Le 19 janvier dernier, en marge de sa rencontre à Rabat avec son homologue marocain Abdelouafi Laftit, le ministre espagnol de l’Intérieur a créé l’événement en bousculant la sémiotique diplomatique usuelle. Fernando Grande-Marlaska a évoqué la « loyauté absolue » qui caractérise résolument les relations bilatérales entre le Maroc et l’Espagne. Une déclaration qui marque une étape inédite dans l’expression de la consolidation de l’axe Rabat-Madrid, un corridor de paix et de sécurité, tutélaire du très névralgique choke point, Gibraltar.
Le ministre des Affaires étrangères espagnol ne s’est finalement pas rendu ce lundi en Algérie. José Manuel Albares envisageait par cette visite, d’atténuer la crise diplomatique provoquée par le soutien du gouvernement socialiste Pedro Sánchez au plan marocain d’autonomie pour le Sahara.
La position de Madrid sur ce dossier a été violemment accueillie par Alger. Le régime militaire en place a exercé une série de représailles notamment par le rappel de son ambassadeur à Madrid à la mi-décembre 2023, la suspension du traité d’amitié et le gèle de tous les échanges non liés au gaz, infligeant des milliards d’euros de préjudice économique à Alger et à Madrid.
Aujourd’hui, avec le refus du président Tebboune de recevoir le chef de la diplomatie espagnol, provoquant l’annulation à la dernière minute de la visite de «réconciliation», la crise entre les deux pays s’enlise.
Rabat-Madrid : Une ère de loyauté absolue
Depuis la formation du gouvernement Sánchez II, les indices d’un renforcement historique des liens entre Rabat et Madrid se sont considérablement accrus.
En effet, le 17 novembre 2023, 24 heures seulement après l’annonce de la constitution d’une majorité gouvernementale par Pedro Sánchez, le Maroc révèle l’octroi à l’Espagne le projet de construction et d’exploitation de la future station de dessalement d’eau de mer de Casablanca, la plus grande du continent africain, à l’Espagne. Le mégaprojet porte la garantie du Chef du gouvernement, Intuitu personae, à travers ses deux sociétés Afriquia Gaz et Green of Africa, pour un investissement estimé à 800 millions d’euros.
Outre la symbolique du timing et du partenariat, ce projet revêt une grande importance étant donné qu’il intervient durant une période de sécheresse sévère au Maroc
Un mois après la formation du gouvernement Sánchez, le Ministre des Affaires étrangères espagnol José Manuel Albares, consacre son premier voyage bilatéral officiel de la nouvelle législature, au Maroc.
Le mois suivant, le 19 janvier 2024 précisément, c’est autour du ministre espagnol de l’Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, de réserver son premier déplacement à l’étranger au Maroc.
Grande-Marlaska a rencontré son homologue marocain Abdelouafi Laftit, l’occasion de réaffirmer le partenariat exceptionnel entre le Maroc et l’Espagne, qualifiant dans une déclaration à la presse que la coopération entre les deux royaumes d’être résolument fondées sur «la confiance réciproque et la loyauté absolue».
M. Grande-Marlaska à la MAP: Maroc-Espagne, une relation fondée sur “la confiance réciproque et la loyauté absolue”https://t.co/ArtTNzrhhc pic.twitter.com/tIcpBibZsQ
— Agence MAP (@MAP_Information) January 19, 2024
C’est sémantique nouvelle et lourde de sens a été suivie par une série de déclarations et de rencontres entre les responsables des deux pays, couronnée ce mardi par le tête à tête entre le Chef de la police secrète espagnole, Eugenio Pereiro Blanco et le l’homme fort de la sécurité nationale marocaine et des renseignement Abdellatif Hammouchi.
Les preuves de l’engagement du Maroc dans sa coopération renforcée avec l’Espagne ont émanées également des Forces Armées Royales qui ont annoncé depuis le début de l’année pas moins de trois opérations d’interception de migrants depuis les côtes marocaines du Sahara.
Entre Rabat et Madrid, un grand ballet diplomatique, économique et sécuritaire. Timeline:
Big Picture : L’axe Madrid-Rabat un corridor de paix et de sécurité
L’Espagne semble avoir tourné la page à la diplomatie de l’ambiguïté vis-à-vis du Maroc ainsi que le rôle de gendarme qu’on persistait à l’attribuer, tout en répondant favorablement à l’invitation du Roi Mohammed VI pour clarifier sa position sur le dossier du Sahara. Madrid ne le fait pas par simple complaisance envers Rabat, mais agit par pragmatisme.
Le gouvernement Sanchez mise désormais sur le rôle géostratégique de premier plan de l’axe Madrid-Rabat pour faire face aux crises économiques, énergétiques et migratoires provoqués par les tensions mondiales post-Covid.
Il faut dire que les intérêts de l’Espagne, de l’Europe et même des États-Unis sont menacés par les tensions accrues sur les routes commerciales maritimes, la violence latente qui pourrait éclater suite à la guerre à Gaza et l’entente stratégique et énergétique de pays comme l’Iran, l’Algérie et la Russie.
A ce titre, dans une analyse publiée sur The National Interest, Ahmed Charaï détaille ces menaces notamment celles qui se profilent sur de nombreuses routes maritimes, de la Méditerranée (Gaza) à la mer Noire (Ukraine) et à la mer Rouge (Yémen), jusqu’aux îles du Pacifique (Taïwan).
M. Charaï décrit une situation sombre pour l’équilibre de l’ordre mondial :
- Une guerre froide latente avec la Chine qui assemble sa puissance militaire pour expulser les États-Unis du Pacifique occidental et peut-être devenir la puissance prédominante mondiale.
- L’écroulement éventuel de l’Ukraine de moins en moins outillé pour la guerre d’usure, qui profite davantage à la Russie grâce à sa population et son économie bien plus importantes de la Russie.
- La constitution d’un vaste continent eurasien contre l’Occident. La Russie fournit à la Chine de l’énergie et autre matière première et compte sur elle pour les munitions, les obus