La crise que traverse le Conseil de la coopération du Golfe est l’une des plus graves, sinon la plus grave, depuis la création, en 1981, de cet espace politique qui réunit les monarchies de la presqu’île arabique. Club très select de richissimes royaumes et émirats parmi les plus grands producteurs d’hydrocarbures dans le monde, le CCG était donné souvent en exemple pour son unité, la solidité de ses rangs et en tant que « bouclier » militaire stratégique face aux appétits de certaines puissances régionales. Sauf que depuis presqu’un an, le Conseil subit une grave fracture parmi ses membres à cause de la crise politique profonde qui oppose l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Bahreïn d’une part, et le Qatar de l’autre. Traditionnellement et historiquement, le Maroc est un grand ami des pays du Golfe. Et l’intelligence du royaume a été, durant cette crise, de maintenir une relation équidistante et équilibrée entre les différents protagonistes de ce conflit politique aux relents géostratégiques tentaculaires qui dépassent la seule région du Moyen-Orient, sachant que plusieurs de ces pays, à titre individuel, tentaient, vainement, de tirer Rabat vers leur camp contre celui de l’autre. Il aura fallu tout le tact diplomatique du roi Mohammed VI pour ne pas laisser entraîner le Maroc dans ce bourbier.
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La présence personnelle du prince Moulay Rachid au Sommet de la Ligue arabe à Dhahran, en Arabie saoudite, est un gage de l’importance cruciale que donne le Maroc aux causes arabo-musulmanes. Cette représentation à ce très haut niveau explique l’intérêt stratégique et fondamental pour Rabat des questions soumises à l’ordre du jour de la réunion des dirigeants arabes. Malgré une Ligue en difficulté rongée par les différents conflits et guerres meurtrières, auxquels on ajoute la division dans les rangs des pays du Golfe, le Maroc a tenu à garder ce niveau de représentation pour : 1) Eviter une aggravation des dissensions ; 2) Jouer un rôle discret mais Ô combien salvateur entre frères arabes. La crédibilité du Maroc et sa légitimité historique sur la scène diplomatique mondiale lui confèrent un statut particulier : c’est un pays écouté et respecté parmi ses pairs. Et le fait que ça soit le prince Moulay Rachid himself qui fasse le déplacement dénote certes de la gravité de la situation dans le monde arabe mais également et surtout de l’action diplomatique agressive menée par le roi Moahmmed VI.
La longue retraite parisienne de Mohammed VI, loin des affres des arcanes du pouvoir de Rabat, lui a permis une évaluation plus saine et plus approfondie des situations tant sur le plan domestique qu’international. Et une meilleure marge de manœuvre, surtout quand il s’agit de prendre des décisions sensibles de très haute importance.
A titre d’exemple, lors du Sommet de Dhahran, et en raison de la politique de blocus qui lui est imposée, le Qatar a revu à la baisse son niveau de représentation pour n’envoyer en Arabie saoudite « que » l’ambassadeur de Doha auprès de la Ligue arabe au Caire. Le lendemain même, s’ouvrait dans la capitale qatarie la cérémonie d’inauguration de la Bibliothèque du Qatar en présence de tout le gotha mondial. Le Maroc aurait pu choisir, pour ne pas offusquer saoudiens et émiratis, de ne se faire représenter que par son ambassadeur. Mais l’indépendance du Maroc en termes de politique étrangère et sa souveraineté dans ce périmètre régalien a voulu que la princesse Lalla Hasnaa représente en personne le Maroc à cet événement culturel universel auprès de la famille régnante du Qatar, de la même manière que la veille, son frère Moulay Rachid représentait le royaume au Sommet de la Ligue arabe à Dhahran. Une manière de garder une certaine relation équidistante avec tous les acteurs de la région.
Autre preuve de l’indépendance de la politique étrangère du pays, le Maroc s’est clairement démarqué de la position des principales capitales arabes suite à l’attaque tripartite franco-américano-britannique contre la Syrie. Rabat s’est nettement désolidarisée de cette opération qui enfreint le droit international quelles que soient les bonnes (ou pas) intentions de ses auteurs.
En recevant à Paris le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane et le premier ministre libanais Saad Hariri, tout en chargeant les princes Moulay Rachid et Lalla Hasnaa de le représenter respectivement à Ryadh et à Doha, le roi Mohammed VI et la famille royale marocaine sont désormais considérés comme les véritables gardiens de la fraternité arabe.