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Les flagrants délires de la «Digital Morocco 2030 strategy»

Dès les premières phrases prononcées par la ministre de la Transition numérique, Mme Ghita Mezzour, lors de l’événement phare de la semaine, l’ADS2024, une vague nostalgique m’a envahi. Je me suis instantanément retrouvé transporté en 1982. Dans ma tête résonnait une symphonie de voix chères à mon cœur : celles de Khalti Oum Kaltoum, de Lalla Aicha Seffara Dahbia, de Lalla Mariama, et de Khalti Zohra. Je les imaginais toutes, assises autour de la petite table en bois où fumait encore le thé à la menthe, où étaient soigneusement disposés «Lf9a9ess» et «Bechkatou maraya», préparés avec amour par Lalla Aicha Dahbia,et que je venais de ramener du four du quartier.

Mais voilà, quand Tati Ghita acheva son discours, je me trouvai incapable de faire la « transition ». Comme figé dans cette année 1982, celle où Pierre Desproges régnait en maître sur l’art de l’ironie politique, notamment à travers son émission culte Le Tribunal des flagrants délires diffusée sur France Inter.

Et je me prends à rêver… Et si Desproges avait écouté la ministre ? Comment aurait-il commenté cette scène ? Peut-on imaginer mieux qu’une verve à la Desproges pour capturer l’essence de ce discours ?

Ça aurait été étonnant, non ?


Réquisitoire du procureur générale DESPROGES IA contre Ghita Mezzour


Mesdames et Messieurs de la Cour, asseyez-vous, installez-vous confortablement. Aujourd’hui, nous sommes rassemblés pour juger l’inénarrable stratégie “Digital Morocco 2030” et, par ricochet, sa grande prêtresse, Ghita Mezzour. Que dis-je, prêtresse ? Haute chamane des câbles débranchés et des infrastructures évanescentes !

Il fallait le voir, ce moment historique où, d’un ton dégagé rappelant les légendaires «T9ar9ib Nab» autour d’un thé vert sucré, Madame la Ministre a présenté, ou devrais-je dire exposé, sa vision numérique pour le Royaume. C’était bien plus qu’un simple discours : c’était un poème en prose, une ode aux initiatives incertaines, prononcé dans un dialecte du «9a3» du vieux Fès, entre deux clins d’œil à son auditoire, tel Lalla Khnata «f'dar l3erss».

Le salon de thé fassi, Mesdames et Messieurs, le cadre idéal pour parler 5G, IA et cybersécurité… enfin, sauf si vous avez besoin de comprendre un seul de ces termes.

Car, Mesdames et Messieurs, passons maintenant aux faits : la stratégie “Digital Morocco 2030”. Ah ! Quel nom… Il fait rêver, on s’imagine déjà surfer sur les vagues technologiques, les bras ouverts à l’horizon du digital mondial. Mais à écouter, Mme la ministre, tout cela semble plutôt sortir des pages d’un manuel d’informatique pour les nuls, édition 1997. Et que dire de la sécurité ? Ah, la sécurité ! Ou plutôt, son absence flagrante dans ce brillant plan. C’est simple, la stratégie en est dépourvue comme un pâtissier de Fès est dépourvu de recettes keto-friendly.

Je vous le dis sans détour, à l’heure où même la grande-tante de Tanger reçoit des spams de princes nigérians, notre stratégie numérique n’a pas cru bon de se préoccuper de la moindre cybermenace. Faut-il en rire ou en pleurer ? Peut-être un peu des deux.

Et que dire de l’incroyable exploit de n’avoir su, en pleine révolution numérique, s’appuyer sur l'incontournable UM6P  et son 1337? Là encore, Mesdames et Messieurs, il faut saluer l’audace. En dépit de toutes les ressources intellectuelles et technologiques déjà à disposition, de l'aval Royal dont elle a bénéficié, Mme la ministre s’est contentée de flotter dans un vide intersidéral, ignorant des leviers d’innovation qui auraient pu lui donner un semblant de consistance. Au lieu de cela, c’est une aventure solo, comme si elle avait la stratégie a été écrite un soir d’ennui, entre deux épisodes de Bnat Lalla Mennana.

