Selon des médias égyptiens, citant un haut responsable sécuritaire, Le Caire étudie la possibilité d’interdire l’application américaine “Discord”, devenue ces dernières années un outil privilégié pour l’organisation et la communication de mouvements contestataires.
Selon la même source, cette décision serait motivée par les enseignements tirés de l’expérience au Népal et au Maroc, où la plateforme a été largement utilisée par des jeunes pour coordonner des mobilisations et échapper à la surveillance des services de sécurité.
L’alerte aurait été déclenchée après l’apparition de campagnes en ligne appelant les jeunes Égyptiens à rejoindre Discord, présenté comme un espace sûr de discussion et de coordination. Les autorités considèrent ce phénomène comme une menace directe à la sécurité nationale, dans un contexte de tensions sociales alimentées par une grave crise économique et sociale.
Un précédent en Turquie et en Russie
L’Égypte ne serait pas le premier pays à s’attaquer à Discord.
En Turquie, les autorités ont bloqué la plateforme en octobre 2024, invoquant la protection de la jeunesse contre des contenus jugés dangereux. La presse locale avait alors rapporté que certains utilisateurs s’étaient réjouis publiquement d’un double meurtre commis à Istanbul et que d’autres avaient exploité la messagerie pour harceler des mineurs.
La Russie a également décidé d’interdire Discord, presque en même temps qu’Ankara. Le régulateur Roskomnadzor l’a accusée de servir à des activités “terroristes et extrémistes”. Lequel blocage a suscité de vives critiques, y compris parmi les blogueurs militaires prorégime, qui rappelaient que l’armée russe utilisait massivement l’application pour coordonner ses unités sur le front ukrainien.
Discord, du jeu vidéo à la contestation sociale
Créée en 2015 pour offrir aux amateurs de jeux vidéo un espace de discussion vocale fluide, Discord a rapidement élargi son champ d’usage. Ses serveurs, capables d’accueillir des centaines de milliers d’utilisateurs en simultané, combinés à des fonctions de texte, audio, vidéo, partage d’écran et modération, en font aujourd’hui une plateforme hybride : à la fois réseau social, salle de réunion virtuelle et outil d’organisation collective.
Au Népal, un serveur baptisé Youths Against Corruption a servi de centre névralgique à un vaste mouvement de contestation qui a finalement entraîné la chute du gouvernement.
Au Maroc, le collectif GenZ212 a transformé Discord en quartier général numérique, structurant ses rassemblements, fixant ses consignes de non-violence et organisant même des votes internes pour décider de la poursuite du mouvement. Le serveur, passé de quelques centaines à plus de 150 000 membres, illustre la puissance organisationnelle que la plateforme peut offrir à une génération en quête de nouveaux moyens d’expression politique.
Née comme une simple application pour gamers, Discord s’est transformée en un véritable instrument stratégique entre les mains de la jeunesse mondiale. Elle incarne un espace horizontal, participatif et insaisissable, perçu comme un symbole d’émancipation face aux canaux traditionnels de communication. Mais cet eldorado numérique est aussi devenu un terrain fertile pour les guerres d’ingérence, où l’anonymat et les algorithmes en font une arme redoutable de mobilisation rapide et de manipulation subtile.