Le journal allemand SPIEGEL admet soudainement avoir échoué dans son rôle de quatrième pouvoir. Alexander Neubacher, responsable de la rubrique Opinion & Débat du célèbre média allemand a signé ce samedi une tribune sous le titre : « Restrictions durant la pandémie de Corona : Nous, les ratés du Corona» où il revient sur la tentation autoritaire qui a gagné son pays durant la pandémie. Ci-après la traduction de l'article.
Il y a un peu plus de deux ans, alors que nous étions coincés entre deux vagues de Corona, j'écrivais ici dans une chronique que de nombreuses personnes aspiraient à des mesures de plus en plus sévères pour enfin endiguer cette fichue pandémie. Moi y compris. J'écrivais : «La tentation autoritaire est grande. Je découvre le dictateur en moi».
De nombreux Allemands considéraient alors la Chine comme un modèle d'efficacité dans la lutte contre la coronavirus. Des dizaines de milliers de personnes soutenaient des initiatives comme #ZeroCovid, réclamaient une intervention de la politique allemande, un «shutdown» radical, un ralentissement de l'économie et de la vie publique.
En effet, de nombreuses libertés ont été fortement restreintes. Il y a eu, vous vous en souvenez, des interdictions de sortie, des interdictions de contact, des interdictions de voyager. En Bavière : restrictions de sortie de jour et de nuit. A Hambourg : obligation de porter un masque à l'extérieur sur les parcours de jogging. A Berlin, il était interdit de s'asseoir sur un banc d'un jardin public.
Entre-temps, nous savons que certaines mesures Corona n'étaient pas seulement discutables ou absurdes, mais aussi illégales. La Cour constitutionnelle du Brandebourg (un ancien Land est-allemand (l'ex-RDA), situé dans le nord-est de l'Allemagne) vient de décider que la loi communale dite d'urgence Corona était contraire à la Constitution du Land, car elle annulait la séparation des pouvoirs. La plainte avait été déposée par le groupe parlementaire de l'AfD, qui peut désormais se poser en héros constitutionnel.
Avec le recul, il est effrayant de voir avec quelle facilité les libertés ont été suspendues.
Le couvre-feu d'une journée entière en Bavière n'aurait pas dû non plus être instauré de cette manière : «disproportionné», a entre-temps jugé le tribunal administratif fédéral. D'autres litiges concernant les mesures de la Corona sont encore en cours ; les rouages de la justice tournent lentement.
Il est toujours facile de dire après coup ce qui aurait été mieux. Mais ce qui me bouleverse après coup, c'est la facilité avec laquelle les libertés ont été suspendues dans notre société soi-disant si libérale. Le vernis de la civilisation est manifestement plus fin que je ne le pensais à cet égard. La liberté n'est-elle pour les Allemands qu'un concept de beau temps, comme le demandait il y a quelques jours Frank Schorkopf, spécialiste du droit public à Göttingen, sur le site SPIEGEL.de ?
Le contrôle et les contrepoids font partie de la démocratie ; c'est particulièrement important en temps de crise. Lors de la pandémie, cela n'a pas bien fonctionné. A Berlin, la grande coalition gouvernait avec une majorité opulente, dans les Länder, la prudence d'équipe a longtemps dominé, de Markus Söder (CSU) en Bavière à Peter Tschentscher (SPD) à Hambourg.
Trop peu de personnes se sont opposées lorsque la politique a ordonné pour la première fois, il y a trois ans, des fermetures d'écoles et les a ensuite prolongées pendant des mois : pas de Cour constitutionnelle fédérale, pas d'Académie nationale des sciences, pas de Conseil allemand d'éthique, pas de Christian Drosten. Ce qui, comme je le dirais aujourd'hui, était une énorme négligence.
Et nous, les médias, y compris ceux du SPIEGEL, qui aimons nous considérer comme le quatrième pouvoir ? Je crains que le dictateur qui sommeille en nous n'ait été assez fort.