Et si la Zakât devenait le levier moral du Maroc social émergent?

Vous faites certainement partie, comme moi, de ces Marocains intensément bousculés par cette rentrée. Tout est allé vite, trop vite. Une soudaine fièvre sociale nommée GenZ, des malheureux décès et un tempo imposé par le Souverain : un discours inaugural chirurgical, puis l’annonce d’un budget 2026 d’une ampleur inédite. À peine avions-nous le temps de reprendre souffle que Safran inaugurait la première usine de moteurs d’avions en Afrique, et que nos U20 décrochaient, au Chili, un sacre historique.

Et puis, au milieu de ce tumulte de fierté et de débats, une information plus discrète a traversé nos écrans : une fatwa du Conseil supérieur des oulémas à propos de la Zakât.

Une ligne passée presque inaperçue. Et pourtant.

Quand le spirituel rejoint l’économique

Je l’avoue : sur le moment, je n’ai pas su situer cette annonce. Était-ce un simple rappel religieux ? Un texte doctrinal de plus ? Ou le signe d’une initiative royale silencieuse, relevant de l’Imarat Al Mouminine, la Commanderie des croyants ?

Puis, un confrère, ce trublion que la presse nationale, Mourad Borja, a publié une théorie. Audacieuse : Et si l’élargissement de l’assiette de la Zakât, cette ponction religieuse annuelle sur les richesses, s’inscrivait dans la réponse royale à la jeunesse et à l’opinion publique ?
Et si la Zakât devenait un levier moral du projet d’État social voulu par le Roi ?

Un enchaînement d’une précision politique d’orfèvre

Reprenons la chronologie.
Le discours du Trône n’a pas évoqué directement la jeunesse en colère, mais il a fixé une méthode : ne pas confondre émotion sociale et action institutionnelle. Neuf jours plus tard, le Conseil des ministres s’est réuni sous la présidence du Roi. Ce moment fut charnière : il a redéfini les priorités gouvernementales, replacé la justice sociale au centre du projet budgétaire et redonné au concept d’État social une traduction chiffrée, mesurable, assumée.

380 milliards de dirhams d’investissement.
140 milliards pour la santé et l’éducation.
4 millions de familles concernées par les programmes de soutien direct.

Ce ne sont pas des chiffres. Ce sont des signaux politiques. Des marqueurs d’une volonté royale d’équilibrer droits et devoirs, richesse et solidarité, mérite et protection.
Et dans ce nouvel ordre de priorités, la Zakât pourrait bien trouver sa place naturelle.

Une idée ancienne, réveillée par la transformation sociale

On l’ignore souvent, mais le Fonds de la Zakât existe depuis 1979, rappelle Borja. Créé sur décision du feu roi Hassan II, il est demeuré depuis, une ligne oubliée dans les lois de finances, rappelé chaque année «pour mémoire», sans que jamais ne lui soit assignée une réalité budgétaire.

Jusqu’à ce mois d’octobre 2025, où le Roi valide une fatwa du Conseil supérieur des oulémas, élargissant le champ de la Zakât aux revenus modernes : salaires, services, placements, dividendes. Autrement dit : une Zakât de l’économie réelle.

Ce geste, que certains ont qualifié de «tournant théologique», pourrait bien être aussi un acte d’ingénierie économique. Car derrière la réflexion spirituelle, se profile une vision d’autofinancement national : mobiliser les ressources dormantes, moraliser la circulation de l’argent, et redonner à la richesse une valeur éthique.

Des estimations évoqueraient un potentiel de 34 milliards de dirhams, soit 2,5 % du PIB.

Redéfinir le rapport entre l’argent et la morale

Dans une société où la défiance vis-à-vis des élites s’est aggravée, où l’idée même de mérite est souvent brouillée, réintroduire la Zakât dans le cycle économique, c’est reconnecter le financier à l’éthique, avance Mourad Borja.

« C’est dire à ceux qui ont profité du système, marchés, privilèges, délits d’initiés, fortunes rapides, que la prospérité n’est légitime que si elle est purifiée.[…] C’est aussi une manière élégante de répondre à la jeunesse qui réclame justice et équité sans tomber dans la démagogie », martèle le journaliste.

