Deux événements ont marqué l’actualité aux Etats-Unis la semaine écoulée. Le premier a trait à la première visite de Mohammed Ben Salmane à Washington en qualité de prince héritier et la signature de contrats qui se chiffrent à des dizaines de milliards de dollars. Le deuxième est relatif à la nomination par Donald Trump, le 22 mars, du controversé John Bolton au poste de son conseiller pour la sécurité nationale des Etats-Unis.
Concernant la tournée américaine de MBS, et au-delà des chèques signés qui ont fait couler encre et salive, c’est surtout la présence à ses côtés du prince Bandar Ben Soltane qui a fait soulever moult interrogations. Considéré comme l’un des hommes clés du royaume saoudien et une de ses plus influentes personnalités durant les années 1980 et 1990, jusqu’à son limogeage en avril 2014 du poste de patron des services de renseignement, c’est un éminent spécialiste de la chose américaine.
On se rappelle, son départ des services secrets avait fait la une des grands médias internationaux dont The Guardian. Le quotidien britannique lui avait consacré le 16 avril 2014 un portrait sous le titre : «Fin d’une ère au moment où le prince Bandar quitte son poste de patron services de renseignement».
A la tête du contre-espionnage, il s’occupait notamment du dossier syrien et avait beaucoup promis au défunt roi Abdallah quant à sa capacité à se débarrasser de Bachar Assad, sans y parvenir. A cela, il y avait une rivalité ouverte entre lui et l’ex-puissant ministre de l’intérieur, le prince Mohammed Ben Nayef, que la presse occidentale qualifiait de probable futur Roi d’Arabie, ce qui aurait précipité sa chute.
Par la suite, le prince Bandar s’est longtemps éclipsé de la scène, officiellement pour des raisons de santé.
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Son retour à l’occasion de la tournée américaine de MBS s’expliquerait en grande partie par les puissants liens qu’il a tissés avec le camp des républicains, en particuliers celui des faucons d’entre eux. Il est décrit par les rapports occidentaux comme étant «un réseauteur légendaire doublé d’un faucon».
Pour MBS, Bandar Ben Soltane est une mine d’or qu’il faut exploiter dans sa «conquête» de l’Amérique, en particulier auprès de l’establishment du Department of Columbia, en tirant profit de son carnet d’adresses et de ses réseaux tentaculaires dans les cercles du lobbying à Washington.
Pour preuve, la meilleure illustration de ce retour en service de Bandar est donnée par un article du site ArabNews où l’on apprend que MBS, qui a offert au sein de l’ambassade de son pays à Washington un dîner en l’honneur de prestigieuses personnalités américaines, a prononcé un discours à cette occasion pour «célébrer le partenariat stratégique américano-saoudien». Et parmi les personnalités à qui il a donné la parole figurent notamment Jeb Bush, Dick Cheney, James Baker et….Bandar Ben Soltane.
Au cours de cette cérémonie, l’ancien président George Bush, le général Norman Schwarzkopf et le sénateur John McCain ont été décorés des insignes saoudiens pour «leur leadership exceptionnel, et en guise de reconnaissance de leurs rôles dans l’établissement de partenariats stratégiques pendant et après la guerre du Golfe».
Le deuxième fait marquant est incontestablement le retour aux «affaires» de John Bolton au poste hyper sensible de conseiller du président américain pour la sécurité nationale. Une véritable onde de choc a traversé la planète lorsque Trump l’a tweeté.
Hommes politiques, médias, experts, analystes sont pratiquement unanimes pour relever et souligner que le locataire de la Maison Blanche s’est entouré -à travers les nominations de Mike Pompeo au Département d’Etat, et remplacé à la tête de la CIA par une non moins espionne expérimentée Gina Haspel, traînant des casseroles de tortures et autres traitements inhumains, et surtout de John Bolton- d’une équipe de «va-t-en guerre. Une équipe à même de traduire dans les faits la politique hégémonique et belliqueuse de président américain.
La presse américaine, à une exception près, très virulente et unanime pour dénoncer l’arrivée de Bolton
- Stephen Walt sur Foreign Policy : Commencez donc à creuser votre abri antiaérien
Le magazine Foreign Policy, qui estime que cette désignation constitue une menace pour la sécurité nationale américaine, a consacré à John Bolton de nombreux papiers dont une analyse signée par Stephen Walt, professeur de relations internationales à l’université Harvard avec un titre éloquent de sarcasme qui en dit long : «Bienvenue à l’administration de Dick Cheney !»
On y lit, en guise de présentation : «L'autre chaussure est tombée. Dans la foulée du licenciement par un tweet du secrétaire d'État Rex Tillerson, Donald Trump a congédié le conseiller à la sécurité nationale, H.R. McMaster, et l'a remplacé par John Bolton, ancien ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies. Mike Pompeo quitte la CIA pour prendre les rênes de la diplomatie américaine, et c'est Gina Haspel, une loyaliste qui dirigeait un centre de torture pour George W. Bush, qui prend sa place et devient la première femme à la tête de la CIA. Gina Haspel qui avait autorisé la destruction de bandes vidéo documentant ce que faisait la CIA en Irak. Juste à quel point devriez-vous être effrayés?»
