Retrait des troupes d’élite américaines d’Afrique : Rabat dans l’expectative et Paris dans l’embarras

Décidément, Emmanuel Macron entame une rentrée internationale de tous les dangers. Lui, le chef de guerre qui a fait de la lutte anti-terroriste son cheval de bataille géopolitique au Sahel et au Moyen-Orient, se retrouvera désormais seul embourbé dans les sables mouvants du désert africain. Si l’information câblée ce lundi par The New York Times venait à se confirmer, tout retrait d’Afrique des troupes d’élite américaines, notamment celles œuvrant dans la lutte anti-terroriste, constituerait un signal négatif à l’adresse de Paris et à l’ensemble des pays de la région du Sahel et d’Afrique du nord, du Sénégal jusqu’à la Libye, en passant par la Mauritanie et le Niger. Avec les prémisses d’une proche fin de guerre en Syrie et la bataille décisive en cours dans le dernier bastion de résistance de Daech à Idlib, le Sahel risque de se transformer en un nouveau terrain de jeu de l’Etat islamique.

Au moment où le président français, Emmanuel Macron, milite pour une défense européenne moins dépendante des Etats-Unis, la réponse de Washington ne s’est pas fait attendre. En effet, le Pentagone envisagerait de retirer presque tous les commandos américains du Niger et de fermer la plupart des unités antiterroristes d’élite en Afrique. C’est en tout cas ce que croit savoir le New York Times dans sa livraison du lundi. Cette décision s’inscrirait dans le cadre d’un changement de stratégie des États-Unis, allant de la lutte contre les insurgés à la lutte potentielle à grande échelle. Washington, presqu’une année après une embuscade meurtrière contre des soldats américains au Niger, et qui avait fait quatre morts, estime qu’il s’agit d’un échec de sa part, d’où le redéploiement de sa stratégie.

Devant la Conférence annuelle des ambassadeurs réunie le 27 août dernier, le président français, Emmanuel Macron, a expliqué, devant un gotha de 250 chefs de missions diplomatiques françaises à l’étranger, que «l’Europe ne peut plus remettre sa sécurité aux seuls États-Unis » et qu’il lui appartenait aujourd’hui de prendre ses responsabilités et de garantir la sécurité et la souveraineté européennes. Le chef de l’Etat français veut même présenter dans les prochains mois un projet de renforcement de la sécurité en Europe et ce en réaction aux demandes pressantes du président américain, Donald Trump, qui souhaite que les Etats membres de l’Otan investissent 2% de leur PIB en matière de défense. Comprise par Washington comme étant une tentative purement française de concocter une politique de défense européenne moins dépendante des Etats-Unis, des responsables du Pentagone ont fait savoir que les postes militaires américains au Cameroun, au Kenya, en Libye et en Tunisie seraient fermés, attendant juste l’aval du secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis.

Ce qui est dangereux dans cette annonce c’est qu’elle nous rappelle des scénarios similaires en Irak et en Syrie. A chaque fois que les troupes américaines quittent un périmètre militaire où ils ont longtemps logé, naissent immédiatement après leur départ des groupuscules terroristes qui exploitent le vide laissé, et risquent même de s’unir et former une organisation terroriste à la force de frappe similaire à celle de Daech. Et comme Paris et ses alliés du G5 Sahel sont en première ligne dans ces zones, les intérêts français seront les plus exposés.

Les États-Unis qui comptent maintenir une présence militaire importante au Nigeria et dans la Corne de l’Afrique, notamment en Somalie et à Djibouti, cherchent vraisemblablement à réorienter leurs priorités vers la méditerranée où la Russie lancera, dès la semaine prochaine, de grandes manœuvres navales, les plus grandes de l’histoire, et ce en réaction au renforcement par les troupes de l’OTAN de leur présence en Europe de l’Est.

L’idée exprimée par Emmanuel Macron devant les 250 ambassadeurs de son pays selon laquelle l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe devrait lancer une réflexion militaire et géostratégique exhaustive avec la Russie, a vite fait jaser les généraux du Pentagone qui ne le voient de cet œil et ont vite fait de soumettre à James Mattis des plans de retrait de l’US Army de l’Afrique sahélienne avec en revanche un maintien appuyé des sa présence sur les versants Atlantique, Mer Rouge et océan indien.

Ce remodelage du jeu des alliances, qui intervient au lendemain de la visite à Rabat de l’ambassadeur Nathan Sales, coordinateur américain de la lutte antiterroriste, risque d’avoir des incidences directes sur la profondeur stratégique du Maroc et de sa sécurité nationale : 1) Le Maroc est un allié stratégique de l’Otan dont les deux pays majeurs, la France et les Etats-Unis, ne sont plus d’accord sur les priorités géopolitiques et même géostratégiques de la région ; 2) La sécurité dans le Sahel relève de la sécurité du royaume et toute déstabilisation dans la région, ou toute modification du statu quo militaire, implique une menace directe sur la sécurité du Maroc ; 3) En tant qu’acteur majeur de la sécurité dans le bassin méditerranéen, tant sur le plan de la régulation des flux migratoires que celui de la lutte anti-terroriste, le Maroc ne peut qu’être préoccupé par cette militarisation tous azimuts et cette escalade sans précédent entre les marines américaine et russe aux portes du Détroit de Gibraltar.

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