Akhannouch : Obsédé par la Santé, un acharnement qui pourrait lui coûter sa carrière politique

Santé publique : trois actes, trois revers pour Akhannouch

Depuis 2017, alors qu’il se préparait à briguer la primature, Aziz Akhannouch avait un seul département dans le viseur : la Santé. Là où d’autres futurs chefs de gouvernement élargissent leur champ de bataille, lui a concentré son obsession sur un ministère miné par des décennies de crise. C’était son pari, son terrain de conquête, son talon d’Achille.

Agadir, premier acte de la tragédie

Il avait placé toutes ses cartes sur un joker : le secrétaire général du département, stratège invisible mais au centre de tous les octogones de la campagne anticipée. Jusqu’au jour où, patatras, un incident malheureux, presque anecdotique en apparence — sur le balcon d’un hôtel d’Agadir — emporta son poste et le rêve de devenir ministre de la Santé.

Ironie du destin : c’est dans sa propre ville que se jouait déjà la première scène d’un drame politique appelé à se répéter.

Acte II : la revanche différée

Akhannouch n’abandonne pas. Il garde une deuxième carte, une femme : Nabila Rmili, directrice régionale du ministère. En pleine pandémie, il manœuvre pour l’imposer à la place de Khalid Aït Taleb. L’histoire est connue : une semaine à peine après sa nomination, elle craque sous le poids d’un dossier scruté depuis les plus hautes sphères. Limogée aussi vite qu’installée, elle retrouve la mairie de Casablanca. Seul Dieu sait qu’aurait-il advenu de la métropole si Abdelaouafi Laftit n’aurait pas dépêché en urgence M. Mohamed Mhidia pour reprendre le contrôle de la situation.

Pendant ce temps, les proches du chef du gouvernement multiplient les incursions dans le secteur : Moncef Belkhayat, figure du RNI, ou encore Malik Sefrioui, fils du magnat de l’immobilier Anas Sefrioui, nouvellement lié par alliance familiale au clan Akhannouch. Mais qu’est-ce qui a bien pu attirer des milliardaires ayant bâti leur fortune dans les détergents et le ciment vers la santé et le pharmaceutique ? Mystère.

Mais le véritable objectif de M. Akhannouch reste intact : arracher la Santé des mains d’Aït Taleb.

Trois ans de patience. Trois ans de calculs. Lors du remaniement tant attendu, Akhannouch arrive à ses fins et place enfin son pion : Amine Tehraoui, un collaborateur discret et travailleur, ancien dircab à l’Agriculture, dépêché ensuite pour restructurer Aksal. Le voici parachuté ministre de la Santé, au moment même où le département se déleste de ses prérogatives au profit de nouvelles agences stratégiques — celle des médicaments et celle du sang.

Tehraoui hérite d’un chantier royal, celui de la couverture sociale généralisée, dans un écosystème privé florissant, au point qu’Akdital affiche aujourd’hui une capitalisation boursière insolente de 21,5 à 22 milliards de dirhams, dépassant même Wafa Assurance et Afriquia Gaz.

( De la folie. Un modèle unique au monde ! )

Interrogé le 10 septembre courant, moins d’un an après la nomination de M. Tehraoui, à l’occasion de la rentrée politique coïncidant avec ses quatre années de mandat, Aziz Akhannouch a affirmé que les hôpitaux publics atteindraient le niveau du privé… d’ici deux ou trois ans. Autrement dit, au-delà de la fin de son mandat actuel, ou dans l’hypothèse d’un second. Traduction : «Je n’a rien foutu sur la santé publique. Pareil pour le dossier de la retraite. Trop compliqués»

Acte III : retour à Agadir, le tombeau politique

Mais la réalité se venge toujours. La même semaine, huit femmes meurent dans des conditions troubles à la maternité de l’hôpital Hassan II d’Agadir, ville-fief du chef du gouvernement. L’affaire devient scandale sanitaire. Des jeunes médecins rompent l’omerta par des vidéos sur les réseaux sociaux. Mohamed Reda Taoujni, lanceur d’alerte tenace, rappelle ses sept années de cris dans le désert, sans qu’aucun élu local ni responsable ministériel ne s’en saisisse.

