La récente visite de Bruno Le Maire au Maroc a marqué un tournant potentiel pour la coopération nucléaire entre la France et le Maroc, avec une proposition française de l'emploi de petits réacteurs modulaires (SMR). Cette technologie, que le président Emmanuel Macron envisage de déployer en France d'ici 2030, suscite désormais plus d'inquiétude que d'espoir.
Lors de sa visite à Rabat avec le Medef, Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie, désormais en charge de l'énergie depuis le remaniement de janvier 2024, a choisi la tradition énergétique comme nouveau carburant du couple franco-marocain et la coopération nucléaire comme gage de sérieux et d'engagement du Président Macron.
Le Maire a en effet fait une déclaration surprenante en annonçant l’accord du gouvernement français pour une coopération avec Rabat dans le nucléaire. Plus précisément, Les petits réacteurs modulaires, les SMR, dont Emmanuel Macron souhaite multiplier sur le territoire français.
Il s’agit, de micro-centrales de 10 à 20 MW, soit entre 0,6 et 1,2 % de la puissance d’un réacteur classique, qui peuvent être implantés directement chez de gros consommateurs de chaleur ou d’électricité, les industriels et les villes moyennes.
Les SMR sont loués pour leur capacité à s'insérer facilement dans des infrastructures existantes et pour leur flexibilité, étant particulièrement adaptés pour des applications comme le dessalement de l'eau, essentiel pour des pays confrontés à des défis hydriques majeurs comme le Maroc. Toutefois, comme le révèle une analyse critique publiée par le Canard Enchaîné, ces technologies ne sont pas tout à fait au point, pire encore, elles se sont dénuées de risques.
Selon des sources citées dans la publication française, les SMR, bien qu'avantageux par leur autonomie en cas d'incident (la réaction en chaîne peut s'arrêter d'elle-même), présentent des vulnérabilités significatives. Les incidents comme une oxydation du cœur du réacteur pourraient entraîner des conséquences graves, notamment des incendies ou des fuites radioactives. De plus, l'absence de technique éprouvée pour le traitement du combustible usé soulève d'importantes questions environnementales et sécuritaires.
Canard Enchaîné : « Mini réacteur, maximum d’esbroufe »
Le rapport du Canard Enchaîné souligne plusieurs points critiques concernant le projet des petits réacteurs modulaires, plus précisément ceux start-up Jimmy, dernier avatar des SMR, que Macron entend multiplier sur le territoire français et exporter à l'international.
Jimmy envisage d'installer son premier réacteur nucléaire miniature sur le site de Cristal Union à Bazancourt, qualifié de zone à haut risque industriel (Seveso seuil haut). Selon le Canard Enchaîné, cela soulève des inquiétudes importantes sur la sécurité, d'autant plus que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) n'a pas encore autorisé ni le réacteur, ni l'usine de production. Malgré cela, les travaux ont déjà commencé.
- Technologie et fiabilité :
Le réacteur de Jimmy utiliserait la technologie HTR (réacteurs à haute température), prétendument sûre car la réaction en chaîne peut s'arrêter automatiquement en cas de problème. Cependant, des fragilités importantes ont été identifiées, notamment le risque d'incendie dû à l'oxydation du graphite en présence d'huile ou d'air. L'IRSN a exprimé des réserves quant à l'évaluation des risques, malgré les modifications annoncées par Jimmy.
« Les éléments apportés par Jimmy ne sont pas suffisamment réalisés pour permettre une évaluation du risque associé », s’inquiétait l’IRSN en septembre 2022. Depuis, l’entreprise assure avoir « modifié la conception » de son engin « pour répondre à tous les points identifiés ». Mais aucune autorité n’a validé quoi que ce soit, souligne le Canard Enchaîné.
- Gestion du combustible et des déchets :
Le combustible utilisé (en boulets) pose un problème majeur puisqu'il n'existe pas de technique pour son retrait après usage. De plus, les déchets radioactifs générés par ce type de réacteur sont significativement plus importants par mégawatt produit comparé aux installations traditionnelles.
- Expérience et viabilité :
Bien que des réacteurs similaires aient été installés ailleurs dans le monde, la plupart ont été retirés après peu d'années de service à cause de problèmes techniques ou de non-rentabilité. Seuls deux réacteurs de ce type sont actuellement en fonction, dont l'un au Japon et l'autre en Chine, ce dernier n'opérant à plein régime que depuis cinq mois.
- Financement et transparence :
Jimmy a reçu 32 millions d’euros de subventions publiques pour ce projet. La communication de l'entreprise sur la sécurité et la viabilité de ses réacteurs semble insuffisante et non transparente, ce qui pourrait compromettre la confiance des investisseurs et des assureurs.
Pour rassurer les investisseurs, les concepteurs de Jimmy martèlent que de nombreux réacteurs du même type ont été mis en service à travers le monde et qu’ils totalisent, à eux tous, « une certaine dizaine d’années » de fonctionnement.
Sauf que la plupart de ces appareils ont été débranchés après seulement quelques années d’usage, pour cause de pépins en série ou de non-rentabilité ! Seuls deux réacteurs tournent encore. Le premier, au Japon, est encerclé à la renchérit et collecteront les primes.
En second, en Chine, ne fonctionne à plein régime que depuis… cinq mois.
Par sûr que cela suffit à se convaincre les compagnies d’assurances à apporter leur garantie au joujou de Jimmy !
– Canard Enchaîné , 7 mai 2024
« Choose France », quelles implications pour le Maroc ?
Pour le Maroc, l'adoption de cette technologie française, non encore éprouvée, pourrait marquer un progrès significatif dans la diversification de ses sources d'énergie. Cela représenterait également un transfert de compétences et de savoir-faire, potentiellement bénéfique pour le royaume dans des domaines sensibles comme le nucléaire.
Cependant, les risques associés aux SMR nécessitent une évaluation méticuleuse. L'enjeu pour le Maroc serait de balancer les bénéfices en termes de décarbonisation et d'indépendance énergétique avec les implications de sûreté nucléaire et de gestion des déchets radioactifs.
Visionnaire, le roi Mohammed VI a positionné le royaume du Maroc comme un pionnier mondial des énergies renouvelables et de l’énergie verte. Sans attendre l’initiative de la France, le Maroc a lancé d’imposants projets en partenariat avec des leaders mondiaux. Parmi eux, le projet Xlinks vise à relier les provinces du Sud du Maroc au Royaume-Uni pour transporter de l’énergie propre.
Cependant, il semble que la France et ses dirigeants n’ont pas encore pleinement saisi l’évolution du Maroc. Leurs propositions semblent souvent modestes comparées aux ambitions d’un roi et d’un peuple qui visent plus haut et plus loin.
Lorsque Bruno Le Maire se vante du prêt de 350 millions d’euros de l’AFD à l’Office chérifien des phosphates (OCP) pour soutenir ses investissements dans la décarbonation, il convient de noter que l’OCP venait de lever deux milliards de dollars sur les marchés internationaux. De plus, lorsque il propose son aide pour la transition énergétique, il parait ignorer que dès 2023, le Roi Mohammed VI avait déjà annoncé le lancement de l'offre Maroc pour l’hydrogène vert.
Il semble que la France a souvent un train de retard, avec des petites ambitions et de petits intérêts.
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