Le Roi, en sa qualité d’Amir Al Mouminine, n’ordonne pas la charité, il institutionnalise la purification, ajoute-il. Et ce déplacement sémantique change tout : l’aumône devient devoir, la transparence devient piété, la redistribution devient un acte de foi civique.

De la Zakât à la réforme politique

Ce n’est pas un hasard si, dans la foulée de cette fatwa, le Souverain a annoncé des réformes politiques majeures : moralisation des élections, exclusion des figures dont la probité a été mise en cause, rajeunissement du personnel politique, et surtout réhabilitation de la confiance.
Deux fronts parallèles, celui de la morale financière et celui de la probité politique, convergent vers un même horizon : restaurer la crédibilité du jeu politique.

Et dans ce mouvement, la génération Z, celle qu’on disait perdue, marginalisée, sans foi ni repères, pourrait bien être le bénéficiaire inattendu. Car ce Maroc qui se reconstruit sous leurs yeux n’est pas celui de leurs parents : c’est un Maroc qui s’assume moderne sans renier sa spiritualité, réformiste sans rompre avec sa tradition.

Le Maroc, entre raison et foi

Que cette lecture de la fatwa sur Zakat soit juste ou approximative, j’y vois un projet global, presque organique. Car, il y a une constance, le Maroc du Roi Mohammed VI n’oppose pas l’économique au spirituel, ni le social au religieux.
Il les emboîte. Il les tisse.
La Zakât, hier concept lointain, devient un instrument d’équité.
La jeunesse, hier révoltée, devient un moteur de renouveau.
L’État, hier gestionnaire, devient un bâtisseur de sens.

Et dans ce pays qui avance par séquences, parfois dans le silence, parfois dans la fureur, une idée s’impose peu à peu : le Maroc social sera aussi un Maroc moral.

Fatwa royale sur la Zakât : un allignement sur l’économie réelle

Contexte
Approuvée par le Roi Mohammed VI en sa qualité d’Amir Al Mouminine, la fatwa du Conseil supérieur des oulémas (24 octobre 2025) actualise la Zakât pour l’adapter à l’économie contemporaine.
→ Référence : école malikite
→ Objectif : étendre la Zakât à tous les secteurs productifs.

Biens soumis à la Zakât
1. Agriculture
Nissab : 653 kg (300 Saʿa)
Taux : 10 % si pluie / 5 % si irrigation payante
Versement : à la récolte

2. Élevage
Chameaux : 5 têtes
Vaches : 30
Ovins/Caprins : 40
Versement : après un an

3. Biens commerciaux et monétaires
Nissab :
Or : 85 g (68 000 DH)
Argent : 595 g (7 400 DH)
Taux : 2,5 % sur la valeur nette après charges
Versement : chaque année

4. Industrie & services
Inclut : santé, banque, assurances, juridique, publicité, tech, arts…
Taux : 2,5 % sur les revenus nets annuels

5. Salaires
Applicables dès que le revenu net atteint le nissab
Déduction : dépenses essentielles ( 3 266 DH/mois)
Exemple : 120 000 DH/an → Zakât = 2 020 DH

Moment du versement
Agriculture : à la récolte
Élevage : après un an
Commerce & Industrie : chaque année sur revenu net
Mines : dès l’extraction

Bénéficiaires selon la sourate At-Tawba (9:60)
Pauvres (fuqarâʾ)
Nécessiteux (masâkîn)
Gestionnaires de la Zakât
Endettés, voyageurs, causes d’intérêt public (fî sabîl Allâh)
Priorité absolue : les besoins essentiels des plus vulnérables
Exclus : parents à charge, enfants mineurs, épouse
Biens de luxe : soumis à la Zakât uniquement s’ils sont vendus

Portée stratégique
Cette fatwa fonde la première architecture doctrinale et financière de la Zakât au Maroc moderne.
→ Elle établit un cadre clair, chiffré et sectorisé.
→ Elle ouvre la voie à un Fonds national de la Zakât, supervisé par le Conseil supérieur des oulémas, garantissant transparence, équité et impact social.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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