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Mesdames et Messieurs, Mme la ministre n'est à son premier exploit durant l'ADS2024. Lors d’une réunion à la CGEM, dans un élan de désinvolture absolument fascinant, elle a cru bon de vanner Mohamed Benchaâboun. Rien que ça !

Imaginez la scène : « Les 500 millions de dhs, c’est moi qui vous les ai donnés. » Et hop, comme ça, sur le ton de la rigolade. Vous avez bien entendu, Mesdames et Messieurs, elle parle d’un demi-milliard de dirhams comme s’il s’agissait de quelques sous oubliés au fond d’une poche. Mais le plus beau, c’est la réaction de Benchaâboun – ou plutôt son absence de réaction. Ce monument de la finance, ancien Président du groupe BCP, ancien ministre des Finances, ancien ambassadeur du Maroc en France, a simplement continué à prendre des notes. Un silence stoïque, digne d’un haut commis de l’État, comme si rien ne s’était passé, comme si tout cela était parfaitement normal. Sans doute prenait-il des notes pour son prochain manuel : Comment rester impassible face à l’absurde.

Mais revenons à ce qui nous occupe : la stratégie numérique du Royaume. Parlons un instant de l’intellectuel précieux, ce joyau moderne que l’on appelle IP – Propriété Intellectuelle, pour les non-initiés. Eh bien, figurez-vous que la ministre, l'a complètement zapper de sa stratégie.

Mme la ministre n’a pas réussi à faire comprendre à ses collègues du gouvernement que l’IP marocain, cet or numérique, est aussi précieux que… la tomate marocaine. Oui, Mesdames et Messieurs, la tomate ! Pourquoi pas appliquer le modèle de subvention agricole à la tomate n'est pas appliquer à l’IP marocaine ?

Mais là où l’affaire devient frustrante, c’est lorsqu’elle a fièrement brandi Oracle comme partenaire stratégique pour le cloud souverain dans la stratégie Morocco Digital 2030. Imaginez la scène : tel un héros, Oracle fait son entrée, auréolé de gloire. Et pendant ce temps, notre pauvre partenaire national, N+ONE, reste dans l’ombre, oublié dans un coin. Quelle ironie, Mesdames et Messieurs, quel oubli fâcheux ! Le partenaire marocain, pourtant crucial, n’a même pas eu droit à une mention. Mais pourquoi se soucier d’une entreprise locale quand on peut se gargariser de noms prestigieux, me direz-vous ?

Mesdames et Messieurs, quid de l'ADD ? En écoutant les annonces de Mme la ministre, une question persiste, comme une note dissonante dans cette symphonie numérique : quel est véritablement le rôle de l’Agence de Développement du Digital (ADD) dans ce grand orchestre ? L’agence s’érige-t-elle peu à peu en une Entreprise de Services Numériques (ESN) publique, risquant ainsi de concurrencer les startups marocaines, véritables moteurs d’innovation ? Ce flou, palpable dans les différents discours, interroge et appelle à des éclaircissements. Une stratégie nationale doit-elle créer une structure concurrentielle ou, au contraire, catalyser les talents déjà existants dans l’écosystème numérique ? Cette ambiguïté mérite toute notre attention.

Mais, soyons justes. Ghita Mezzour, une femme sérieuse, une fille de bonne famille, jouissant d'une réputation d’intégrité irréprochable, a, tout de même, réalisé un exploit qui mérite d’être souligné. Elle a su occuper toute la bande passante médiatique tel un mime dans une rue déserte. Certes, la forme a parfois supplanté le fond – mais quel fond ? vous me demanderez. Pas d’importance. Car aujourd’hui, il suffit de paraître pour être. Et sur ce point, elle excelle. Elle a remué, dynamisé, catalysé, oui, tout cela avec un certain charme désinvolte qui a, avouons-le, relancé la conversation.

Bref, Mesdames et Messieurs de la Cour, nous sommes face à une stratégie numérique qui, entre quelques pirouettes médiatiques et quelques ratés critiques, a au moins eu le mérite de faire du bruit. Peut-être pas la meilleure des partitions, mais une mélodie entêtante, qui nous laisse en suspens, à attendre la suite avec une pointe d’appréhension. « Digital Morocco 2030 », c’est l’histoire d’un concert où la guitare est désaccordée, mais où tout le monde applaudit quand même.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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