Il y a dans la politique marocaine une règle non écrite, presque sacrée : aucun chef de gouvernement n’a jamais effectué deux mandats successifs. Ni Benkirane, ni Abbas El Fassi, ni même les technocrates les plus adoubés. Tous ont eu droit à un mandat, jamais deux.
Et Aziz Akhannouch, longtemps porté par son écosystème oligarchique et la solidité de sa majorité, voit aujourd’hui cette architecture se fissurer sous la pression de la rue. Les appels à sa démission se multiplient, la colère monte, et l’usure politique s’installe.
Non pas parce qu’il manquerait de relais institutionnels, mais parce qu’il fait désormais face à une crise de légitimité sans précédent, où la question n’est plus de savoir s’il rempilera, mais s’il tiendra jusqu’à la fin du mandat.
Une constante politique : le temps du mandat unique
Depuis l’instauration du gouvernement parlementaire moderne, le Maroc n’a jamais reconduit un chef de gouvernement. L’histoire politique du Royaume, marquée par la verticalité du pouvoir et la recherche d’équilibre entre les institutions, ne tolère pas la routine à la primature.
Chaque chef incarne un cycle : celui de la confiance, de la mise en œuvre et du relais. La reconduction d’un Premier ministre ne s’est jamais produite, non pas par sanction, mais par logique institutionnelle. Le changement de tête du gouvernement, au Maroc, est une manière de préserver la stabilité sans la rigidifier.
Aujourd’hui pourtant, le cycle Akhannouch pourrait se clore plus tôt que prévu. La légitimité électorale de 2021 s’effrite, la majorité s’étiole, et la rue impose un calendrier que la Constitution n’avait pas anticipé.
Akhannouch face à la mécanique du pouvoir et le rejet de la jeunesse
Aziz Akhannouch a incarné un moment : celui de la stabilisation post-pandémie, du déploiement des grands chantiers royaux et de la relance des investissements.
Mais depuis l’automne 2025, tout s’est inversé. Le mouvement GenZ212, né sur les réseaux sociaux, a cessé d’être une agitation marginale pour devenir une onde politique structurée.
Des milliers de jeunes Marocains, connectés, informés et déterminés, réclament la démission immédiate du chef du gouvernement, symbole à leurs yeux d’un système économique fermé, inégalitaire et déconnecté du quotidien.
Les slogans sont sans ambiguïté : « Akhannouch dégage ! », « Nous ne voulons pas de stades, mais des hôpitaux ! » Ce ne sont plus des revendications sociales : c’est une crise de représentation.
Le Premier ministre, autrefois incarnation de la réussite marocaine, est devenu avec Aziz Akhannouch le visage d’une fonction en perte de légitimité. Sa communication se retourne contre lui. Chaque mot prononcé est disséqué, moqué, amplifié. Les ministres sont décriés, les partis de la majorité s’éloignent, et certains alliés se préparent déjà à la recomposition.
Akhannouch se retrouve seul, au centre d’une tempête politique et générationnelle.
La «règle du mandat unique» n’est plus une constante historique : elle se transforme en issue de secours. Dans un système où la stabilité passe avant tout, un remaniement profond, voire un changement de chef du gouvernement, apparaît désormais comme un scénario plausible.
Un pouvoir qui se renouvelle sans se renier
Au Maroc, le changement de chef du gouvernement ne signifie pas rupture du cap royal. C’est souvent une recomposition à l’intérieur du même projet d’État. L’alternance n’est pas idéologique, elle est fonctionnelle.
Quand le cycle d’un chef touche à sa fin, le système prépare la relève : nouveaux visages, nouvelle énergie, même continuité stratégique. Le Royaume a sa propre horloge, réglée sur la stabilité et la symbolique du mouvement.