Chafik Omerani brise l’omerta et dénonce la dérive autocratique d’Al Adl Wa Al Ihssane

Une première dans l'histoire de la Jamaa. Des «Mouminines», notamment parmi les fidèles installés à l'étranger, brisent l'omerta qui règne dans l'organisation. Ils décrivent un Al Adl Wa Al Ihssane autocratique à la dérive, dénoncent la dictature et l'incompétence de son puissant organe de gouvernance «Majliss Al Irchad» et rompent le silence sur l'opacité totale des finances du mouvement islamiste le plus influent du Maroc.

L'activiste Chafik Omerani installé au États-unis, plus connu parmi les Youtubeurs par «3robi F Mericane», un alias qu'il aimerait bien troquer contre celui «d'ancien prisonnier politique» après son bref séjour très médiatisé à la prison de Oukacha à Casablanca, a lancé ce lundi 10 janvier le pavé dans la marre du plus grand mouvement islamiste semi-clandestin au Maroc, Al Adl Wa Al Ihssane (AWI). Une mare que l'on croyait jusqu'alors calme et sereine s'avère être un marécage boueux et opaque.

Chafik Omerani n'a jamais caché sa sympathie pour la Jamaa et son admiration pour son fondateur Cheikh Abdesslam Yassine. Toutefois le ton de l'activiste a changé envers le mouvement après les commémorations du neuvième anniversaire du décès de son guide spirituel le 11 et le 12 décembre 2021.

Dans une vidéo en date du 20 décembre, Omerani, arborant un TeeShirt à l'effigie de l'US Army, tacle le marathon des conférences diffusées en directe sur la chaîne de la Jamaa Chahed TV. Il reproche au mouvement «son manque d'audace politique», sa «réthorique stérile» et «des actions sans aucune innovation ni aucune initiative de pression contre le gouvernement». Mais également ses erreurs commises envers les États-unis en poussant ses membres à brandir des slogans anti-américains dans les manifestations.

Passées les festivités de fin d'année, l'activiste, dans un signe de provocation à sa Jamaa, partage une vidéo de Mohamed El Arbi Abouhazm, un défenseur de l'héritage du guide spirituel du mouvement, qui s'était illustré en février 2019 avec la publication d'un livre puis en mai 2020 avec celle d'une lettre ouverte, dont le contenu plaçait les membres du «Majliss Al Irchad» dans la case des «hypocrites, de bandes organisées et de traîtres». Abouhazm est depuis, qualifié «d'hérétique et de flic» cherchant à «imploser le mouvement». En le soutenant publiquement, Omerani hérite systématiquement des mêmes qualificatifs et on lui fait savoir. Tous les deux seront la cible d'attaques virulentes sur les réseaux sociaux et dans les groupes privés de la Jamaa.

Le 10 janvier 2022, Chafik Omerani va franchir le rubicon, chauffé par les 230 audios de son ami de Londres et haut cadre du mouvement Brahim El Jaaouani, radié par le Majliss en décembre par un simple coup de fil.

Sur sa plateforme de prédilection, Youtube, il va s'en prendre directement à la gouvernance d'Al Adl Wa Al Ihssane et tire à boulets rouges sur son organe suprême, Majliss Al Irchad (Conseil d'orientation ou de guidance).

La vidéo de 2 heures, intitulée « Le premier épisode du non-dit au sein de la Jamaa Justice et Bienfaisance», est articulée en trois séquences : introduction virulente contre l'organisation, lecture de la lettre de Brahim El Jaaouani et une salve d'attaques contre les «dérives» de la gouvernance de la Jamaa.

Les griefs de l'activiste sont multiples, les blessures profondes et les mots sont durs, marqués par un sentiment de défaitisme, d'accablement et un soupçon de révolte.

Il faut dire que depuis les derniers mois qui ont précédé la mort du guide spirituel de la Jamaa, les critiques contre son organe suprême, Majliss Al Irchad, qui gère les cotisations des membres, l'exclusion des membres et entérine les positions politiques, vont aller en crescendo.

Mais où vont les cotisations des fidèles ceux installés au Maroc et ceux de l'étranger ? Pourquoi sait-on jamais comment sont-elles dépensées ?

Chafik Omerani - Youtube

En janvier 2012, soit 11 mois avant le décès de Abdesslam Yassine, une première lettre d'un groupe de «Mouminines » [Membres ndlr] sort dans la presse. Elle a été interprétée à l'époque comme une tentative de pression sur la succession du guide mourant.

Toutefois, les mêmes critiques reviennent dans les lettres dites de «Nassiha» (Conseil) qui vont se succéder en 2019, en 2020 et en 2021. Des missives envoyées au leader du mouvement Mohamed El Abbadi – le titre de guide étant réservé exclusivement à Abdessalam Yassine –, dans lesquelles les «Mouminines récalcitrants» se plaignent du «management» tout en prenant la précaution de l'enrober dans des discours théologiques et de longs versets du Coran et de hadiths. Toutefois, le fond reste toujours le même : «la mainmise des membres du Majliss Al Irchad sur l'organisation».

Ce qui m'a poussé à exprimer ma colère, c'est l'installation au sein de l'organisation d'Al Adl Wa Al Ihssane de la culture des instructions et des coups de fils.

Chafik Omerani - Youtube

Face à ces contestations, le Majliss Al Irchad va sévir. Ceux qui ont osé «les conseiller» sont immédiatement exclus de l'organisation et sont boycottés. C'est d'ailleurs l'exclusion de Brahim El Jaaouani de Londres qui va faire, entre autres, délier la langue de Chafik Omerani. Une solidarité qui trouve son essence du fait qu'ils se considèrent faisant partie du même corps marginalisé, les «Adlistes» de l'étranger.

Contrairement à la traditionnelle réthorique de ses frères «Mouminines», Chafik Omerani va y aller franco. Sans détour, il va pointer du doigt l'autocratie de l'organisation, citer nommément au moins trois membres imminents du Majliss, évoquer le tabou des finances du mouvement, moquer l'obsolescence du logiciel de pensée dominant, dénoncer l'absence de renouvellement et de productions des élites, et enfin il osera l'impardonnable : «accuser la Jamaa d'être infiltrée».

Si le police au maroc m'a emprisonné, vous [décideurs de la Jamaa, ndlr] c'est sur, vous allez m'amenez à la potence!

Chafik Omerani - Youtube

Pour l'activiste et sympathisant du mouvement, Al Adl Wa Al Ihssane est une «organisation au bord du gouffre, autocratique et dangereuse qui cherche par tous les moyens à faire taire les voix dissonantes et les contestataires».

La déconfiture du PJD déteint sur AWI

Le mouvement Al Adl Wa Al Ihssane ne sait finalement jamais remis du décès de son fondateur Cheikh Abdesslam Yassine. D'ailleurs, en interdisant le titre de «Guide» à son successeur, la Jamaa est restée sans guide, sans cap et sans orientation. tout un symbole!

Déboussolé, le mouvement a choisi d'être en retrait de la vie politique et sociale du Royaume. Lequel retrait qu'on pensait stratégique mais qu'il s'avère être un retrait de survie. Les années sont passées, les cadres et les fidèles vieillissent et leurs frustrations se démultiplient.

Par ailleurs, la sortie par la petite porte du PJD, après une décennie aux affaires, a entaché l'image des mouvements dits islamistes auprès des marocains mais aussi auprès de leurs bases. La déconfiture du parti de Abdelilah Benkirane aurait fortement remis en question les convictions des cadres de AWI qui redoutent et appréhendent une épilogue similaire.

Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist
20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

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