La Bourse de Casablanca a parlé avant les communiqués. En quelques séances, l’action Akdital a condensé la tension d’un pays tout entier : colère sociale, crise de confiance, puis apaisement et retour à la raison. En réagissant à la fois à la rue, au gouvernement et aux signaux d’ouverture envoyés par l’État, le titre du leader marocain de la santé privée est devenu bien plus qu’un indicateur économique : le baromètre d’un moment politique.
Le signal faible devenu symptôme national
Quand la crise sanitaire marocaine s’est matérialisée par le décès de huit femmes en maternité, le choc émotionnel a dépassé la tragédie individuelle. Il a réveillé une colère sociale longtemps contenue et donné naissance à ce qui est désormais identifié comme la révolte de la « GENZ212 ». Cette indignation numérique et urbaine s’est traduite sur un autre terrain : la Bourse. Et dans ce miroir du capital, un nom a cristallisé la tension entre rentabilité privée et droit à la santé : Akdital.
1. Le groupe Akdital, symbole d’un modèle sous tension
Leader du secteur hospitalier privé, Akdital incarne l’ambition d’un Maroc médical performant et attractif pour l’investissement. Coté depuis 2022, le groupe s’est imposé comme l’un des titres les plus dynamiques du MASI.
Mais sa trajectoire boursière, jusque-là ascendante, a brutalement été rattrapée par la réalité sociale : entre le 23 septembre et le 2 octobre 2025, l’action a perdu 14,2 %, soit plus du double de la baisse de l’indice MASI (–6,2 %). Une sous-performance nette, concentrée sur les journées où la colère populaire a explosé dans la rue.
2. L’onde de choc boursière
Date | AKT (clôture) | Var. % AKT | MASI (clôture) | Var. % MASI | Alpha (AKT – MASI) | Vol. AKT |
---|---|---|---|---|---|---|
23-sept-25 | 1 517 MAD | — | 19 770 pts | — | — | 3 500 |
24-sept-25 | 1 502 MAD | –0,99 % | 19 685 pts | –0,43 % | –0,56 % | 2 800 |
25-sept-25 | 1 490 MAD | –0,80 % | 19 620 pts | –0,33 % | –0,47 % | 3 000 |
26-sept-25 | 1 478 MAD | –0,81 % | 19 550 pts | –0,36 % | –0,45 % | 3 200 |
29-sept-25 | 1 406 MAD | –4,87 % | 19 183 pts | –1,88 % | –2,99 % | 6 200 |
30-sept-25 | 1 387 MAD | –1,35 % | 19 227 pts | +0,23 % | –1,58 % | 5 400 |
01-oct-25 | 1 319 MAD | –4,90 % | 18 537 pts | –3,44 % | –1,46 % | 8 300 |
02-oct-25 | 1 302 MAD | –1,29 % | 18 537 pts | 0,00 % | –1,29 % | 9 700 |
06-oct-25 | 1 481 MAD | +13,7 % | 19 084 pts | +2,9 % | +10,8 % | 8 200 |
(Source : Casablanca Bourse, Investing.com, TradingView, BMCE Capital Bourse – Reconstitution : Le1.ma)
3. Le graphique qui parle

Le graphique illustre un double mouvement :
- Une chute violente d’Akdital entre le 29 septembre et le 2 octobre, correspondant au pic des manifestations « GenZ 212 ».
- Un rebond spectaculaire entre le 2 et le 6 octobre, avec un gain de +13,7 %, soit près de cinq fois la progression du MASI sur la même période.

