«Les incohérences des Sophistes» : Quand la plume de Toufiq dissipe les ombres de l’illusion et démasque l’opportunisme

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Au cœur des tumultes d’un débat qui aurait pu paraître superficiel, Ahmed Toufiq, ministre des Affaires islamiques, nous a gratifiés d’une épître d’une profondeur rare. Ce texte, rappelant les écrits des grands penseurs comme Al-Ghazali — avec qui il partage le soufisme savant et raffiné ainsi que l’adhésion à la doctrine Asharite —, transcende les polémiques médiatico-politiciennes pour poser les jalons d’une réflexion ontologique sur l’identité marocaine et sa spécificité spirituelle.

Rédigé dans une langue pure et empreint d’une érudition lumineuse, le texte de Toufiq évoque l’esprit d’Al-Ghazali confrontant les incohérences de ses contemporains. Il offre une analyse incisive et lyrique des tensions entre tradition, modernité et politique, inscrivant son propos dans une quête de vérité qui dépasse la simple rhétorique.

Si Ahmed Toufiq, tel un héritier du mystique savant sus-cité, réfutant les prétentions des philosophes dans L’Incohérence des philosophes, (تهافت الفلاسفة), s’est exprimé avec hauteur et profondeur, son adversaire, Abdelilah Benkirane, a choisi un tout autre registre : la lâcheté. Pariant sur le devoirs de réserve attendu du ministre, il a esquivé l’essence même du débat.

Alors que l’on espérait enfin une élévation intellectuelle de la joute politique, un essai sur les pas d’Ibn Rushd et de son « Incohérence des incohérences », Benkirane s’est contenté d’une défense surprenante par sa légèreté publiée sur sa page Facebook. Sa réponse, teintée de formalisme et de dérobade, révèle une paresse intellectuelle qui renonce à toute confrontation avec les idées de son interlocuteur.

Une plainte adressée à la sagesse divine

Toufiq entame son épître par une mise en scène inhabituelle : une plainte adressée à Dieu, où Benkirane est convié en témoin indirect. Dans une prose à la fois douce et incisive, il souligne que ce dernier a laissé entendre, à tort, que ses propos auraient affirmé la laïcité de l’État marocain. Or, affirme-t-il, une telle déclaration n’a jamais été formulée, et aucune mention explicite de l’État n’a été faite. Toufiq rappelle également qu’il s’acquitte humblement, depuis plus de deux décennies, de son service dans la gestion des affaires religieuses, sous l’égide d’«Imarat Al-Mouminine» (Commanderie des croyants).

Une accusation sans vérification : l’arrogance mise à nu

Ahmed Toufiq accuse également le secrétaire général du PJD d’un manquement grave à l’éthique : accuser sans chercher la vérité. Il critique Benkirane pour ne pas avoir pris l’initiative de le consulter afin de clarifier ses intentions, préférant au contraire le condamner publiquement.

Toufiq dénonce cette interprétation erronée de ses propos, qu’il qualifie de preuve d’arrogance et de dérive calomnieuse.

La dénonciation du système laïc tout en y participant : une contradiction manifeste

Ahmed Toufiq élargit son analyse à la structure même de l’engagement politique d’Abdelilah Benkirane, en soulignant avec une ironie cinglante l’incohérence fondamentale de ses critiques. Tout en dénonçant les principes de la laïcité, Benkirane a exercé ses fonctions dans un système qui s’appuie largement sur des bases laïques. Parmi les exemples éloquents cités par Toufiq :

  • L’égalité des votes lors des élections, indépendamment des croyances religieuses des électeurs, un principe fondamental des démocraties modernes.
  • La législation basée sur des intérêts rationnels, et non sur des textes religieux, soumise au vote du Parlement.
  • Les alliances politiques, obligeant à collaborer avec des partenaires aux convictions religieuses divergentes.
  • La protection des libertés individuelles, telles qu’inscrites dans la Constitution marocaine et encadrées par l’ordre public.

Toufiq souligne que, sans l’Imamat des croyants pour garantir les fondements de la foi et des pratiques religieuses, le Maroc pourrait sombrer dans une laïcité où la seule référence serait la majorité. «Tout cela se déroule dans notre royaume en harmonie et en sécurité parce que l’Imamat des croyants protège les fondements et les éléments essentiels de la religion,» écrit-il, mettant en lumière l’équilibre subtil et unique du modèle marocain.

L’ambivalence de Benkirane face à la modernité occidentale

Toufiq s’attarde également sur la relation ambivalente de Benkirane avec la modernité. Bien qu’il critique les influences occidentales, son action politique démontre une intégration tacite des pratiques issues de ces systèmes. Les lois adoptées au Parlement, les réformes de citoyenneté ou encore les mécanismes de gouvernance reflètent clairement ces emprunts. Toufiq souligne que ces pratiques, adoptées sous le prisme du «progrès», ne sont souvent pas reconnues comme telles.

Il va plus loin en soulignant que ces influences ne sont pas nécessairement incompatibles avec les valeurs islamiques, mais nécessitent une réflexion et une appropriation honnêtes. «Nous vivons dans des circonstances complexes que nous ne comprenons pas pleinement ni ne maîtrisons véritablement,» écrit-il, dénonçant le manque de maturité politique et les postures de façade qui privilégient l’hypocrisie à la sincérité.

Toufiq conclut en rappelant que les valeurs rationnelles et l’effort d’interprétation (ijtihad) doivent prévaloir dans un cadre où la liberté de religion est fondamentale en Islam. Grâce à l’Imamat des croyants, ces valeurs sociétales et religieuses cohabitent dans une harmonie qui serait impossible sans ce cadre unique.