Face au drame, silence assourdissant. Ni Akhannouch ni Tehraoui ne bougent. Tous deux misent sur l’inauguration du futur CHU de la ville, calcul électoral évident. Mais c’est un pari perdu : plus de 2000 citoyens descendent dans la rue, chacun ayant sa propre blessure liée à l’« hôpital de la mort ».

Akhannouch envoie au front une directrice régionale. Sa sortie médiatique envenime encore la colère. Selon plusieurs sources, jusqu’au Prince Héritier Moulay El Hassan aurait demandé que des mesures soient prises, non seulement pour Agadir, mais pour l’ensemble des hôpitaux publics du Royaume.

Le ministre, visage pâle, paie la facture d’un système brisé. Akhannouch réussit à faire porter sur lui des échecs cumulés depuis des décennies, y compris ceux du PJD. Les Marocains, eux, n’oublieront pas la phrase glaciale de Abdelilah Benkirane, lancée entre deux rires nerveux, sans sourciller : « L’État doit lever la main sur la Santé et l’Éducation. »

Agadir, fil rouge d’un acharnement

Aujourd’hui, Akhannouch échoue sur un chantier royal, vital pour le pays, au moment où le Maroc s’apprête à recevoir des hôtes du monde entier. Il échoue aussi dans sa propre ville, Agadir, symbole de son ancrage politique.

Tout commence à Agadir. Tout s’effondre à Agadir. Comme si cette ville condensait le destin contrarié d’un homme obsédé par la Santé, mais incapable de la soigner.

Alors, pourquoi cet acharnement à contrôler ce ministère à haut risque ? Par vanité, pour rivaliser avec Akdital ? Par intérêt, pour investir un secteur en pleine croissance ? Ou simplement par volonté de garder la main sur un dossier suivi au sommet de l’État ?

La question demeure sans réponse. Ce qui est sûr, c’est que son obsession l’a mené droit dans le mur. Amine Tehraoui sillonne désormais le pays, contraint de constater les plaies béantes des hôpitaux publics. Et chaque photo, chaque sortie officielle, chaque silence de son ministre traduit en creux la pression intenable qui pèse sur Akhannouch.

Un homme obsédé par la Santé, mais rattrapé par Agadir, devenu le théâtre de ses chutes successives. Et qui risque, par ce seul entêtement, de perdre sa carrière politique.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

Les plus lus

«Moroccan Youth Voice» : un surgissement numérique qui intrigue et interroge

Un collectif baptisé Moroccan Youth Voice a récemment émergé sur la...

Carburants : le futur système de traçabilité inquiète les distributeurs

Le ministère de la Transition énergétique et du Développement...

FAR : le général Berrid préside une cérémonie d’hommage aux retraités à Agadir

Alors que certaines officines s’échinent à brouiller l’image des...

Carrefour se retire de quatre pays du Golfe en dix mois : HyperMax prend le relais

Carrefour a fermé coup sur coup ses magasins au...

«Moroccan Youth Voice» : une mobilisation virtuelle qui s’éteint avant d’avoir commencé

Dans un communiqué diffusé dans la nuit de mercredi...

Quand «The Economist» alerte : Israël est en train de perdre l’Amérique

Dans un éditorial percutant intitulé «How Israel is losing America»,...

Casablanca : le Roi inaugure un nouveau cycle pour le complexe portuaire

SM le Roi Mohammed VI, a procédé à l’inauguration...

FAR : le général Berrid préside une cérémonie d’hommage aux retraités à Agadir

Alors que certaines officines s’échinent à brouiller l’image des...

MBS débourse 2 milliards $ pour arrimer MBC à la Vision 2030

Le Public Investment Fund (PIF) d’Arabie saoudite a finalisé l’acquisition de 54...

Abdou Souleye Diop fait son entrée au conseil du Cluster ENR Maroc

Forvis Mazars Maroc a annoncé la nomination de son...

Related Articles

Focus Thématiques