Après avoir été durant des décennies un des hommes les plus puissants de l’Armée marocaine et des services secrets du royaume, et après avoir loyalement servi à la tête de la DST puis à la Direction générale de la sûreté nationale, on l’avait cru fini un certain jour de septembre 2006 lorsqu’il a été débarqué de son piédestal de la Police pour être nommé Inspecteur général des Forces auxiliaires. Mais ce militaire discipliné et aux nerfs d’acier a su renaître de ses cendres en faisant de son nouveau corps un corps moderne pour lequel il aspirait au meilleur. Mais tout s’arrêta net le 5 septembre 2011 quand il est victime d’un grave accident de voiture sur l’autoroute Marrakech-Casablanca alors qu’il se rendait à Rabat pour assister aux obsèques de la princesse Lalla Aïcha. Aujourd’hui, très affaibli et traînant de lourdes séquelles physiques, il serait sur le point de publier ses Mémoires pour y relater sa longue et riche expérience militaire, diplomatique, sécuritaire et de renseignement. Un témoignage pour l’Histoire.
Mais qui est cet homme qui fait éveiller tant de fantasmes ? Le grand public ne l’a connu réellement qu’après sa nomination à la tête de la DST en 1999 ; il a pourtant à son actif plus de trois décennies de faits d’armes. Quand le 30 septembre 1999 Hamidou Laânigri est nommé à la tête du service du contre-espionnage marocain, le puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri est au crépuscule de son pouvoir. Laânigri, pétillant d’énergie, est pour la première fois de sa carrière exposé aux lumières de la notoriété, lui qui a toujours travaillé dans l’ombre.
Envié, parfois haï, mal-aimé, craint, incompris, le général Laânigri ne fait jamais son travail à moitié. Issu de la mythique Ecole d’Ahermoumou, c’est un soldat qui sait et peut faire face à toute épreuve.
En effet, avant d’atterrir dans le contre-espionnage, le général Hamidou Laânigri venait tout droit du monde de l’espionnage proprement dit, à savoir la Direction générale des Etudes et de la Documentation dirigée à l’époque par le Général Abdelhaq Kadiri dont il était le numéro 2 depuis 1989.
Laânigri le diplomate
Rappelé précipitamment des Emirats Arabes Unis où il a passé plus de 10 ans auprès du Cheikh Zayed Ben Soltane Al-Nahyane, dont il était devenu le «conseiller à la sécurité», il pensait réintégrer la gendarmerie royale, son corps d’origine. Mais le destin en a voulu autrement : il est affecté à la DGED en qualité de directeur adjoint et principal collaborateur du général Abdelhaq Kadiri dont il gagne assez vite la confiance.
Durant les belles années à Abu Dhabi, Laânigri devient un interlocuteur privilégié des services secrets occidentaux et à leur tête la CIA. Il mettra ainsi à profit son riche carnet d’adresses américain pour mener à bien sa mission à la tête de la DST.
Ascension fulgurante
Issu d'une famille modeste de Meknès, Hamidou Laânigri est, tout d’abord, lauréat de l’Ecole des sous-officiers d’Ahermoumou au tout début de l’Indépendance du Maroc. Il est ensuite élève officier de l’Académie militaire de Meknès dont il sort sous-lieutenant. Et c’est grâce au général Driss Benomar que Hamidou Laânigri pourra intégrer la gendarmerie royale dans les rangs de laquelle il fera une brillante carrière. De Tanger à Casablanca en passant par Oujda et Kénitra, il est presque de tous les événements majeurs qu’a connus le Maroc dans son histoire contemporaine. Il est aussi un témoin privilégié des deux putschs avortés contre le Roi Hassan II en 1971 et 1972. Suite au premier coup d’Etat (Skhirat) il est présent durant les interrogatoires de plusieurs des cadets incriminés. Et une année après, suite à l’attaque manquée contre le Boeing royal, il est là, présent, sous les ordres du général Haj Abdessalam Negra quand celui-ci a reçu les instructions d’encercler la base aérienne de Kénitra pour arrêter les présumés putschistes.
