« Ici, on investit ! » ont scandé à l'unisson, la semaine dernière, les organisateurs et les 2200 participants du très attendu Forum International Afrique Développement (FIAD), venus de trente pays du continent. Leurs regards se rejoignaient aussi en choeur : « Ici, on se retrouve », « Ici, on se rassure », « Ici, on dissipe les peurs et les préjugés », « Ici, on renforce nos liens », « Ici, on fertilise le sol de notre continent », « Ici, on est chez nous ».
Avec l’implacable organisation du FIAD 2024, Mohamed El Kettani, PDG d’Attijariwafa bank, a réussi le pari de reconnecter les liens d’affaires et humains entre les femmes et les hommes de son vaste réseau d’acteurs économiques du continent, que la pandémie avait contraints à quatre années d’éloignement physique. Il a également repris en main le narratif de l’engagement du Royaume sur le continent, engagement que le Roi Mohammed VI incarne par son implication personnelle, ses visites officielles et privées, ainsi que par les accords bilatéraux stratégiques et révolutionnaires qu’il a initiés.
M. El Kettani a souhaité que cette édition soit un véritable rendez-vous d’action, en choisissant une thématique incitant à l’initiative et à la dynamisation de l’investissement intra-africain. Il n’a pas manqué d’insister auprès de ses invités qu’au vu de la conjoncture mondiale, le moment est crucial pour briser le plafond de verre et changer d’échelle pour le continent. « L’Afrique n’a plus de temps », a-t-il martelé. « Il faut que nous accélérions ! ».
Mohamed El Kettani est au monde de la finance marocaine ce qu’Omar Hilale est à la diplomatie : un leader charismatique doté d'une forte identité marocaine, humble dans son approche, mais capable d'inspirer une confiance inébranlable. Face à Rachid Hallaouy, interviewer aguéri, M. El Kettani s'est montré incisif et franc. Une posture et une assurance qui ne laissent aucun doute sur l'engagement et la détermination du groupe Attijariwafa bank, ainsi que de son actionnaire de référence, Al Mada, à suivre la vision stratégique tracée par le Roi Mohammed VI pour renforcer durablement les liens économiques, culturels et sociaux avec notre continent.
Dans cet entretien, M. El Kettani partage des perspectives cruciales sur l’avenir des investissements en Afrique, l’importance des partenariats public-privé, l'urgence de réduire la perception négative du risque en Afrique, et comment le Maroc continue de jouer un rôle central dans le développement économique africain. «Le continent africain a démontré sa résilience en enregistrant les taux de croissance les plus élevés à l'échelle mondiale, malgré les perturbations économiques mondiales,» a-t-il déclaré. Face aux défis géopolitiques et économiques, le choix du thème s’imposait de lui-même.
Partenariats publics-privés et mobilisation des capitaux
Mohammed El Kettani a mis en avant l'importance des partenariats publics-privés pour financer les grands projets d'infrastructure. «Les PPP, avec une bonne gouvernance institutionnelle et un cadre réglementaire transparent, connaissent un succès croissant,» a-t-il expliqué, citant le Maroc comme modèle en la matière. L'accent a également été mis sur la nécessité de moderniser les marchés des capitaux africains pour mobiliser l'épargne locale et attirer des financements en devises. «La mobilisation de l'épargne longue reste limitée, mais elle est cruciale pour financer les investissements productifs,» a-t-il ajouté.
Perception et réalité du risque africain
Un des débats centraux du FIAD 2024 a été la perception du risque en Afrique, souvent décalée par rapport à la réalité. El Kettani a souligné que malgré les défis, les investissements en Afrique peuvent être très rentables. «Nous avons acquis 15 banques en Afrique ces 15 dernières années et nos investissements se développent sur des bases rentables,» a-t-il affirmé.
Tous les investisseurs internationaux qui ont investi au niveau du continent africain, à ma connaissance, en tant que banquier de multinationales et en tant que banquier d'un certain nombre de grands opérateurs internationaux qui ont investi en Afrique, aucun d'eux n'a perdu de l'argent et ils dégagent des rentabilités très intéressantes au niveau du continent africain.
Au sujet du désengagement de certaines banques européennes notamment françaises du continent, M. Kettani a affirmé en sa qualité de banquier de multinationales et de grands groupes mondiaux, les affaires en Afrique étaient bien rentables et que ce retrait devait être en relation avec une concentration stratégique sur leur core métier et les exigences prudentielles de plus en plus stricts depuis la crise financière de 2008.
