Blinken : «Les droits de l’homme sont l’un de nos principaux intérêts, mais ce ne sont pas les seuls»

La présentation du rapport annuel du département d'Etat américain sur les droits de l'Homme de 2022 a été un exercice de communication très délicat pour le Chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken. C'est probablement la première fois que Washington considère sérieusement les conséquences que pourraient avoir ce rapport sur le renforcement du front mondial anti-américain naissant, dirigé par le couple sino-russe.

Blinken l'a d'ailleurs avoué à demi-mot lors du point de presse du lundi : « Les droits de l'homme sont l'un de nos principaux intérêts, mais ce ne sont pas le seul. Et ma responsabilité est de m'assurer que nous faisons de notre mieux pour promouvoir tous nos intérêts, dans la mesure du possible ».

Le Chef de la diplomatie américaine, l'un des hommes forts de l'administration Biden a choisi le jour de la rencontre Xi Jinping et Vladimir Poutine à Moscou, ce lundi 20 mars 2023, pour présenter le rapport annuel de son département sur les droits de l'Homme au titre de l'année 2022.

Blinken a d'ailleurs entamé son point de presse en condamnant la visite du président chinois à Moscou en la qualifiant de couverture diplomatique de la Chine aux crimes de guerre de Poutine.

Il a ensuite enchaîné par la présentation du rapport mandaté par par le Congrès et qui offre une analyse de la situation des droits de l'Homme dans les 193 États membres de l'ONU.

Aussi bien durant son allocution que sur les documents publiés plus tard par l'administration américaine, le rapport des droits de l'Homme du département américain de l'année 2022 a réservé les critiques les plus sévères aux pays suivants et dans l'ordre :

1. Russie

Blinken a pointé du doigt la guerre à grande échelle menée par la Russie contre l'Ukraine depuis février 2022 qui a entraîné des morts et des destructions massives. Le département d'Etat américain fait référence aux rapports qui font état de crimes de guerre et d'autres atrocités commis par des membres des forces russes, notamment des exécutions sommaires de civils et des récits horribles de violences fondées sur le genre, y compris des violences sexuelles à l'encontre de femmes et d'enfants.

2. Iran

En Iran, Bliken affirme que le régime des Mollahs a réagi avec brutalité et violence aux manifestations pacifiques organisées dans tout le pays à la suite de la mort tragique de Mahsa Jina Amini alors qu'elle était détenue par la soi-disant «police des mœurs». Le rapport de cette année décrit en détail la répression violente du régime iranien et son déni continu des droits de l'homme universels et des libertés fondamentales du peuple iranien, y compris les libertés d'expression et de religion ou de croyance.

3. Chine & Myanmar

Au Xinjiang, en République populaire de Chine (RPC), le rapport décrit la poursuite du génocide et des crimes contre l'humanité à l'encontre des Ouïghours, majoritairement musulmans, et des membres d'autres groupes minoritaires ethniques et religieux.

En Birmanie, le rapport indique que le régime militaire continue d'utiliser la violence pour brutaliser les civils et consolider son contrôle, et qu'il aurait tué plus de 2 900 personnes et en aurait détenu plus de 17 000 depuis le coup d'État militaire de février 2021.

«Dans le cadre de nos efforts visant à garantir l'obligation de rendre des comptes en Birmanie, j'ai conclu en mars 2022 que les militaires avaient commis un génocide et des crimes contre l'humanité à l'encontre des Rohingyas, dont la plupart sont musulmans, réitérant ainsi les efforts des États-Unis visant à promouvoir la justice et l'obligation de rendre des comptes pour les abus subis par les Rohingyas et d'autres groupes minoritaires ethniques et religieux en Birmanie», a déclaré Blinken.

4. Afghanistan

Le rapport montre qu'en Afghanistan, les mesures oppressives et discriminatoires prises par les talibans à l'encontre des femmes et des jeunes filles ont été implacables. Aucun autre pays au monde n'empêche les femmes et les filles d'accéder à l'éducation, qui est un droit de l'homme internationalement reconnu.

Le décret des talibans interdisant aux femmes employées par des organisations non gouvernementales de travailler met en péril des dizaines de millions d'Afghans dont la survie dépend de l'aide humanitaire.

