Il est des voix qui, par un éclat de rire, rassemblent des peuples et traversent les frontières. Celle de Jamel Debbouze a su, depuis des décennies, toucher des millions de spectateurs : les Français, conquis par son talent, la diaspora nord-africaine, qui s’est reconnue dans ses mots et ses accents de vérité, et bien sûr le Marocains, dont il n’a jamais cessé d’honorer les racines avec fierté. Son humour, arme pacifique entre toutes, ne divise pas : il relie, il réconcilie, il bâtit des ponts.
Aujourd’hui pourtant, certains voudraient réduire cette œuvre à une polémique mesquine. La cible : Dar Mima, le restaurant fondé par le célèbre humoriste.
Or Dar Mima n’est pas une adresse comme les autres. C’est d’abord un hommage filial, une mémoire vivante, un écrin qui rappelle ce que nous avons de plus précieux : la transmission, le respect des mères et la fidélité aux origines. Mais ce lieu porte aussi une symbolique plus vaste : Dar Mima, c’est l’exploit d’avoir hissé la gastronomie marocaine au sommet de Paris, en lui donnant une place de choix dans la capitale des arts et des saveurs. Installé sur le toit de l’Institut du Monde Arabe (IMA), il incarne la force apaisée d’un Royaume qui, à travers les siècles, s’est affirmé par la grandeur de son histoire, la vitalité de sa culture, la chaleur de son hospitalité et une diplomatie patiente faite de ponts et de dialogue.
Cette position attire inévitablement convoitises et attaques, non seulement contre un homme, mais contre ce que représente l’affirmation culturelle marocaine sur la scène internationale.
La campagne d’acharnement menée contre Jamel Debbouze a instrumentalisé la cause palestinienne pour tenter de le discréditer. Pourtant, la défense de cette cause ne saurait servir d’arme de dénigrement. Elle est au cœur de notre mémoire collective et demeure une ligne constante de la politique étrangère marocaine. Elle s’exprime aussi aujourd’hui à travers des gestes forts sur la scène internationale, comme l’annonce du président de la République française de reconnaître l’État palestinien. Dans un moment où la solidarité avec le peuple palestinien s’affirme par des décisions politiques majeures, détourner une cause aussi noble pour nourrir la haine ne peut qu’affaiblir son essence.
Jamel Debbouze, lui, n’a jamais prétendu être un homme politique. Ni stratège ni diplomate, il a choisi d’agir par l’humour et la culture, mettant le Maroc en lumière à travers ses initiatives. Le festival du Marrakech du Rire, devenu une référence mondiale, en témoigne : il a révélé des dizaines de jeunes talents marocains et offert au Royaume un outil de rayonnement culturel qui dépasse toutes les polémiques.
Son apport s’étend bien au-delà des frontières nationales. Pour une génération entière de Marocains du monde, il a été une figure de fierté et de reconnaissance. Dans ses spectacles et ses prises de parole, il a raconté l’exil, l’intégration, la double appartenance avec humour et tendresse. Pour les enfants de l’immigration marocaine, il est le symbole d’une réussite possible, d’un lien jamais rompu avec les racines.
Cette trajectoire s’est pourtant heurtée aux soubresauts diplomatiques. Parce qu’il incarne un pont entre les deux rives, aimé des deux côtés de la Méditerranée, Jamel Debbouze a parfois payé le prix de tensions qui le dépassaient. Mais alors que Rabat et Paris renouent leurs liens et que les passerelles se reconstruisent, il est temps de tourner la page. Il est temps de rendre justice à Jamel Debbouze, de reconnaître son rôle discret mais décisif : celui d’un passeur, d’un médiateur par le rire, d’un fils du Maroc qui a su faire aimer son pays à des millions de spectateurs.
Réhabiliter Jamel Debbouze, ce n’est pas flatter une célébrité, ni effacer des maladresses : c’est simplement admettre une contribution réelle, celle d’un artiste qui a su donner une visibilité nouvelle au Maroc et partager ses richesses avec le monde. C’est reconnaître en lui un ambassadeur du rire, de la tendresse et de la dignité. Laisser l’ingratitude ternir ce qu’il a donné au Maroc serait une erreur, une faute même.
Les polémiques passeront. Ce qui restera, c’est un rire qui relie, une mémoire qui rassemble et une fierté que nul malentendu ne peut effacer.