La décision du Royaume-Uni de reconnaître l’État palestinien ne peut être dissociée du contexte politique immédiat : elle intervient dans la foulée de la visite d’État de Donald Trump à Londres. Il est difficile d’imaginer que cette initiative n’ait pas été partagée, discutée, voire négociée avec le président américain. Dans un dossier aussi structurant pour l’ordre international et aussi sensible pour Israël, il est inconcevable que le roi Charles III ou le Premier ministre britannique agissent en marge de Washington. Tout, dans la mise en scène de la visite d’État de Donald Trump à Londres, traduisait la volonté de réactiver la « relation spéciale » entre les deux pays et de l’afficher comme un axe stratégique incontournable.
Loin de constituer une victoire pour les Palestiniens, la reconnaissance britannique consacre en réalité les gains territoriaux israéliens. Londres ne mentionne ni la Palestine historique, ni les frontières de 1967. La Cisjordanie est réduite à deux enclaves disjointes, Jérusalem-Est et Bethléem sont placées sous souveraineté israélienne, et le plateau du Golan syrien est intégré à l’État hébreu.
La publication officielle par le Foreign Office d’une nouvelle carte de la région en est l’illustration la plus frappante. Les territoires que Netanyahu projette d’annexer y apparaissent en rouge, au même titre que Gaza et plusieurs zones de Cisjordanie. Autrement dit, la Grande-Bretagne a non seulement reconnu un État palestinien amputé et non viable, mais elle a aussi avalisé visuellement l’expansion territoriale israélienne.

Le premier paramètre : l’effondrement du récit du « free world »
Pour comprendre cette reconnaissance, il faut la replacer dans une dynamique plus large. Le cœur idéologique du « free world », l’ordre libéral né après 1945, s’est construit sur le traumatisme de la Shoah. Ce crime absolu a servi de socle moral à une civilisation dirigée par les États-Unis et relayée par l’Europe. Or, ce que Netanyahu impose aujourd’hui à Gaza détruit ce fondement : la croyance selon laquelle l’humanité avait définitivement tourné la page de la barbarie.
Les sociétés occidentales, elles-mêmes, rejettent la déshumanisation des Palestiniens. Elles constatent que l’Occident, déjà fragilisé par la montée du Sud global sur le plan économique et démographique, se fissure désormais sur ses valeurs et ses croyances. C’est cette peur du basculement qui explique pourquoi la Grande-Bretagne et, dans son sillage, le Canada et l’Australie ont décidé de reconnaître un État palestinien. Non pas par conviction profonde, mais pour calmer leurs citoyens et tenter de sauver l’ordre qu’ils avaient bâti. Mais pour couper la poire en deux, ils ont en même temps validé la boulimie israélienne : le Golan, Gaza et une partie de la Cisjordanie.
Le deuxième paramètre : une bataille politique interne en Occident
Un autre facteur pèse dans cette décision : la survie politique du camp centriste et social-démocrate. Laminé par la poussée des droites radicales, ce courant tente de préserver ce qui reste de son influence. Face à l’axe Trump–Netanyahu, incarnation d’une droite nationaliste et décomplexée, les forces modérées occidentales multiplient les gestes symboliques pour rester debout. Leur crainte est claire : voir l’Europe se fracturer jusqu’au risque d’un embrasement interne.
Le troisième paramètre : Le facteur intérieur et le risque séparatiste
Un autre élément, expliquerait la décision britannique : le risque séparatiste. Le Royaume-Uni abrite l’une des plus grandes communautés pro-palestiniennes d’Occident. Elle est particulièrement visible dans certains bastions militants, notamment en Irlande du Nord et en Écosse, où le soutien à la cause palestinienne s’articule aussi avec des revendications identitaires propres.
Dans ce contexte, la reconnaissance de l’État palestinien ne relève pas seulement de la politique étrangère : elle devient un enjeu de sécurité nationale. Pour Londres, ignorer cette opinion risquerait de nourrir un climat de défiance, voire d’alimenter des logiques de séparatisme.
Ce paradoxe apparaît encore plus nettement lorsqu’on observe que, même dans un territoire où l’influence britannique demeure palpable, l’Afrique du Sud, c’est Pretoria qui endosse le premier rôle dans la confrontation avec Netanyahu, en plaidant pour un État palestinien véritablement continu et en portant l’affaire devant les instances internationales.
La reconnaissance britannique n’est donc pas le signe d’une avancée pour la cause palestinienne, mais celui d’un Occident en crise. Derrière l’illusion d’un soutien, Londres a offert à Israël la consolidation de ses conquêtes et a tenté de masquer une double angoisse : la perte de son socle civilisationnel et l’affaiblissement de ses forces politiques traditionnelles.
En définitive, il ne s’agit pas d’une victoire diplomatique, mais d’un compromis instable, révélateur d’un monde occidental qui cherche à sauver les apparences d’un ordre qu’il ne maîtrise plus.