Le Japon remplace un fils de politiciens par un fils de cultivateur de fraises

Stratège rusé en politique intérieure et, à l'extérieur, diplomate prudent et pragmatique, conservateur à la fibre nationaliste le Premier ministre du Japon Shinzo Abe, celui qui a marqué son époque par sa théorie de redressement économique baptisée « Abenomics» tire aujourd'hui sa révérence. Il cède sa place pour raisons de santé à son ancien bras droit, Yoshihide Suga, au bout de près de huit années d'affilée au sommet de l'Etat, de longévité pour un Premier ministre au Japon.

Avec AFP

Yoshihide Suga, 71 ans, le nouveau chef du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir au Japon, a été élu mercredi nouveau Premier ministre par le Parlement, en remplacement de Shinzo Abe. Ce dernier, âgé de 65 ans, a battu des records de longévité à son poste mais a choisi fin août de démissionner, ayant été rattrapé par une maladie inflammatoire chronique de l'intestin qui avait déjà été l'une des causes de la fin prématurée de son premier passage au pouvoir (2006-2007).

Quarante-huit heures après son élection triomphale à la tête du PLD, M. Suga a obtenu 314 votes à la chambre basse du Parlement, soit près de 68% des suffrages exprimés. Il a aussi récolté 59% des voix à la chambre haute.

Une majorité simple était requise pour l'emporter, et en cas de vote contraire entre les deux chambres, la chambre basse aurait eu le dernier mot.

Disposent d'une confortable majorité à la Diète japonaise (parlement), Yoshihide Suga s'est profondément incliné sous les applaudissements des parlementaires après sa victoire, mais ne s'est pas exprimé publiquement dans l'immédiat. Sa première conférence de presse en tant que Premier ministre était prévue dans la soirée.

Suga, fils de cultivateur de fraises

Yoshihide Suga, fils d'un cultivateur de fraises au parcours atypique, a fidèlement servi et conseillé Abe pendant de longues années, coordonnant la politique entre les ministères et les nombreuses agences de l'Etat.
Il connaît à ce titre tous les rouages de la puissante bureaucratie japonaise, mais n'a pas la stature internationale de son prédécesseur et souffre d'une certaine image austère.

«Des problèmes coriaces attendent le gouvernement Suga», avec en priorité la crise du coronavirus, a déclaré mercredi à l'AFP Shinichi Nishikawa, professeur de sciences politiques à l'université Meiji de Tokyo.

Abe, le troisième d'une lignée de politiciens de haut rang

Le premier ministre sortant est le troisième d'une lignée de politiciens de haut rang. Son grand-père, Nobusuke Kishi, était ministre pendant la Seconde Guerre mondiale. Suspecté de crimes de guerre, il fut arrêté mais jamais jugé par le Tribunal de Tokyo. Devenu Premier ministre, il avait signé en 1960 avec le président américain Dwight Eisenhower un traité de sécurité et de coopération, qui constitue encore aujourd'hui le fondement de l'alliance entre les deux pays.

Famille Abe

Son père, Shintaro Abe, s'était hissé jusqu'au poste de ministre des Affaires étrangères. À sa mort en 1993, le fils avait repris son siège au Parlement.

Préparé depuis le plus jeune âge au pouvoir, Shinzo Abe est parvenu à se hisser au sommet du pouvoir en 2006, devenant à 52 ans le plus jeune Premier ministre japonais et le premier né après la Seconde Guerre mondiale.

Kan Abe grand père de Shinzo Abe

Golf avec Trump, Super Mario... Cinq moments marquants de Shinzo Abe

Voici une sélection de moments marquants de son mandat sur le plan international.

Le tollé de Yasukuni

Le 26 décembre 2013, un an exactement après son retour au pouvoir, Shinzo Abe se recueille au sanctuaire shinto de Yasukuni à Tokyo, un lieu symbolique détesté par la Chine et la Corée du Sud car glorifiant le militarisme nippon que les deux pays ont subi dans la première moitié du 20ème siècle.

Depuis 2006, les chefs de gouvernement japonais successifs avaient soigneusement évité Yasukuni. Nationaliste désireux de réviser la Constitution pacifiste japonaise, M. Abe avait toutefois assuré que son geste visait à envoyer un message de paix.

A la place, il provoque un retentissant scandale diplomatique, s'attirant les foudres de la Chine et de la Corée du Sud, et même des remontrances des Etats-Unis, le plus proche allié du Japon.

A l'inverse de parlementaires de son parti et parfois de membres de son gouvernement, M. Abe a renoncé par la suite à se rendre à Yasukuni, se contentant d'y envoyer occasionnellement des offrandes.

Hiroshima et Pearl Harbor

Changement de décor pour un message de réconciliation, réussi cette fois-ci: le 27 mai 2016, Shinzo Abe accueille Barack Obama à Hiroshima, la première visite d'un président américain en exercice dans la ville martyre de la bombe atomique.

Cette visite historique, où M. Obama a notamment serré dans ses bras un survivant de Hiroshima et appelé à bâtir un monde sans armes atomiques, est l'un des succès dont M. Abe a tiré la plus grande fierté.

Fin 2016, toujours avec Barack Obama et dans le même esprit de réconciliation, Shinzo Abe s'est rendu à Pearl Harbor (Hawaï), lieu de l'attaque japonaise contre les Etats-Unis le 7 décembre 1941 qui avait précipité l'entrée des Américains dans la Seconde Guerre mondiale.

Super Mario à Rio

Le 21 août 2016 à la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Rio, Shinzo Abe, en tant que représentant du pays hôte des prochains JO d'été, apparaît déguisé en Mario, le plombier moustachu vedette du géant nippon du jeu vidéo Nintendo.

La surprise fonctionne à merveille. "Je voulais montrer au monde l'influence du Japon avec l'aide d'un personnage japonais", a expliqué plus tard M. Abe. "Je n'étais pas sûr de la réaction du public mais j'ai reçu tellement d'applaudissements".

Las, les JO de Tokyo-2020, que M. Abe rêvait en point d'orgue de son mandat, ont été reportés à 2021 en raison de la pandémie de coronavirus, et leur organisation dans un tel contexte s'annonce très délicate.

Golf avec Trump

Le 17 novembre 2016, neuf jours après la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine, Shinzo Abe se précipite à New York pour le rencontrer, devenant ainsi le premier dirigeant étranger à être reçu par le président élu mais pas encore investi.

La stratégie de camaraderie de Shinzo Abe envers l'imprévisible milliardaire républicain pour garantir l'alliance entre le Japon et les Etats-Unis s'est globalement avérée payante.

Malgré des sujets récurrents de fâcherie, comme le déficit commercial chronique des Etats-Unis vis-à-vis du Japon, les deux chefs d'Etat ont vite noué des liens amicaux, agrémentant régulièrement leurs rencontres de parties de golf, leur passion commune.

Banzai pour l'empereur

Le 22 octobre 2019, le nouvel empereur du Japon Naruhito proclame solennellement son intronisation, au cours d'une cérémonie somptueuse et empreinte de rites immémoriaux au palais impérial de Tokyo.

Le Premier ministre japonais a félicité ce jour là le nouvel empereur, au nom de l'ensemble de la population du pays.

Après son discours, Shinzo Abe a crié trois fois "Banzai!" en levant les bras au ciel: une célèbre exclamation japonaise signifiant littéralement "10.000 ans" et revenant ainsi à souhaiter longue vie au nouveau souverain.

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