Benkirane : Du legs de Dr al-Khatib au vacarme d’ElMahdaouy

Les erreurs fatales de Benkirane

Dans une époque où l’action politique issue des grandes idéologies du XXe siècle se désagrège, où le syndicalisme meurt en silence, où les mouvements sociaux s’essoufflent après des poussées de colère sans lendemain, et où les crises du libéralisme s’accumulent comme les vagues d’un tsunami économique, le terrain est devenu idéal pour les marchands de peur.

Tandis que certains progressistes se sont égarés dans les labyrinthes du wokisme, de la cancel culture ou d’un militantisme écologique parfois coupé des réalités, les conservateurs, eux, ont flairé l’aubaine. Enfin un espace pour revenir au centre du jeu. Aux États-Unis, cela s’appelle MAGA. Ailleurs, cela reste un langage. Un langage de peur. Un langage d’impuissance.

Et chez nous ? Ce langage a désormais un porte-voix : Abdelilah Benkirane.

I. Le naufrage d’un marchant de sable

Ce qui fut jadis une voix populaire, tranchante, qui avait su porter l’espoir des urnes, n’est plus qu’un écho de nostalgie. Benkirane, aujourd’hui, parle pour ne pas se taire. Et ses erreurs, loin d’être marginales, sont désormais structurelles.

1. L’autosatisfaction coupable
Il persiste à nier l’évidence : son passage à la tête du gouvernement n’a pas seulement affaibli le PJD — il l’a dévitalisé. Fracturé dans ses équilibres internes, vidé de sa ligne idéologique, le parti s’est effondré sous le poids d’un leadership devenu égocentré. Pourtant, Benkirane continue de se présenter comme le sauveur du royaume. Il répète à l’envi qu’il a évité au Maroc des tensions sociales, qu’il a soulagé les finances publiques en s’attaquant courageusement à la caisse de compensation, qu’il a tout fait «par devoir», et que tout ce qu’il a accompli était juste.

Mais ce récit héroïque est une illusion commode.

Non seulement il refuse d’assumer les conséquences politiques de ses choix — préférant charger son successeur El Otmani de tous les échecs — mais il nie toute responsabilité dans l’humiliation électorale du PJD. Cette posture victimaire, mêlée à un orgueil à peine dissimulé, empêche toute remise en question, toute reconstruction stratégique. Loin d’ouvrir la voie à une autocritique salutaire, Benkirane s’enferme dans une légende personnelle qu’il martèle comme un mantra : «J’ai sauvé le pays.» Une erreur politique autant qu’historique. Car un homme d’État ne se mesure pas à sa capacité à survivre à une crise, mais à celle de construire l’après. Et cela, Benkirane l’a déserté depuis longtemps.

2. Le mépris du messager Ramid
L’ancien homme fort du PJD, Mustapha Ramid, a offert un testament politique de plus de 20 heures pour ausculter le mal. Il y décrivait un parti transformé en cuisine familiale, aux mains d’un seul homme. Benkirane n’a pas écouté. Il a préféré l’ignorer. Ou pire : le disqualifier.

3. Gaza comme carburant politique
Le 7 octobre a ravivé l’indignation légitime du monde entier. Mais là où certains ont élevé la voix pour appeler à l’action, Benkirane a transformé la souffrance palestinienne en carburant électoral. La tragédie de Gaza, piégée sous les bombes, est devenue pour lui une opportunité de regagner l’attention médiatique — à défaut de proposer un projet politique, un projet humain. Pendant que le Maroc affronte ses propres urgences économiques, sociales et institutionnelles, lui se retranche dans des discours répétitifs, filmés dans son salon, recyclant la même rhétorique en boucle.

Benkirane n’a même pas réussi à faire mieux que son ancien allié : Nabil Benabdellah. Loin des projecteurs complices, le secrétaire général du PPS a sillonné les plateaux, pris des risques, mis sa voix dans la balance du débat national, quitte à s’exposer personnellement. Il a rappelé que la cause palestinienne ne dispense pas d’un engagement marocain, ici et maintenant, sur le front de la justice sociale, de la démocratie, de la jeunesse.

Benkirane, lui, attend que ses meetings soient organisés par des sympathisants conquis d’avance, avec une caméra dévouée et un public trié. Une seule sortie en terrain neutre — à HEM — a suffi à révéler l’épuisement : il s’est fait piéger, désarmé face à une génération qui n’a plus peur de le contredire. Le mythe du tribun populaire ne tient plus. C’est le signe implacable d’un homme qui n’a plus de jus. Un vieil homme dépassé.

