Arnaque aux panneaux solaires : l’alerte de Younes Maamar, l’addition pour les Marocains, et les signaux venus d’ailleurs

L’ancien directeur général de l’Office National de l’Électricité (ONE), Younes Maamar, a récemment alerté sur une fraude présumée dans les importations massives de panneaux solaires chinois : des panneaux vendus comme ayant une certaine puissance (ex. sur les fiches techniques, certificats, ou documents d’importation) mais qui, dans la réalité, délivrent jusqu’à 25 % de moins que ce qui est annoncé.

Selon ses calculs, sur les 1 000 MW importés entre juillet 2024 et juin 2025, ce différentiel représenterait près de 250 MW perdus, soit une “gruge” estimée à plusieurs centaines de millions de dirhams au détriment des consommateurs et de l’État (par exemple dans les marchés publics).

Extraits de sa publication :

« Entre juillet 2024 et juin 2025, le Maroc a importé près de 1000 MW de panneaux solaires chinois… »
« Or un phénomène préoccupant s’est établi au Maroc : Des panneaux vendus affichant une puissance donnée… mais dont la puissance réelle est près de 25 % moindre. »
« … 1000 MW importés ça donne plus de 250 MW qui s’évaporent… près de 400 millions de dirhams de gruge, par an, dans les poches des précités et à la charge du consommateur marocain y compris l’État… »
« … quelques dirhams à rembourser et quelques mœurs à sanctionner. »
Pertes estimées : combien ça coûte vraiment ?

Prenons l’hypothèse avancée par M. Younes Maamar : 1 000 MW de panneaux solaires importés en un an.

  • Si ces panneaux délivrent 25 % de moins que prévu, c’est comme si 250 MW disparaissaient dans la nature.
  • En dirhams, cela représente environ 400 millions par an de pertes.

Pour se faire une idée : chaque watt “perdu” revient à environ 1,6 dirham, soit à peu près le prix du marché mondial (0,12–0,20 USD/W). L’estimation tient donc la route.

Concrètement, que signifie cette perte ?

Imaginez un développeur ou une administration qui achète 100 MW de panneaux :

  • Sur le papier, il pense couvrir une certaine capacité.
  • Mais dans les faits, il n’en reçoit que 75 MW réels.

Résultat :

  • L’investissement par mégawatt effectif grimpe d’un tiers.
  • Le temps de retour sur investissement s’allonge d’environ 33 %.

En clair, ce n’est pas seulement une arnaque commerciale : c’est un handicap économique majeur pour le pays et ses projets énergétiques.

Comment peut-on «perdre» 25 % de puissance sur un panneau solaire ?

Un panneau solaire est censé produire une puissance bien précise, mesurée dans ce qu’on appelle les conditions d’essai standard (STC) : une sorte de “test en laboratoire” où tout est contrôlé (température, ensoleillement, orientation). Les fabricants sérieux garantissent que le panneau livré correspond à ce chiffre, car il doit respecter des normes internationales (IEC 61215 et 61730).

Mais il existe une petite ligne sur la fiche technique qui change tout : la «tolérance de puissance».

  • Si elle est positive (par ex. 0 à +5 W), c’est une bonne nouvelle : le panneau donnera toujours au moins ce qui est promis, voire un peu plus.
  • Si la tolérance est négative (par ex. –5 W à +5 W), le panneau peut sortir moins que ce qui est annoncé, et c’est là que les dérives commencent.

Les astuces utilisées par certains fabricants ou distributeurs peu scrupuleux :

  1. Re-étiquetage : on colle une étiquette “400 W” sur un panneau qui n’en délivre que 300 ou 320.
  2. Classement laxiste (“binning”) : on mélange des panneaux “bons” et des panneaux plus faibles dans le même lot.
  3. Lots mélangés : on vend comme premium des modules de seconde qualité.
  4. Certificats trompeurs : le document de conformité ne correspond pas exactement au modèle livré.
Ce qui manque au Maroc aujourd’hui

Un vrai contrôle indépendant :

  • Tests éclair (“flash-tests”) sur des échantillons aléatoires à l’importation et sur site.
  • Audit documentaire : vérifier que la fiche technique, le certificat et le numéro de série du panneau correspondent parfaitement.

Sans ces garde-fous, l’alerte de Younes Maamar reste sérieuse, mais difficile à chiffrer précisément.

Ailleurs dans le monde — le problème prend d’autres formes

Les marchés solaires sont exposés à trois dérives majeures :

  1. Sous-performance / contrefaçon
  • Afrique du Sud : la presse spécialisée et des acteurs du secteur ont alerté sur panneaux contrefaits ou sous-standard vendus par des fournisseurs non enregistrés, alimentant une contre-qualité qui se traduit par des performances inférieures au nominal et des garanties illusoires.
  • Zimbabwe (presse locale) : mises en garde grand public contre produits solaires contrefaits qui “sous-performent” et discréditent l’énergie solaire.
  1. Fraudes d’importation / surfacturation
  • Pakistan : un scandale massif (2024–2025) a révélé sur-facturations et sociétés écrans liées aux importations de panneaux solaires : le fisc (FBR) chiffre le schéma à 375 M USD ; des pénalités record ont suivi contre plusieurs importateurs. Ce n’est pas la même mécanique que la “fausse puissance”, mais c’est la même vulnérabilité : un secteur en hyper-croissance où la vérification fait défaut.
  1. Transparence technologique / sécurité
  • Des enquêtes récentes ont aussi pointé des composants non déclarés dans certains équipements solaires (ex. onduleurs), soulevant des enjeux de confiance et de conformité documentaire (cas rapportés en 2025).
Et maintenant, que faire ?

Pour éviter que le Maroc ne perde chaque année des centaines de millions de dirhams dans des panneaux “sous-performants”, plusieurs garde-fous simples peuvent être mis en place :

  • Contrôler à l’entrée : imposer des tests aléatoires à l’importation, payés par les distributeurs, avec des résultats publiés régulièrement.
  • Verrouiller les appels d’offres publics : exiger des panneaux à tolérance uniquement positive (0/+5 W), une traçabilité par numéro de série, et prévoir des pénalités automatiques si la performance n’est pas au rendez-vous.
  • Écarter les mauvais acteurs : établir une liste noire des fabricants ou distributeurs pris en défaut, partagée entre énergie, commerce et douanes.
  • Responsabiliser la filière locale : lancer un programme de conformité assorti de contrôles inopinés.
  • Former les acheteurs : apprendre aux collectivités, aux entreprises et aux particuliers à lire une fiche technique, à repérer la mention de la “power tolerance” et à exiger des preuves de performance.

Il ne s’agit pas d’inventer de nouvelles règles, mais de faire respecter les standards internationaux déjà connus, de sanctionner les tricheurs et de donner aux consommateurs les moyens de se défendre. Faute de quoi, l’arnaque aux panneaux solaires continuera de coûter cher — en argent, en énergie et en confiance.

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