«Aucun pays ne peut parvenir à la paix et à la prospérité si la moitié de sa population est coupée de la société et de l'économie» précise Blinken.

5. Sud-Soudan

Le rapport souligne les crises prolongées en matière de droits de l'homme au Sud-Soudan où un flux constant de violence infranationale, combiné au manque de progrès du gouvernement de transition dans la mise en œuvre d'engagements attendus depuis longtemps, ont continué à causer la misère et la mort.

6. Syrie

Le rapport sur la Syrie décrit comment le régime continue d'emprisonner, de torturer et de tuer les opposants politiques, les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes. Plus de 154 000 personnes ont disparu ou sont injustement détenues par le régime, l'ISIS ( Daech ) et d'autres parties au conflit.

7. Cuba, Belarus, Venezuela

Des gouvernements autoritaires - comme ceux de Cuba, du Belarus et du Venezuela, entre autres - ont condamné des centaines ou des milliers de manifestants pacifiques à des peines de prison longues et injustes.

8. Cambodge

Au Cambodge, le rapport rapporte que des militants syndicaux «courageux» qui ont mené des centaines de personnes dans une grève pacifique pendant plus d'un an auraient été arrêtés, détenus et soumis à d'autres mesures visant à démoraliser les travailleurs et à faire taire leur voix.

Blinken : «Les droits de l'homme font partie d'une multiplicité d'intérêts»

S'exprimant au département d'État à l'occasion de la présentation du rapport 2002 sur les droits de l'Homme, le plus haut diplomate américain a été interrogé sur les raisons pour lesquelles les conclusions des rapports n'influencent pas toujours la politique étrangère des États-Unis.

«Que répondriez-vous à ceux qui diraient que malgré le contenu du rapport et malgré tout le travail qui y est consacré, les questions soulevées n'influencent pas suffisamment l'élaboration des politiques, en particulier lorsqu'il s'agit de pays où il est plus difficile pour les États-Unis d'avoir des discussions difficiles sur les droits de l'homme, comme l'Égypte, l'Arabie saoudite et Israël ? Quelle est votre réponse à cela ?» s'est interrogé Missy Ryan du Washington Post.

«Tout d'abord, nous avons ces discussions difficiles avec nos amis, nos adversaires et nos concurrents. C'est pourquoi - et le rapport lui-même l'indique très clairement - nous avons ces discussions difficiles avec nos amis, nos adversaires et nos concurrents» a rétorqué Blinken.

Et d'ajouter : «C'est pourquoi nous ne tirons pas à la courte paille avec qui que ce soit, car nous disons les choses telles que nous les voyons. Parfois, nous le faisons plus publiquement, parfois nous le faisons plus confidentiellement. Nous essayons de déterminer dans chaque cas comment nous pouvons, je l'espère, être les plus efficaces pour faire progresser les droits de l'homme et la dignité humaine.»

«Je pense donc que l'on peut dire, sans entrer dans les détails, que nous soulevons ces questions avec tout le monde - amis, adversaires, concurrents».

Après la notion de «difficulté quotidienne» du traitement du sujet des droits de l'homme avec l'ensemble des parties prenantes de Washington, le Chef de la diplomatie de l'administration Biden introduit un autre paramètre qui nuance «l'utilisation» de ce rapport dans ses relations stratégiques, à savoir : les intérêts des États-Unis.

« Comme nous travaillons de différentes manières avec différents pays, nous avons une multiplicité d'intérêts sur lesquels nous travaillons, et nous essayons toujours de déterminer comment nous pouvons les faire progresser le plus efficacement possible ». a-t-il déclaré.

«Les droits de l'homme sont l'un de nos principaux intérêts, mais ce n'est pas le seul. Et ma responsabilité est de m'assurer que nous faisons de notre mieux pour faire avancer tous nos intérêts», avoué le Secrétaire d'Etat américain.

Extrait de la réponse d'Antony Blinken à la correspondante du Washington post - 20/03/2023

Antony Blinken a même reconnu que son pays n'est pas parfait en matière de droits de l'homme. Soulignant que la différence réside dans le fait que le système de gouvernement américain accepte ces critiques et s'efforce activement de corriger les problèmes identifiés.