L’alpha cumulé mesure la performance relative d’Akdital par rapport au MASI. Une valeur négative indique une sous-performance du titre par rapport au marché ; une remontée traduit un retour de confiance spécifique.
🧮 Comprendre l’alpha cumulé
L’alpha cumulé représente la somme des écarts de performance entre Akdital et le MASI sur la période observée.
👉 Lorsque l’alpha baisse, Akdital sous-performe le marché, signe de défiance.
👉 Lorsqu’il remonte, le marché renoue avec la confiance.
Entre le 23 septembre et le 2 octobre, l’alpha cumulé plongeait à –9 points ; il se redresse ensuite avec le rebond du 6 octobre.
4. La corrélation avec l’apaisement social
Ce redressement ne peut être dissocié du retour progressif au calme dans les rues et les esprits. Après le drame de Lqliâa, où trois jeunes ont été tués lors d’une tentative d’intrusion dans une garnison de la Gendarmerie royale, les autorités ont changé de posture :
- Canaux de dialogue ouverts avec les représentants de la jeunesse ;
- Médias publics mobilisés pour relayer les voix de la génération contestataire ;
- Discours sécuritaire remplacé par un ton d’écoute et de responsabilité.
Sur le plan économique et symbolique, cette décrispation s’est doublée d’un apaisement institutionnel dans le secteur de la santé. Le ministre Amine Tehraoui, accusé d’avoir tenté de se décharger de ses responsabilités en insinuant que les cliniques privées bénéficiaient d’aides à l’investissement, une déclaration qui a encore attisé la colère de l’opinion, a vu ces dernières riposter collectivement.
Akdital et l’ANCP rétablissent les faits
Ce lundi 6 octobre, Akdital publie un communiqué catégorique :
« Le Groupe Akdital n’a jamais bénéficié d’un soutien public ou gouvernemental à l’investissement, que ce soit de manière directe ou indirecte. »
L’entreprise rappelle qu’elle finance ses projets par autofinancement, emprunts bancaires et levées de fonds sur le marché boursier, et qu’en tant que société cotée, elle est soumise aux règles de transparence de l’AMMC.
«Les investissements réalisés par Akdital dans ces régions, conjugués à la création de plus de 200 emplois pour des jeunes Marocains par clinique– dont une majorité de femmes – répondent pleinement aux critères de la Charte de l’Investissement, rendant ainsi le Groupe éligible au soutien public à l’investissement. Toutefois, Akdital réaffirme n’avoir jamais bénéficié de ce soutien»
Plus tôt dans la matinée, l’Association Nationale des Cliniques Privées (ANCP) avait adressé une lettre ouverte au ministre, exigeant la publication de la liste complète des établissements ayant réellement bénéficié de subventions publiques.
Ces deux démarches concomitantes ont dissipé la confusion entretenue par la tutelle et ont, de fait, rassuré les investisseurs. En quelques heures, le marché a interprété ces démentis comme des signaux de transparence et de stabilité.

5. Ce que révèle la séquence
Cette trajectoire en deux temps raconte autant le marché que la société :
- La chute traduit une défiance morale et politique ;
- Le rebond exprime un retour du rationnel et de la confiance institutionnelle.
Le MASI comme l’action Akdital ont réagi à l’apaisement du climat social autant qu’aux clarifications économiques. La Bourse n’a pas seulement sanctionné une entreprise ; elle a pris la température d’une nation oscillant entre colère citoyenne et retour à la raison économique.
L’épisode a révélé, en plus du fiasco communicationnel, un problème structurel de gouvernance au sommet de l’exécutif. En poussant son ministre, un bon gestionnaire issu du privé, formé au amanagement et au retail, à défendre devant le Parlement une contre-vérité manifeste, Aziz Akhannouch a pris le risque de fragiliser trois piliers essentiels du pays : la sécurité nationale, la confiance institutionnelle et la stabilité des capitaux.
Sous autres cieux, une telle manœuvre, où la loyauté politique prime sur la transparence, aurait pu entraîner des conséquences pénales ou au moins disciplinaires. Au Maroc, elle laisse une impression plus subtile, mais tout aussi dangereuse : celle d’un Chef de gouvernement qui préfère exposer ses collaborateurs plutôt que d’assumer ses choix.
Aziz Akhannouch, qui s’était d’abord abrité derrière l’appareil sécuritaire, en vain, a ensuite tenté de faire porter la responsabilité aux cliniques privées — notamment à Akdital — dont la réussite contrastait trop visiblement avec la dégradation du système public de santé.
La manœuvre s’est retournée contre lui. En cherchant à désigner un coupable, le chef du gouvernement a offert à Akdital l’occasion de démontrer sa transparence et son indépendance. En s’exposant ainsi, le groupe s’est paradoxalement rapproché de la rue, gagnant en légitimité ce que le politique perdait en crédibilité.
La courbe d’Akdital épouse désormais celle du Maroc : la chute brutale de la défiance, suivie d’un redressement porté par le dialogue et la transparence. Dans la rue comme sur les marchés, le même message s’impose : le pays se soigne quand il s’écoute.
Et dans cette équation, la confiance — publique, politique ou boursière — reste le premier capital national.