Maintenant, les stratégies de certaines grandes banques internationales, aujourd'hui, peut-être c'est des stratégies respectables qui concernent ces banques. Peut-être c'est un repositionnement sur les marchés cœurs qu'ils ont et sur lesquels ils doivent consacrer et allouer les fonds propres nécessaires. Parce qu'il ne faut pas oublier que la régulation prudentielle devient très contraignante au niveau des fonds propres qui sont alloués pour développer les activités.
L'Afrique n'a plus de temps, il faut qu'on accélère
Mohamed El Kettani a souligné de manière franche et directe l'urgence pour l'Afrique d'accélérer son développement. Il a affirmé : «L'Afrique n'a plus de temps, il faut qu'on accélère.» Cette déclaration reflète sa conviction que dans un monde en constante évolution et confronté à de multiples crises, les nations africaines doivent intensifier leurs efforts pour répondre aux défis et saisir les opportunités de croissance économique. Il a rappelé le concept de «monde de polycrises», un terme utilisé lors de récentes assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale à Marrakech, soulignant ainsi l'importance d'une action rapide et décisive pour l'Afrique.
Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf)
La Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf) a également été un sujet clé des discussions, perçue comme un levier pour le développement industriel et l'intégration économique du continent. «Constituer une zone de libre-échange continentale n'est pas une œuvre facile, mais il y a une volonté politique forte,» a déclaré El Kettani.
M. El Kettani a également abordé les défis de communication et d'engagement des opérateurs économiques face à la ZLECAf : «Il y a eu la mise en place du secrétariat général, et le secrétaire général était présent durant l'événement avec une délégation de 22 collaborateurs seniors. Ils sont venus parce qu'en interagissant avec eux il y a plusieurs mois de cela pour préparer le forum d'aujourd'hui, on leur a dit que la ZLECAf demeure un concept abstrait dans l'esprit des opérateurs économiques du secteur privé. Ils se posent beaucoup de questions.»
Il a insisté sur l'importance d'une approche didactique pour rassurer les opérateurs économiques et promouvoir la transformation des matières premières africaines, notamment à travers des initiatives comme le fonds d'investissement de 1 milliard de dollars destiné à accélérer l'industrialisation et la transformation des matières premières africaines. Attijariwafa Bank s'engage activement dans cette démarche en coopération avec la ZLECAf pour informer et soutenir les entreprises africaines dans leur préparation à l'ouverture des frontières inter-pays.
Le succès record du FIAD 2024
Post-Covid et post-crise russo-ukrainienne, comme l'a souligné Mohamed El Kettani, les organisateurs du forum s'attendaient à accueillir entre 1200 et 1400 inscriptions, avec potentiellement 3000 rendez-vous B2B. Mais cette 7e édition du FIAD a battu tous les records avec 2200 participants et plus de 6000 rendez-vous B2B.
Il a salué le travail exceptionnel de ses équipes, épaulées par l'actionnaire de référence, le fonds d'investissement panafricain Al Mada et les filiales commerciales d'Attijariwafa bank, qui ont assuré l'accompagnement des délégations. Près de 200 acteurs économiques privés d'Égypte ont répondu présents, accompagnés de 185 opérateurs économiques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives en Afrique francophone, a-t-il précisé.
Le Forum Afrique Développement, selon Mohamed El Kettani, témoigne d'une confiance accrue des acteurs du secteur privé africain envers leurs pairs, un élément crucial pour l'avenir économique du continent. Laquelle confiance s'est matérialisée au FIAD 2024 par l'organisation d'un marché de l'investissement mettant en avant 11 pays, avec la participation de leurs agences de promotion de l'investissement et les contributions enrichissantes des ministres lors des panels.
Un Palais des Congrès à Casablanca, un impératif !
Mohamed El Kettani a illustré la forte attractivité de l'Afrique en matière d'investissement et de dialogue intercontinental. Il a expliqué : «On a arrêté les inscriptions payantes à 2200 participants, c'était le plafond. On a arrêté les inscriptions parce qu'on n'avait pas un palais des congrès pouvant accueillir 5000 à 6000 opérateurs africains et internationaux.»
La saturation de la capacité d'accueil de Casablanca souligne la demande exponentielle parmi les acteurs du secteur privé africain et international de dialoguer, échanger et investir sur le continent.
«Le continent attire de plus en plus d'acteurs économiques internationaux. En 2050, un habitant sur quatre sera africain. On ne peut pas ignorer un tel marché,» a souligné El Kettani. Le forum a servi de plateforme pragmatique pour concrétiser des deals et favoriser le commerce intra-africain.