4. L’erreur de cible
Il fut un temps où la méthode Benkirane avait du sens. Lorsque le ring politique était occupé par des adversaires comme Salaheddine Mezouar, Hamid Chabat ou Ilyas El Omari, ses joutes verbales, ses flèches ironiques, ses punchlines populistes faisaient mouche. C’était le jeu démocratique dans ce qu’il avait de plus rugueux : un affrontement d’égos, de projets, de partis. Il y avait du répondant, de la légitimité, parfois même du panache.

Mais s’acharner aujourd’hui contre les médias avec les mêmes armes est une erreur de débutant. Car la presse n’est pas un adversaire politique. Elle n’est ni au pouvoir, ni en campagne. Elle informe, elle questionne, elle critique parfois — c’est sa fonction. La prendre pour cible, c’est céder à une posture défensive, celle de l’homme isolé, incapable de répondre autrement qu’en invectives.

Ce glissement est révélateur : Benkirane s’invente des ennemis dans les micros, les caméras, les colonnes d’opinion. Mais à force de boxer dans le vide, il ne fait que souligner le vide stratégique dans lequel il s’enfonce.

Pire encore : son alliance avec le youtubeur Hamid Elmahdaouy, ancien marxiste recyclé en porte-drapeau islamiste, en dit long sur la déroute intellectuelle du chef. Benkirane se rend-il compte qu’il lui a cédé les clefs de sa communication dont il est si fier ? — une première. Se rend-il compte que c’est une faute politique. Un aveu d’impuissance.

5. L’absence de fond
Un micro, une idée mal dégrossie, et le tour est joué. Voilà la méthode Benkirane. Aucun travail doctrinal, aucune structuration de pensée, aucune production intellectuelle sérieuse. Sur des sujets graves comme le wokisme ou la mutation des mœurs, sa réponse se résume à un soupir rétrograde. Ni mobilisation, ni dialogue, ni action. Seulement de la peur.

6. Le monologue permanent
Au sein du PJD, plus personne ne peut porter sa voix plus loin que celle de Benkirane. Mise à part Abdellah Bouanou ou Amina Mae El Ainine, dont le mérite est d’au moins tenter d’exister, le reste de la formation est en coma profond. Sans Ramid, sans El Othmani, sans Rebbah, comment rêver d’un avenir ? Benkirane semble vouloir une chose : enterrer le parti avec lui.

II. L’homme sans horizon

Une lecture géopolitique erronée
Déconnecté des dynamiques contemporaines du monde arabe, orphelin de ses anciens relais islamistes laminés par l’histoire, Benkirane mise tout sur la crise au Moyen-orient. Bien évidement, s’en remetant à des mises en scène émotionnelles, souvent portées par son influenceur adopté, Elmahdaouy pour ne pas le citer, — dont l’enthousiasme pour les rhétoriques inspirées par Téhéran interroge. Qu’il s’agisse d’une convergence tactique ou d’un alignement implicite, ce choix brouille les repères et expose le PJD à une confusion idéologique périlleuse.

Dans un contexte où la clarté politique est un impératif, s’abandonner à ce type d’ambiguïtés, c’est fragiliser encore davantage une parole politique déjà en perte de crédibilité.

Benkirane veut croire que le momentum lui est favorable comme en 2011. Il espère capitaliser sur la peur, sur la colère, sur la guerre. Mais l’histoire n’est pas un casino. Une “quinte flush” ne vient pas deux fois.

Une dernière chance ?

Il est encore temps ou pas. Benkirane pourrait dans un monde idéal retrouver la stature d’un sage, d’un mentor, à l’image de ses figures tutélaires dont il n’arrête pas d’en louer le mérite: feu le Dr Abdelkrim al-Khatib ou Moulay Ismaïl Alaoui. Il pourrait transmettre au lieu d’imposer, encourager au lieu de censurer, construire des ponts au lieu de creuser des fossés. Il pourrait écouter les jeunes, encourager la pensée, partager le pouvoir, redevenir ce qu’il n’a jamais vraiment été : un leader collectif.

Mais il devra, pour cela, affronter son plus grand ennemi : lui-même.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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