«Bien que ce rapport soit tourné vers les pays du monde entier, nous savons que les États-Unis sont confrontés à leur propre série de défis en matière de droits de l'homme» a-t-il déclaré.

«Notre volonté de relever ouvertement ces défis, de reconnaître nos propres lacunes - et non de les balayer sous le tapis ou de faire comme si elles n'existaient pas - est ce qui nous distingue des autres démocraties.»

Déclaration du Secrétaire d'Etat américain lors du point de presse du 20/03/2023

Cet aveu de Blinken a été repris par Erin Barclay, secrétaire d'État adjointe par intérim pour le bureau de la démocratie, des droits de l'homme et du travail, lorsqu'elle a été interrogée, sur un rapport rival sur les droits de l'homme et la démocratie aux États-Unis, qui a été publié par le ministère chinois des affaires étrangères lundi.

Lors de son point de presse habituel, le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Wang Wenbin, avait accusé les États-Unis de se livrer à une «politique de puissance et à la loi de la jungle» en appliquant à d'autres pays des sanctions économiques fondées sur les droits de l'homme, ce qui, selon lui, constitue une «grave violation des droits de l'homme dans d'autres pays».

Les responsables américains «accueillent toujours favorablement les critiques sur la situation des droits de l'homme dans notre pays», a répondu Barclay, «tant qu'elles sont crédibles et fondées sur des faits».

«Nous ne balayons pas nos problèmes sous le tapis», a-t-elle ajouté. «Nous sommes prêts à les mettre en lumière et à travailler pour les améliorer dans notre propre pays».

La realpolitik exprimée par Blinken a été suivie par des faits, au lendemain de la publication du rapport sur les droits de l'homme.

En effet, malgré les critiques que ce document contient sur la situation des Droits de l'Homme au Maroc, le ministre des affaires étrangère marocain Nasser Bourita à Washington s'est envolé le mardi 21 mars où il a été reçu par Antony Blinken lui même puis par le Conseiller à la Sécurité nationale des Etats-Unis, Jake Sullivan, ainsi que le Conseiller Spécial du président Biden et Coordinateur pour le Moyen Orient et l'Afrique du Nord, Brett McGurk.

«J'ai eu une réunion productive aujourd'hui avec le ministre des affaires étrangères de marocain, Nasser Bourita. Nous avons discuté de notre profond partenariat bilatéral fondé sur des intérêts communs de paix et de prospérité, y compris le rôle essentiel du Maroc dans la promotion de la stabilité dans la région», publié Blinken sur Twitter .

Blinken n'a pas ménagé ses alliés

L'administration Biden n'a pas managé ses proches alliés. Le rapport 2022 s'est penché également sur les violations des droits de l'homme commises par de proches alliés des États-Unis, tels que la France, le Royaume Uni, le Canada, Israël, l'Arabie saoudite et le Maroc.

France

Pour la France, le rapport a pointé du doigt les questions importantes en matière de droits de l'homme comprenaient des rapports crédibles sur des crimes impliquant des violences ou des menaces de violence contre des musulmans ; des crimes, des violences ou des menaces de violence motivés par l'antisémitisme ; et des crimes impliquant des violences ou des menaces de violence contre des lesbiennes, des gays, des bisexuels, des transgenres, des queers et des personnes intersexuées.

Le département américain a souligné la déclaration de RSF, publiée le 25 juin 2022, exprimant sa consternation face aux «méthodes disproportionnées et intimidantes» utilisées par les autorités judiciaires à l'encontre d'Alex Jordanov, un journaliste accusé d'avoir révélé des «secrets défense» dans un livre paru en 2019 sur l'agence de renseignement nationale, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Royaume-Uni

Le département américain a relevé quelques pratiques de traitements cruel et d'abus par certains fonctionnaires au Royaume-uni.

Dans une déclaration du 29 août, affirme le rapport, la Commission écossaise des droits de l'homme a indiqué que des préoccupations subsistaient concernant un large éventail de conditions de détention cruelles, inhumaines et dégradantes dans les prisons écossaises, notamment : la surpopulation, la ségrégation, le recours à l'isolement, les contraintes et les fouilles à nu dans les établissements pour jeunes délinquants, ainsi que des préoccupations croissantes concernant le bien-être social et mental des prisonniers ou des détenus.

