Alors que le conflit entre l’Iran et Israël fait craindre une flambée des prix et une perturbation des flux énergétiques mondiaux, la Chine, premier importateur de pétrole brut au monde, semble avoir pris une longueur d’avance. Sans tambour ni trompette, Pékin a lancé une stratégie défensive fondée sur l’accumulation de stocks, l’optimisation des flux de raffinage, et une lecture fine des marchés à terme.
Des stocks stratégiques gonflés discrètement
D’après l’analyste énergétique asiatique Clyde Russell, cité par Reuters, la Chine a augmenté depuis mars 2025 ses importations de brut à des niveaux supérieurs à ses besoins réels en raffinage. En mai dernier, le pays a importé 10,97 millions de barils par jour, tandis que la production intérieure atteignait 4,35 millions. Pourtant, les raffineries chinoises n’en ont traité que 13,92 millions, ce qui laisse un excédent de 1,4 million de barils par jour, théoriquement destiné aux réserves.
En moyenne, depuis le début de l’année, l’accumulation quotidienne de brut dans les stocks chinois serait d’environ 990 000 barils. Officiellement, la Chine ne communique pas sur le niveau de ses réserves stratégiques, mais les écarts entre les volumes importés et raffinés permettent de tirer des conclusions claires : Pékin prépare ses arrières.
Une stratégie d’achat calée sur les cycles de prix
La Chine applique depuis longtemps une politique contre-cyclique : elle remplit ses réservoirs quand les prix sont bas et réduit ses achats quand ils montent. Ainsi, au printemps, lorsque le prix du baril de Brent est retombé autour de 58,50 dollars début mai, les importations ont été massivement renforcées.
Mais depuis l’attaque israélienne du 13 juin, qui a provoqué une hausse immédiate des cours de 7%, Pékin envisage déjà un ralentissement. Le pic des livraisons issues de contrats signés avant le conflit est attendu pour juin et juillet. En revanche, une chute des importations est anticipée à partir d’août, signe que la Chine ajuste en permanence son exposition au marché.
Une lecture tactique des risques
En apparence, les arrivages en cours peuvent donner l’illusion d’un rebond de la demande chinoise. Mais la baisse simultanée du volume de carburants raffinés montre le contraire : il ne s’agit pas de consommation, mais bien de remplissage de réservoirs. La Chine agit en prévision d’une crise durable, sans pour autant aggraver la flambée des prix sur les marchés.
Selon l’analyste, les raffineries chinoises chercheront désormais à négocier des rabais avec des fournisseurs comme la Russie ou l’Iran, dont le pétrole est déjà vendu à prix cassés, contournant les canaux traditionnels.
Le pétrole, levier de puissance silencieux
Dans cette crise géopolitique, la Chine montre une fois encore qu’elle préfère l’anticipation à la réaction. Le pétrole est ici moins une marchandise qu’un instrument d’influence. Pékin a la capacité de peser sur les cours par ses seules décisions d’achat – ou d’abstention –, et de construire une position de force dans un marché tendu.
Quand le baril devient une arme diplomatique
Alors que le monde s’inquiète d’une rupture brutale d’approvisionnement ou d’une guerre ouverte dans le Golfe, la Chine avance ses pions. Elle achète quand les autres hésitent, stocke pendant que les tensions montent, et attend son heure. Si la guerre Iran–Israël devait durablement perturber les flux, la Chine n’en sortirait pas affaiblie. Au contraire, elle serait prête.
Leçon d’analyse : dans la nouvelle guerre de l’énergie, ceux qui gagnent sont ceux qui savent attendre – avec leurs réservoirs pleins.