Driss Koraich à Le1.ma : «La Russie s’aligne désormais sur le réalisme politique incarné par le Maroc»

Le diplomate et universitaire analyse pour Le1.ma la portée stratégique de la rencontre Bourita–Lavrov et le tournant que connaît la position russe sur la question du Sahara.

Dr Driss Koraich, docteur d’État en relations internationales et politique extérieure, ministre plénipotentiaire à la retraite auprès du ministère des Affaires étrangères et ancien diplomate dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, livre à Le1.ma une lecture approfondie du rapprochement maroco-russe à la lumière des récentes déclarations de Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, à l’issue de sa rencontre avec Nasser Bourita à Moscou.

Le1.ma : Vous évoquez un tournant dans la position russe sur le dossier du Sahara. En quoi consiste-t-il exactement ?

Driss Koraich : Les propos de Sergueï Lavrov marquent un changement sémantique et diplomatique significatif. Le fait que la Russie parle désormais du plan d’autonomie comme d’une option politique légitime et conforme aux usages internationauxtraduit une inflexion majeure dans le discours russe.

C’est un alignement implicite sur la vision marocaine, qui repose sur la souveraineté, la stabilité et le dialogue. Ce positionnement est le fruit d’un long processus de confiance mutuelle et de respect historique entre les deux nations.

Le1.ma : Pourtant, Moscou n’a jamais pris de position hostile envers Rabat…

Driss Koraich : C’est exact. La Russie n’a jamais voté ni agi contre les intérêts du Maroc dans les enceintes internationales, que ce soit à l’ONU ou au Conseil de sécurité.

Elle a toujours adopté un neutralisme positif, guidé par une lecture pragmatique et rationnelle des rapports de force, loin de toute logique idéologique.

La politique étrangère russe se distingue par un réalisme analytique : elle préfère les solutions politiques aux postures doctrinaires. C’est ce qui explique sa proximité croissante avec la démarche marocaine.

La confiance et la crédibilité triomphent des manœuvres démasquées.
La Russie fonde sa démarche diplomatique sur des critères pragmatiques et des principes réalistes, guidés par les rapports de force, loin de toute polarisation idéologique rigide.
Elle distingue, dans ses relations extérieures, l’ami du simple client commercial, l’État-nation doté d’une profondeur civilisationnelle et culturelle de l’État encore en quête de son identité et de sa raison d’être, un État sans culture.
Cette distinction consacre désormais l’engagement explicite de Moscou dans la dynamique de soutien à la vision marocaine, un soutien issu de la confiance et de la crédibilité qui ont toujours caractérisé les relations historiques entre les deux pays.
La Russie, en effet, n’a jamais adopté, dans aucun forum international, une position hostile au Maroc.
Une déclaration qui ouvre la voie à un règlement définitif du conflit artificiel.
Driss KoraichDr Driss Koraich

Le1.ma : Que révèle le ton de la rencontre entre Nasser Bourita et Sergueï Lavrov ?

Driss Koraich : Cette rencontre a mis en lumière une convergence stratégique sur plusieurs dossiers régionaux, notamment la sécurité en Afrique du Nord et au Sahel.

Lavrov a souligné la nécessité de solutions politiques réalistes et mutuellement acceptables, une formule diplomatique qui épouse l’esprit du plan d’autonomie marocain.

Il faut aussi comprendre que les réserves russes observées lors de débats passés ne traduisaient pas une opposition au Maroc, mais un rejet du monopole occidental, en particulier américain, sur la formulation des résolutions onusiennes.

Le1.ma : Vous insistez sur la profondeur historique de la relation entre les deux pays…

Driss Koraich : En effet. Les liens maroco-russes remontent au XVIIIᵉ siècle. En 1777, le sultan Mohammed III a conclu avec l’impératrice Catherine II un accord d’une portée humanitaire exceptionnelle : il autorisait les navires russes à inhumer leurs marins décédés en terre marocaine, alors même que l’Empire ottoman l’interdisait sur son territoire.

Ce geste de tolérance et d’humanité a profondément marqué la mémoire russe et posé les fondations d’une relation fondée sur la valeur morale et la confiance plutôt que sur les seuls intérêts politiques.