Canada

Certains rapports font état d'agressions sexuelles et de harcèlement de détenues par le personnel pénitentiaire masculin au Canada. Certaines mesures prises par les prisons et les centres de détention pour lutter contre la propagation du COVID-19 ont suscité des inquiétudes en matière de droits de l'homme, souligne le rapport de Blinken.

Israël

Le département Blinken accuse l'Etat hébreu d'une série de violations des droits, notamment «d'exécutions arbitraires» de Palestiniens.

Arabie saoudite

L'Arabie saoudite, qui est accusée «d'exécutions extrajudiciaires», de «disparitions forcées et de torture».

Maroc

Sans surprise aucune, le rapport américain s'est attardé sur les cas dits de liberté d'expression que certaines ONG ont rapporté durant l'année 2022. Les cas du journaliste Soulaimane Raissouni, de l'avocat Mohamed Ziane et de l'activiste Saida Alami ont été cités.

Le rapport a également pointé du doigt le cas de corruption des frères Rachid et Jaouad El Fayak, élus et membres du Rassemblement national des indépendants (RNI), le parti au pouvoir dans le pays.

Jugés et condamnés à 6 et 3 ans de prison pour trafic d'influence et transfert illégal de terres, les deux frères ont été suspendus depuis du parti de Aziz Akhannouch, souligne le rapport.

Le département d'Etat américain reconnaît la transparence des élections de septembre 2021 qui a vu la déconfiture des islamistes du PJD, qui sont passé de 125 à 13 sièges à la Chambre des représentants.

«En septembre 2021, le pays a organisé des élections locales, régionales et parlementaires pour la Chambre des représentants. Bien qu'il y ait eu des allégations d'achat de votes et d'intimidation des candidats, les observateurs nationaux et internationaux ont considéré que les élections étaient généralement libres, équitables et transparentes.», souligne le rapport.

Par ailleurs, le rapport de Blinken salue l'absence d'antisémitisme manifeste au Maroc.

« La constitution reconnaît la communauté juive comme faisant partie de la population du pays et garantit à chacun la liberté de "pratiquer ses affaires religieuses". Les dirigeants de la communauté ont estimé la taille de la population juive à 3 500 personnes. Dans l'ensemble, il semble qu'il y ait peu d'antisémitisme manifeste et la communauté juive vit généralement en sécurité» affirme le rapport.

Enfin, pour la troisième année consécutive, le rapport annuel du département d’Etat américain sur les droits de l’Homme en 2022, consacre un seul chapitre au Maroc incluant son Sahara.

Cette tradition dans l’élaboration des rapports de la diplomatie américaine s'inscrit dans l’approche de Washington dans le traitement de la question du Sahara depuis la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses provinces du Sud en décembre 2020.

Risques de renforcement d'un front mondial anti-américain en constitution dirigé par la Chine et la Russie

La pandémie ne s'est pas contenté de dévaster la santé des Hommes, mais également leurs droits et leurs libertés. Une régression constaté dans le monde occidental développé avant même le reste du monde.

Le rapport des droits de l'homme annuel américain a toujours été un outil d'influence positif mondial, un challenge pour les pays en développement mais également, et nous ne voilons pas la face, un outil de pression de Washington et une arme privilégié de démocrates pour défendre les intérêts des États-unis.

Aujourd'hui, dans un monde où les leaders politiques les plus en vue sont Poutine, Erraissi, Jinping, Netanyahu et MBS on peut mal imaginer un avenir construit sur les droits universels que défend l'occident.

Il est très probable que durant les prochaines années, la survie des régimes et de l'ordre mondial ne supplantent les droits de l'Homme.

Sommet pour la démocratie présidé par Biden fin mars

Le président Biden accueillera le deuxième sommet pour la démocratie avec les gouvernements du Costa Rica, des Pays-Bas, de la République de Corée et de la République de Zambie les 29 et 30 mars 2023.

«Ensemble, nous mettrons en évidence les progrès considérables réalisés par les partenaires du sommet et l'importance de travailler ensemble pour relever les nombreux défis de la démocratie» précise le département d'Etat américain.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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