Alors que l’Algérie peut compter sur une abondance gazière pour sécuriser son réseau électrique, le Maroc, pays non-producteur, s’impose discrètement comme un cas d’école en matière de résilience énergétique. Le contraste est saisissant. C’est ce que rapporte un dernier rapport d’un cabinet de conseil spécialisé basé à Washington.
Un réseau électrique solide sans rente fossile
Le dernier rapport publié par la plateforme spécialisée Attaqa.net (4 juin 2025), met en lumière la stabilité des réseaux électriques en Afrique du Nord. Deux trajectoires émergent : celle de l’Algérie, soutenue par ses ressources naturelles, et celle du Maroc, bâtie sur la stratégie.
Alors que le Maroc ne dispose ni de champs gaziers ni de production pétrolière, il parvient à maintenir un réseau stable, sans délestage, ni pic critique, ni surcharge. Sa capacité installée est de 12 000 MW pour une demande de pointe oscillant entre 7 500 et 8 000 MW, ce qui lui garantit une marge opérationnelle confortable.
Mais c’est le mix énergétique qui constitue la véritable clé de voûte du système marocain :
- Charbon : 64 %
- Éolien : 15,5 %
- Gaz naturel : 10 % (importé)
- Solaire : 5,1 %
- Fuel/Diesel : 3,8 %
- Hydraulique : 1,2 %
Ce mix n’est pas un choix de circonstance, c’est un pari structurant, engagé il y a plus de quinze ans, qui produit aujourd’hui ses effets.
L’Algérie, stabilité sous perfusion gazière
À première vue, l’Algérie affiche aussi un réseau stable. Sa capacité installée est plus du double de celle du Maroc (25 500 MW), pour une consommation estimée cet été entre 17 400 et 17 700 MW. Aucun incident majeur n’est signalé, mais l’équilibre repose entièrement sur l’injection massive de gaz naturel dans les centrales thermiques.
Ce modèle, hérité de la rente, n’est ni diversifié, ni préparé aux chocs externes. À l’instar de l’Égypte ou de la Jordanie, l’Algérie partage une vulnérabilité systémique : une dépendance exclusive à une ressource unique, dont le cours et la disponibilité échappent au contrôle national sur le long terme.
Le paradoxe marocain : dépendant mais souverain
Le Maroc importe 100 % du gaz qu’il consomme pour produire de l’électricité. Après l’arrêt unilatéral par Alger du Gazoduc Maghreb-Europe en 2021, beaucoup prédisaient un effondrement de l’équilibre énergétique du Royaume. Il n’en fut rien.
Au contraire, Rabat a :
- renégocié des contrats avec Shell pour sécuriser du GNL,
- établi une logistique de regazéification via ses ports atlantiques,
- et surtout mis en service un mécanisme d’inversion du gazoduc vers l’Espagne, permettant un flux bidirectionnel.
Résultat : une souveraineté énergétique sans production, mais avec maîtrise logistique, diplomatique et technologique.
Exporter de l’électricité, malgré tout
Autre différence de taille : le Maroc exporte de l’électricité. Vers l’Espagne et le Portugal, à travers l’interconnexion euro-marocaine. Lors des pannes ibériques récentes, la flexibilité du réseau marocain a permis une reprise accélérée des flux vers le sud de l’Europe, positionnant le Royaume comme un acteur énergétique crédible, intégré à l’espace euro-méditerranéen.
À l’inverse, l’Algérie exporte uniquement 500 MW/jour vers la Tunisie, via un accord bilatéral. Aucun rôle de stabilisateur régional n’y est observé.
Et ailleurs ? La fragmentation énergétique arabe
Le rapport d’Attaqa ne se limite pas au Maghreb. Il dresse un état des lieux sévère :
- Libye, Syrie, Yémen, Soudan : réseaux détruits ou obsolètes, production fragmentaire, usages cantonnés à la survie domestique.
- Égypte, Jordanie : stabilité apparente, mais exposition extrême à la volatilité du gaz et à la pression des pics de consommation estivaux.
- Le recours croissant à l’énergie solaire dans ces pays n’est pas un choix stratégique, mais une réponse contrainte à l’absence d’alternative.
La rente n’est plus une assurance
Le Maroc montre qu’il est possible d’assurer la stabilité d’un réseau électrique national sans ressources naturelles, à condition d’en faire une affaire d’État, de souveraineté, et non de rente.
L’Algérie, en comparaison, donne l’illusion de la stabilité. Elle reste cependant structurellement exposée à une triple dépendance : énergétique, budgétaire et technologique.
Dans la compétition silencieuse des modèles énergétiques, le Maroc ne gagne pas sur l’abondence des ressources, mais sur la vision et l’intélligence systèmique.