Le1.ma était le premier média de la place à avoir rapporté l’information de l’emprunt d’un montant de 500 millions de dollars contracté “en catimini” par le gouvernement auprès du Fonds saoudien de développement. Comme une traînée de poudre, l’information a fait le tour des rédactions nationales lesquelles, sans exception et avec professionnalisme, ont pris le soin de citer la source, et c’est de bon augure. Mais au lieu de réagir via un communiqué officiel en bonne et due forme ou, au moins, envoyer un droit de réponse au support qui a rapporté l’information, le ministre Boussaid a préféré distiller sa "contre-offensive" via des confrères. Mais contre-offensive pour dire quoi au juste ? Pour tenter de convaincre, avec moult contorsions, que l’emprunt de 500 millions de dollars auprès du Fonds saoudien de développement avait pour objectif «d’honorer une partie d’une échéance» d’un ancien emprunt contracté en 2007. Ce qui est loin d’être la vérité.
En l’absence de communication de la part du gouvernement, Le1.ma a pris la peine d’expliquer aux marocains, avec des mots simples et directs l’objectif du prêt du Fonds saoudien, loin de la terminologie ampoulée de Boussaid qui, cherchant à noyer le poisson, utilise sciemment des termes et expressions compliquées pour que l’opinion publique non initiée n’y voit que du feu.
Pourquoi les 500 millions $ ne sont pas en réalité destinés à honorer les eurobonds 2017 comme l’affirme Boussaid ?
Les eurobonds émis par le Maroc le 27 juin 2007 sur une période de 10 ans sont arrivés à terme le 27 juin 2017 ; et l’emprunt contracté auprès du Fonds saoudien de développement n’a été signé que le 17 Août 2017, soit près de deux mois plus tard. De plus, selon les propres dires du ministre Boussaid, les 500 millions $ n’ont pas encore été encaissés. Nous sommes donc devant deux cas de figure :
- Trois mois après l’échéance, le gouvernement n’a pas encore réglé cette dette : cette option est risquée car le défaut de paiement et très chèrement payé sur le marché international, aussi bien auprès de l’Europe qui nous a octroyé le prêt, qu’auprès des agences de rating qui peuvent dégrader sévèrement le Maroc. Le cas du Congo est criard : Brazzaville avait échoué le 30 juin 2016 à effectuer le paiement de l’échéance de son eurobond -et ce malgré une période de grâce de 30 jours-, les trois grandes agences de notation internationales ont systématiquement dégradé la note souveraine du pays, Moody’s (« B3 »), Fitch Ratings (« RD » – « défaut partiel ») et Standard & Poor’s (« SD / »D » – « défaut partiel »). Ce qui a entraîné un net recul du cours des obligations de cet eurobond sur les marchés internationaux. Le ministre Boussaid doit donc nous dire très vite si le chèque du Fonds saoudien a été encaissé ou pas et comment gère-t-il ce défaut de paiement avec les bailleurs de fonds internationaux. Les marocains doivent savoir ;
- Les 500 millions d’euro relatifs au remboursement des eurobonds ont bien été réglés, donc puisés du budget général de l’Etat (car Boussaid a bien dit que le montant n’a pas encore été viré) ce qui déséquilibrera gravement les comptes nationaux et grèvera les réserves de changes déjà en souffrance suite à l’affaire des 44 milliards de dirhams qu’a fait éclater au grand jour le Gouverneur de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, en concomitance avec l’arrivée à échéance de l’eurobond. La fin de l’année risque donc d’être extrêmement difficile. Prions Dieu que les saoudiens accélèrent le versement des 500 millions dans les caisses de l’Etat pour éviter au pays de faire face à une crise budgétaire et de liquidité très sévères.
La situation de blocage gouvernemental, le retard de l’approbation de la loi de Finances 2017 et la léthargie de l’actuel exécutif qui n’a pas encore réellement pris ses marques de gouvernement fort, homogène et responsables, constituent les facteurs expliquant la confusion de l’équipe d’El Otmani, encore incapable de donner des réponses claires, transparentes et convaincantes au citoyen marocain. Et le ministre de l’Economie et des Finances est un homme-clé de ce dispositif mis en place par le chef du gouvernement.
Rien qu’en eurobonds, trois échéances majeures attendent le gouvernement dans les six prochaines années : un milliard de dollars en 2020 (prêt contracté en septembre 2010), un milliard de dollars en 2022 (prêt contracté en décembre 2012) et un milliard de dollars en 2024 (prêt contracté en juin 2014).
Les marocains ont besoin et, surtout le droit, de savoir comment le gouvernement compte rembourser toutes ces dettes et est-ce qu’il va de nouveau recourir à l’endettement pour rembourser ces emprunts colossaux, l’éternel cercle vicieux. De plus, l’emprunt de 500 millions de dollars contracté auprès du Fonds saoudien, n’aurait jamais dû avoir lieu si le pays créait assez de richesses pour payer ses dettes. Mais avec un taux de croissance situé entre 1,3% et 1,7% au mieux disant, le Maroc n’est pas encore sorti de l’auberge de l’assainissement de ses comptes publics.
Les péchés capitaux de Boussaid et du gouvernement
- Léthargie : Prenons le cas du Ghana : le pays devait faire face en 2017 à un remboursement de 1 milliard d’euro relatif à l’échéance d’un eurobond contracté également en 2007. Prévoyant, le Ghana a pris ses dispositions et a inclus cette tombée dans le budget 2016 en vue de maîtriser ses coûts financiers et sa réputation sur les marché internationaux. Boussaid et le gouvernement, en hibernation, ne se sont réveillés qu’à quelques semaines avant l’échéance. Ce qui explique la colère et la sortie surprenante du Gouverneur Jouahri s’insurgeant contre la gestion désastreuse du gouvernement en ce qui concerne les équilibres budgétaires et de change ;
- Dilettante : Les 500 millions d’euros ont été contracté en 2007 pour éviter justement les coûts de rééchelonnement des dettes contractées auprès du Club de Londres, profitant du rating exceptionnel du royaume pour décrocher un spread favorable. Aujourd’hui, avec cet emprunt de 500 millions d’euros, ne s’agit-il pas d’une forme de rééchelonnement interdit par le Fonds saoudien de développement. Du moment qu’on emprunte pour payer un emprunt, c’est un manque flagrant de rigueur budgétaire qui risque d’écorcher notre rating ;
- Opacité : Pourquoi cet embargo médiatique sur l’opération ? Sachant que les ministres de Saad dine El Otmani, ne bougent d’un point à un autre que les voilà suivis par des hordes de photographes, journalistes et community managers. Il s’agit d’un montant important contracté par un pays ami et c’est, en principe, plutôt une bonne nouvelle qui devrait rassurer les citoyens et les partenaires du Royaume si l’on suit la logique du ministre Boussaid. Mes les contorsions dans ses réponses prouvent qu’il ne dit pas toute la vérité sur le sujet ;
Quand le ministre Boussaid dit, par voix interposée, que les salaires de la fonction publique s'élèvent à 8 milliards de DH par mois soit bien plus que le montant emprunté, c’est une fuite en avant caractérisée du ministre, car payer une partie des salaires ou rembourser une dette par un énième emprunt c’est du pareil au même : le Maroc n’avait pas les moyens de combler un trou béant et s’est de nouveau endetté, loin des caméras, pour boucler une fin de mois difficile. D’ailleurs, le texte du Décret publié dans le Bulletin Officiel est clair : l’emprunt contracté auprès des saoudiens vient en «appui au budget» de l’année en cours, 2017.
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