouer pour le Maroc. D’une part, le vote est libre et qu’effectivement il y a une crainte de la part du Maroc que le comité d’évaluation des candidatures ne présente qu’une seule candidature et pas celle du Maroc. Et si tel est le cas, ça serait un scandale dont la FIFA aurait du mal à se remettre et par conséquent, je ne pense pas qu’il y aura une seule candidature et que le comité d’évaluation puisse empêcher le Maroc d’être candidat.

A partir du moment où le Maroc sera candidat, ce seront toutes les fédérations nationales qui pourront voter et là ce n’est plus comme auparavant la direction de la FIFA qui a un poids définitif, ce sont bien chacune des fédérations.

Le1 : On appliquera le principe d’un vote, une voix ?

Pascal Boniface : Voilà, c’est ce principe d’un vote, une voix qui prévaudra. Il y aura 54 votes africains, 55 votes européens, etc. Et la compétition devient plus ouverte parce que chaque fédération va se décider en fonction de considérations nationales et non pas de pressions venant de la présidence de la FIFA. Et quand on regarde les candidatures, le Maroc a des atouts à faire valoir. D’une part, on peut se demander si la triple candidature, Canada, Etats-Unis, Mexique n’est pas trop vaste à l’échelle d’un continent et donc créer un peu l’absence d’unité sur la compétition. D’autre part, on peut penser qu’il peut paraître curieux que, de la part des Etats-Unis, de vouloir co-organiser une compétition tout en voulant construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique ; et on peut penser aussi que le Maroc a pour lui l’avantage d’une candidature plus resserrée, et d’être entre l’Asie et l’Europe qui ont, en terme de retransmission télévisée le plus grand nombre de spectateurs; et en même temps proche du continent africain. Le Maroc a aussi l’avantage d’être à la fois une nation arabe et une nation africaine et en même temps une nation musulmane, tout en ayant de bonnes relations avec le monde occidental.
Donc en fait, on peut dire que les choses ne sont pas faites à l’avance et que si les deux candidatures sont réellement bien présentées, le Maroc est loin d’avoir perdu d’avance à mon avis.

Le1 : Vous avez évoqué au début de l’entretien les liens étroits entre les Etats-Unis et la FIFA, on est donc en plein « foot-business » quoi ?

Pascal Boniface : Oui. On sait bien que la FIFA cherche à étendre son empire, ce qui est légitime, cherche à rendre le football plus visible possible, ce qu’on ne peut pas lui reprocher. Mais la visibilité du football peut aussi bien passer par un pays arabe et africain que par les Etats-Unis. Par conséquent, les deux candidatures me paraissent légitimes et il ne faudrait pas que du fait d’avoir perdu la candidature de l’organisation de la coupe du monde 2022, les Etats-Unis soient obligés de gagner celle de 2026.

Le1 : Surtout que l’Afrique ne l’a organisée qu’une seule fois…

Pascal Boniface : Voilà !

Le1 : Pour revenir au volet sport et politique, vous avez publié en 2014 un livre «La géopolitique du sport» à la veille de la Coupe du monde organisée au Brésil, là on peut dire aujourd’hui qu’on est en plein dedans ? Comme quoi le sport est un instrument politique ?

Pascal Boniface : Tout à fait. Mais disons que la Coupe du monde est l’un des événements les plus mondialisés, médiatisés et les plus retransmis. Donc, nécessairement, il y a des incidences géopolitiques très nettes à partir du moment où l’on organise un tel événement. Et il ya deux types de compétitions très différentes mais qui sont d’égale importance. C’est le fait de gagner l’épreuve et le fait de gagner le droit de l’organiser qui est tout aussi important.

Le Maroc aura déjà fait quatre tentatives, il en fit une cinquième et il ne serait pas anormal qu’il la réussisse cette fois-ci.

Le1 : Dernière question, pour rester dans l’actualité, en tant que politologue, les derniers événements en Syrie et le bras de fer Washington –Moscou, selon vous vous, peut on craindre une confrontation directe ?

Pascal Boniface : Je pense que chacun aura à cœur d’éviter une confrontation directe entre Russes et Américains qui aurait des conséquences géostratégiques incalculables et parfaitement catastrophiques.


Pascal Boniface : Football et mondialisation

Armé de ses analyses géopolitiques, de sa grande passion pour le ballon rond et de certains travaux sociologiques portant sur le sport en général, le football en particulier, Pascal Boniface a publié en 2010 un essai intitulé "Football et mondialisation", qui invite le lecteur à faire le tour de « la planète foot » et découvrir les paradoxes d’un empire populaire qui « ne connaît ni limites ni frontières » . À la fois « mondialisé et enraciné », l’auteur précise que le football peut être source de passions collectives destructrices ou vecteur d’intégration sociale et de fraternité entre les peuples.

Noureddine Boughanmi, journaliste polyglotte avec plus de trois décennies d'expérience dans différents supports marocains et étrangers. Passionné de littérature, d'actualité et d'art, il a interviewé, en français, en anglais et en arabe des dizaines d'acteurs politiques de renommée mondiale. Durant les années 1980 et 1990 il a roulé sa bosse entre la Tunisie, la France, l'Indonésie, l'Afrique du Sud avant de s'installer définitivement au Maroc

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