La religion transformée en slogan politique : entre hypocrisie et opportunisme

Dans une critique d’une rare intensité, Toufiq accuse Benkirane d’avoir exposé la religion aux faiblesses humaines en la transformant en outil de séduction politique. Pour lui, ce glissement compromet la sacralité de la foi et la réduit à un simple moyen de polarisation électorale. Il rappelle que la religion n’est pas un slogan à brandir, mais une éthique à vivre au quotidien.

Il illustre son propos en évoquant un moment de gravité partagée : le décès de M. Abdallah Baha, ancien ministre d’État et proche allié de Benkirane. À cette occasion, il lui avait confié une réflexion empreinte de sagesse : «La prudence en politique consiste à travailler dans la transparence et à convaincre par ses réalisations, plutôt que d’exposer la religion aux faiblesses humaines en la transformant en slogans de séduction ou d’instrumentalisation.» 

La confusion sur le concept de laïcité : un manque de compréhension

Ahmed Toufiq évoque un échange avec le ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau, qu’il qualifie de «responsable avisé» qui connaît bien le Maroc et qui est de surcroît «croyant». Cependant, il souligne que ce dernier vit dans un système où la religion n’est pas perçue comme un besoin essentiel que l’État doit protéger, mais plutôt comme une affaire laissée à la libre orientation de chacun.

Par cet exemple concret, il illustre la diversité des conceptions de la laïcité et prépare le terrain pour une critique plus large. 

Pour cela, Toufiq insiste sur une nuance cruciale : en arabe, le mot «laïcité» est souvent associé à l’athéisme, une confusion qu’il s’efforce de dissiper en recourant au terme latin «Secularism», un concept qui, dans son essence, ne nie pas la foi, mais vise à séparer la sphère religieuse de celle de l’organisation étatique.

Dans sa lancée, notre érudit accuse Benkirane d’aborder la question de la laïcité sans en comprendre les subtilités philosophiques. Il distingue avec finesse :

  • La laïcité stricte française, née d’une rupture historique avec l’Église. et constitue un cas particulier, souvent difficile à transposer ailleurs.
  • La laïcité inclusive, présente dans d’autres pays occidentaux où l’État prend en compte les besoins religieux des citoyens. Toufiq cite à titre d’exemple l’Allemagne : en 2008, il avait demandé à l’ambassadeur d’Allemagne au Maroc combien l’État allemand collectait officiellement pour financer les besoins religieux. La réponse fut surprenante : en 2006, le montant s’élevait à huit milliards et demi d’euros.

En expliquant ces nuances, Toufiq déconstruit le discours du politicien mettant en évidence que la laïcité n’est pas un concept monolithique, mais une construction politique adaptée aux réalités culturelles de chaque société.

Un modèle marocain singulier

Toufiq s’est interrogé sur la vocation historique du Maroc : celle d’être un pont entre la tradition et la modernité. Il confronte Benkirane à ses propres contradictions : comment peut-on dénoncer un modèle en bénéficiant de ses fruits ?

Le ministre éclaire cette réflexion en décrivant le potentiel du contexte marocain, qui, avec ses racines historiques et ses possibilités présentes, «promet la possibilité de construire un modèle qui résout de nombreuses problématiques intellectuelles auxquelles la communauté musulmane est confrontée, empêtrée dans ses tâtonnements sur la relation entre religion et politique». Mais, précise-t-il avec gravité, cet espoir repose sur un fondement essentiel : l’unicité de Dieu et non sur la démesure des egos, cette forme d’idolâtrie cachée.

Un appel à l’éthique et à l’humilité

Toufiq conclut en rappelant une vérité universelle : le débat sur la religion et la politique est souvent corrompu par l’égoïsme et le manque de sincérité. En s’adressant à Dieu plutôt qu’à son interlocuteur direct, il inscrit cette controverse dans une perspective cosmique, où chaque action humaine est soumise au jugement divin.

«Dieu, qui détermine les affaires des hommes, nous a guidés vers une compréhension des valeurs humaines partagées dans Ses lois universelles de réformation et de corruption,» écrit-il, insistant sur la nécessité de transcender les querelles partisanes pour embrasser une vision plus unificatrice et universelle.

Toufiq utilise également ce moment pour s’adresser directement à Benkirane : « Je partage cette plainte non pas pour vous convaincre – vous savez que je n’argumente pas contre ceux qui colportent des propos –, mais pour que Celui qui entend tout entende, et pour que vous soyez témoin. Peut-être que certains parmi ceux qui ont entendu vos accusations publiques comprendront. »

Un pamphlet pour dénoncer «l’Incohérence des Sophistes»

Toufiq, ministre des Affaires islamiques du Maroc, nous a livré un texte qui dépasse la simple polémique pour interroger les fondements mêmes des rapports entre religion, politique et modernité au Maroc. Avec une prose incisive, il dénonce ce qu’il perçoit comme des dérives calomnieuses et un usage opportuniste de la religion, exposant les contradictions flagrantes de son adversaire.

Il éclaire également une réalité bien plus sombre : un paysage politico-médiatique marqué par l’obsession des effets immédiats, où le vacarme des invectives étouffe toute quête de sens.

Mais cette épître, qui pourrait hériter du titre « l’Incohérence des Sophistes », ne se limite pas à une réfutation personnelle. À l’image d’Al-Ghazali, Toufiq ouvre la voie à une réflexion sociale plus large sur la compréhension de la religion et de la laïcité dans une société marocaine en quête d’équilibre, avec la Commanderie des croyants au centre de ce modèle unique.

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