En 1973, il se retrouve au cœur des événements dits de Moulay Bouazza sous les ordres du Colonel Hammou Arzaz beau-frère des généraux Ahmed Dlimi et Abdeslam Sefrioui. Sa rigueur et son ambition tapent à l’œil de Hassan II qui le placera désormais sous la coupe de Hosni Benslimane nouvellement nommé Commandant de la Gendarmerie royale. Benslimane, et après la Marche Verte en 1975, enverra Laânigri à l’étranger peaufiner sa formation, avant de lui confier, à son retour en 1977, le prestigieux commandement de la gendarmerie royale de Casablanca, du temps de Moulay Mustapha Belarbi Alaoui.
La campagne du Katanga
Et quand, la même année, l’Occident décide d’intervenir au Zaïre aux côtés de Mobutu Sésésékou dans la guerre du Katanga contre des rebelles angolais prosoviétiques, le Maroc envoie également un contingent : le colonel Hamidou Laânigri est du voyage. Il y reste deux ans durant lesquelles il a laissé les marques d’un soldat courageux, intelligent et d’un tempérament de fer. Sans même pouvoir défaire ses bagages à son retour au pays en 1979, que Hassan II lui ouvre la porte de la gloire. A cette époque où la Révolution Islamique Iranienne faisait peur aux Monarchies pétrolières du Golfe, le Cheikh Zayed Ben Soltane Al Nahyane président des Emirats Arabes Unis avait un besoin urgent d’un conseiller militaire. Hassan II lui proposa Laânigri. Cette expérience, qui a duré 10 ans, a permis au général d’étoffer son carnet d’adresses et, surtout, de renforcer sa maîtrise des arcanes diplomatiques, le sens de l’étiquette et de la bienséance loin de la rigidité de l’armée.
Années DGED, DST et DGSN
Le tremplin est ainsi tout trouvé pour mixer armée et diplomatie : le renseignement. Nommé en 1989 en qualité de numéro 2 de la DGED, il demeure, pendant près de 10 ans, le dynamo incontestable de ce service hautement stratégique dont il va maîtriser tous les rouages et les arcanes pour en devenir, réellement, la vraie tête pensante et gagner définitivement le cœur du Général Abdelhaq Kadiri qui en fait son poulain. Raison pour laquelle, au crépuscule de Driss Basri en 1999, Laânigri est tout à fait l’homme qu’il faut à la place qu’il faut pour hériter du service de contre-espionnage dirigé d’une main de fer, et sans partage, par Basri.
Le général Laânigri est nommé en 17 juillet 2003 à la tête de la Direction générale de la sûreté nationale. Une consécration. ». Il lance les Groupes urbains de sécurité, les postes de proximité et les unités mobiles. Un organisme central de lutte contre les stupéfiants est mis également en place.
Moins de trois ans après sa nomination à la tête de la police, le général Laânigri ne paraissait plus en phase avec les nouvelles orientations voulues pour le secteur. Il est tout naturellement déchargé de ses fonctions le 13 septembre 2006 pour être nommé Inspecteur général des Forces auxiliaires, fonction créée sur mesure pour ce général de Division hors-pair.
Super-Mokhazni
Ce corps fait partie des six armes du Royaume et dispose de la même importance stratégique que la gendarmerie royale, l'armée de l’air, la marine royale, l'armée de terre, et la garde royale. Cette véritable « petite armée » fonctionne en temps de paix comme des policiers, et en période de crise comme appui et support des Forces Armées Royales.
A la tête d’une armada de plus de vingt mille hommes composés essentiellement (en plus du Makhzen administratif et de la Garde municipale des préfectures et provinces de la région sud du royaume) de plusieurs Makhzen mobiles armés de MAS 36, de AK-47 et de FN MAG, et montés sur des engins blindés de type UR 416, et des Panhard AML 60, le général est fier de ses unités.
Et comme d’habitude, le général n’a pas lésiné sur les moyens en dotant les Forces auxiliaires d’outils modernes de communication et de transport, sans oublier un grand effort fourni au niveau des salaires des Mokhaznis qui ont été sensiblement revus à la hausse.
Il a en outre restructuré son Etat-major en créant un département du renseignement à l’instar de celui existant au sein de la police et de la gendarmerie et développé une chaîne chargée de la surveillance des frontières, maritimes et terrestres, sur des milliers de kilomètres.
Dans ses Mémoires, peut-être le général choisira-t-il de revenir sur tous ces événements phares de sa riche carrière ou, au contraire, nous surprendra-t-il par des faits tenus secrets jusqu’à ce jour et que l’on a hâte de découvrir.
Abdellah El Hattach Follow @aelhattach