Même durant la période soviétique, les relations bilatérales sont restées stables et respectueuses, preuve de leur solidité.

Le1.ma : Comment cette relation s’est-elle consolidée à l’époque contemporaine ?

Driss Koraich : La visite historique de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Moscou en 2016 a été un tournant. Elle a inscrit les relations dans un cadre de partenariat stratégique durable.

Depuis, la Russie agit avec constance et loyauté envers le Maroc.

Les cimetières russes de Rabat et Casablanca, ou encore l’église orthodoxe érigée sur le sol marocain, sont des symboles tangibles de cette continuité historique.

Aux yeux de Moscou, le Maroc n’est pas un simple acteur régional, mais une civilisation souveraine et digne de respect.

Le1.ma : Et dans le contexte géopolitique actuel, comment interprétez-vous ce rapprochement ?

Driss Koraich : Nous vivons une recomposition profonde des équilibres régionaux.

La Russie voit désormais dans le Maroc un partenaire stratégique, stable et crédible, capable de contribuer à la sécurité et à la prospérité du continent africain.

À l’inverse, l’Algérie reste pour Moscou un client militaire, non un allié politique.

Malgré les milliards dépensés en armement et en soutien à la thèse séparatiste, Alger a perdu son crédit diplomatique, prisonnière d’un discours figé et conflictuel.

La Russie, pragmatique, distingue aujourd’hui entre un partenaire d’avenir, le Maroc, et un partenaire du passé, l’Algérie.

Le1.ma : Peut-on considérer que la Russie rejoint le consensus international autour du plan d’autonomie marocain ?

Driss Koraich : Oui, c’est de plus en plus évident.

Le consensus mondial glisse vers la reconnaissance du plan d’autonomie comme unique base sérieuse, crédible et réaliste de règlement du différend.

La Russie, tout en gardant sa posture d’équilibre, rejoint cette logique de réalisme politique.

Elle considère désormais le Maroc comme une porte d’entrée vers l’Afrique et un acteur de médiation essentiel dans la stabilité du continent.

Le1.ma : En conclusion, quelle lecture faites-vous de cette évolution ?

Driss Koraich : Cette visite de Nasser Bourita à Moscou représente une inflexion historique.

Elle symbolise la maturation d’une relation stratégique fondée sur la confiance et la lucidité.

La Russie ne cherche plus à ménager les postures, mais à s’aligner sur le réel, et le réel, aujourd’hui, c’est la solidité du modèle marocain.

C’est, pour reprendre vos mots, le triomphe du pragmatisme sur les idéologies.


Propos recueillis par Le1.ma

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

Les plus lus

Le Maroc ne cherche pas des boucs émissaires, il cherche la justesse : le cas Akdital

Ressortie ce mardi, une information datant de juin a...

Report du Conseil de gouvernement : vers un Conseil des ministres imminent présidé par le Roi

Le Conseil de gouvernement hebdomadaire, prévu ce jeudi 16 octobre, a été...

À Rabat, N.A.M.E invente la fête consciente : entre luxe, musique et énergie féminine

Né de la vision de deux Marocaines cosmopolites, Nezha Bernoussi et Amina...

Qui est Miriam Adelson, la milliardaire qui a façonné la politique de Trump envers Israël ?

Lors de son discours à la Knesset, le président...

Déclaration de Sergueï Lavrov lors de ses entretiens avec Nasser Bourita à Moscou

Déclaration du ministre des Affaires étrangères de la Fédération...

John Bolton, le faucon déchu de Trump, inculpé pour secrets d’État

L’ancien conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, John...

Report du Conseil de gouvernement : vers un Conseil des ministres imminent présidé par le Roi

Le Conseil de gouvernement hebdomadaire, prévu ce jeudi 16 octobre, a été...

À Rabat, N.A.M.E invente la fête consciente : entre luxe, musique et énergie féminine

Né de la vision de deux Marocaines cosmopolites, Nezha Bernoussi et Amina...

Related Articles

Focus Thématiques

[