Avec ou contre moi ? Tel pourrait être le titre de la tournée qu’a entamée le 22 novembre, le Prince héritier de l’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane. Si l’agence de presse saoudienne s’est fendue le jour même d’un communiqué laconique révélant que MBS est parti pour « une tournée effectuée sur instruction du roi Salmane Ben Abdelaziz Al-Saoud, dans des pays arabes frères », elle n’a pas énuméré les pays concernés par cette tournée. Selon le communiqué du Cabinet royal saoudien, le souverain est « soucieux de renforcer les relations du royaume aux niveaux régional et international » et de poursuivre « la coopération et les contacts avec les pays frères dans l’ensemble des domaines », sans bien sûr préciser qui sont ces pays. Officieusement, on sait que MBS visitera les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et le Bahreïn, alors que d’autres rapports y ajoutent la Tunisie, l’Algérie et la Mauritanie. Le Maroc est exclu de cette tournée. Il faut dire que depuis la position saoudienne de ne pas appuyer la candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du monde 2026 et le retrait progressif du Maroc de l’alliance au Yémen, les relations entre Rabat et Riyadh sont un peu tièdes, voire carrément froides par épisodes. On peut conclure de la tournée de MBS qu’elle vise à rallier le plus de pays à sa cause.
L’Arabie saoudite, qui avait promis au Maroc des dons lors du printemps arabe d’un montant de 1, 250 milliards de dollars n’en a versé que 868 millions entre 2012 et 2016. Et le roi Salmane Ben Abdelaziz qui passait de coutume ses vacances à Tanger n’a pas visité le Maroc cet été, bien que toutes les mesures pour assurer le confort de sa suite aient été prises. De là à parler de « boycott », il y a un palier que plusieurs milieux ont franchi.
Pour autant, en analysant le timing de la tournée internationale du prince héritier saoudien, elle survient après, pour ne pas dire grâce au volte-face de Donald Trump concernant l’affaire Khashoggi et qui vise à dédouaner MBS, quitte à désavouer la CIA qui détiendrait un enregistrement où le prince donnerait l’ordre de faire taire le journaliste. D’autre part, cette tournée devrait emmener le prince héritier saoudien le 30 novembre à Buenos Aires où il doit participer au G20. C’est en partie le motif de cette tournée, mais pas seulement. En effet, selon des responsables au sein de la présidence turque, MBS pourrait rencontrer le président turc en marge du G20. Si ça se concrétisait, il s’agirait d’une première entre les deux hommes, et un tournant dans les relations entre les deux pays, sachant qu’Erdogan n’a cessé de répéter que l’ordre d’exécuter Khashoggi a été donné par les hautes sphères de l’Etat saoudien, tout en innocentant le Roi Salmane. Mais aucune confirmation pour le moment de (hypothétique?) rencontre.
Si cette tournée est bien accueillie par les Etats concernés, il se pourrait qu’elle suscite des levées de boucliers au sein de la société civile. Annoncé à Tunis le 27 novembre, MBS pourrait être l’objet d’une plainte. Selon la radio tunisienne Mosaïque, «un groupe de 50 avocats pour la défense des libertés a été chargé par des journalistes, des blogueurs et des avocats de porter plainte devant les tribunaux tunisiens dans le but de s'opposer à une visite du prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane en Tunisie ».
Si la tournée de MBS a pour objet de préparer le G20, il n’y a nul doute que l’affaire Khashoggi sera présente lors des discussions. Plusieurs Etats arabes se sont empressés dès l’éclatement de cette affaire à apporter leur soutien à l’Arabie saoudite et à dénoncer les pressions et le chantage exercés contre elle. Le Maroc, lui, a choisi de rester réservé et de faire preuve de beaucoup de retenue. Et l’ennemi juré de MBS, l’Emir du Qatar, Tamim Ben Hamad al-Thani, a reçu en pleine crise Khashoggi le patron du renseignement marocain, Abdellatif Hammouchi. Cette attitude (souveraine) du Maroc aurait-elle irrité les Saoudiens ?