Le climat politique se durcit en Jordanie avec l’interdiction soudaine des Frères musulmans, longtemps tolérés malgré leurs tensions récurrentes avec le pouvoir. La mesure intervient dans un contexte régional tendu, où les autorités cherchent à contenir l’influence des mouvements islamistes et à renforcer la sécurité intérieure.
Le gouvernement jordanien a annoncé ce mercredi l’interdiction officielle des Frères musulmans, principal groupe d’opposition du pays, et la confiscation de l’ensemble de ses biens et locaux. Cette décision intervient après la découverte de liens présumés entre certains de ses membres et un complot de sabotage, selon le ministre de l’Intérieur Mazen Fraya, cité par Reuters.
Le mouvement, qui opérait légalement depuis des décennies et jouissait d’un ancrage fort dans les grands centres urbains jordaniens, n’a pas encore réagi publiquement. D’après les autorités, seize membres de la confrérie auraient été arrêtés la semaine dernière, accusés d’avoir été formés et financés depuis le Liban pour préparer des attaques à l’aide de roquettes et de drones sur le territoire jordanien.
« Toutes les activités du groupe sont désormais interdites. Toute personne promouvant son idéologie sera poursuivie conformément à la loi », a déclaré Mazen Fraya. Le ministre a précisé que la publication de contenus affiliés aux Frères musulmans était également proscrite, et que l’ensemble des bureaux et biens du mouvement avait été saisi.
Des unités de sécurité, agissant sur ordre du parquet, ont mené des perquisitions dans plusieurs locaux de l’organisation afin de récupérer des documents. Certains d’entre eux auraient été détruits ou déplacés, selon des responsables. Fraya a précisé que dans la nuit où les autorités ont révélé les détails du complot terroriste, des membres du groupe avaient tenté de dissimuler leurs activités en détruisant et en faisant disparaître des documents.
Dans une déclaration publique, le président de la Chambre des représentants, Ahmed Safadi, a affirmé que le Parlement soutenait toutes les mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur pour protéger la sécurité du Royaume. Il a accusé des «tentatives malveillantes dirigées de l’extérieur» de vouloir saper la stabilité de la Jordanie au service «d’agendas douteux». Safadi a souligné que le pays, malgré les défis, «restera fort et résolu à poursuivre sa trajectoire nationale, avec la volonté des Jordaniens et l’unité de leur front intérieur».
Dans la foulée, l’Autorité jordanienne de l’audiovisuel a diffusé une circulaire officielle, adressée à l’ensemble des médias autorisés du pays, ordonnant l’interdiction de toute diffusion, rediffusion ou publication liée à ce qui est qualifié de « soi-disant organisation des Frères musulmans ». Le directeur général de l’Autorité, Béchir Hassan Al-Moumani, s’est appuyé sur les lois en vigueur relatives à la presse et à l’audiovisuel, ainsi que sur un arrêt antérieur de la Cour de cassation (n°1203/2020), pour justifier cette interdiction formelle. Il a précisé que des sanctions légales seront prises à l’encontre des contrevenants.
Malgré les accusations, les Frères musulmans ont nié toute implication directe dans un complot, tout en admettant que certains membres pourraient avoir agi individuellement, notamment dans des opérations de contrebande d’armes vers la Cisjordanie.
Le mouvement islamiste, fondé en Égypte en 1928, est interdit dans plusieurs pays arabes où il est considéré comme une organisation terroriste. Ses partisans affirment cependant qu’il a depuis longtemps renoncé à la violence et milite pour une vision islamique de la société par des moyens pacifiques.
L’analyste politique Mohammed Khair Rawashdeh a qualifié cette décision de rupture définitive : « Il n’existe plus aujourd’hui aucune bannière portant le nom des Frères musulmans. C’est un divorce final entre l’État et le mouvement, après des décennies de relations ambivalentes entre intégration et tolérance prudente. »
Le bras politique du mouvement, le Front d’action islamique, était devenu le premier groupe parlementaire lors des élections de septembre dernier, bien que la majorité reste acquise aux partisans du gouvernement.
Le ministre Fraya a également révélé que le groupe préparait des attaques contre des cibles sensibles visant à « déstabiliser le pays », sans en préciser la nature. Les services de sécurité ont affirmé avoir découvert une fabrique de drones et un atelier de fabrication de roquettes, avec au moins un missile prêt à être lancé.
Dans un contexte de forte hostilité populaire envers Israël, les membres des Frères musulmans ont mené certaines des manifestations pro-Hamas les plus importantes de la région, renforçant leur popularité selon leurs détracteurs.
Depuis deux ans, la Jordanie restreint progressivement l’activité des islamistes politiques, interdisant certaines de leurs actions et arrêtant plusieurs figures de l’opposition. Les organisations de défense des droits humains dénoncent une intensification de la répression à l’encontre des voix dissidentes, ce que le gouvernement jordanien réfute, affirmant ne pas tolérer les incitations à la violence.