Et Stephen Walt d’ajouter en chargeant Bolton : « Les départs de Tillerson et McMaster, et les arrivées de Bolton, Pompeo et Haspel annoncent l'ascension d'un contingent belliciste qui va faire imploser le dossier iranien, rétablir le régime de torture et, en fin, déclencher une guerre avec la Corée du Nord. Commencez donc à creuser votre abri antiaérien !»
- Charles Hugh Smith sur Newz Sentinel : John Bolton c'est l'Antéchrist
Décryptant la nomination de Bolton, le site newzsentinel écrit notamment: «Pour beaucoup d'observateurs, la nomination de John Bolton comme conseiller à la sécurité nationale est l'équivalent fonctionnel de la nomination de l'Antéchrist ou peut-être pire. En effet, ces observateurs, en comparant les deux, trouvent une faveur à contrecœur avec l'Antéchrist (…) Bolton est un membre fondateur de l'aile néo-libérale, néo-conservatrice, interventionniste néo-coloniale et mondialiste de l'État profond. L'antipathie qu'il inspire est en partie due à la jouissance qu'il exerce dans l’usage de la puissance. Notez que l'Antéchrist n'est pas une victime. Il aime être l'Antéchrist.»
Une fois la maison nettoyée, Bolton sera renvoyé comme tous les autres.
Dans son analyse, newzsentinel avance deux possibilités. La première, selon laquelle Trump désigna Bolton pour faire le sale boulot de la maison, celui du nettoyage et débarrasser le Conseil de sécurité nationale du personnel encore loyal à l’ancien président. Ce que Bolton semble prêt à faire à la fois avec empressement et délectation. Cette nomination est également une aubaine pour ceux qui exigent une politique étrangère plus agressive et plus interventionniste.
La deuxième possibilité explique que l'aile néo-libérale, néo-conservatrice, néo-coloniale de l'Etat profond a renoncé à expulser Trump de la Maison Blanche et désire le gérer. Ces deux stratégies comportent des risques élevés, d’où l’interrogation d’un éditorialiste britannique : « John Bolton est arrivé à la Maison Blanche. Est-ce que cela signifie la guerre? »
Bolton est le faucon des faucons, le plus néoconservateur parmi les néoconservateurs. Bolton veut coûte que coûte bombarder l’Iran.
Il écrit notamment : « Dans les premiers jours après l'élection de Donald Trump, une des perspectives les plus terrifiantes était la nomination de John Bolton à un poste supérieur dans la nouvelle administration. Bolton est le faucon des faucons, le plus néoconservateur parmi les néoconservateurs. Bolton veut coûte que coûte bombarder l’Iran. »
- Alan Levin sur Bloomberg : John Bolton était l'instigateur de l'invasion de l'Irak
Le site Bloomberg a titré lundi 27 mars : «Les anciens dirigeants de la sécurité nationale sont mal à l'aise avec Bolton». Deux anciens responsables de la sécurité nationale ont déclaré dimanche qu'ils n'étaient pas d'accord avec la rhétorique du président Donald Trump.
John Bolton, ancien ambassadeur des États-Unis auprès des Nations Unies et partisan de la guerre en Irak de 2003, mieux connu pour ses opinions bellicistes, a parlé dans ses interviews de la nécessité d'une frappe préventive contre la Corée du Nord.
La nomination de John Bolton à cette haute fonction met mal à l'aise des hommes d'État américains et israéliens
L'amiral retraité Mike Mullen, qui a servi comme chef d'état-major sous les présidents démocrates et républicains, ne s'est pas empêché de soulever des questions sur l'approche de Bolton à savoir s'il allait adopter une approche militariste. Quant à l'ancien conseiller à la sécurité nationale, Stephen Hadley, qui a servi sous George W. Bush, a déclaré de son côté sur ABC que les commentaires de Bolton étaient «un peu extrêmes» à son goût.»
Par ailleurs, la nomination de Bolton n’a pas du tout été appréciée par l’ancien président Jimmy Carter. Dans une interview accordée à USA Today, il a qualifié la décision de Trump de la pire des erreurs et un désastre pour les Etats-Unis et du pain bénit pour quelques pays. Lesquels voient en Bolton, un solide soutien et un parapluie pour régler leurs différends avec leurs « ennemis » jurés, à l’instar de l’Arabie saoudite qui veut en découdre avec l’Iran et le Hezbollah libanais.
En Israël, l’ennemi juré de Téhéran, l’ancien ministre de la défense, Shaul Mofaz, a révélé dimanche lors d’une conférence, que Bolton avait essayé de le convaincre de bombarder l’Iran. Le Jerusalem Post rapporte que Shaul Mofaz ne pensais pas que cette nomination «était une décision sage, ni pour les Américains ni pour n'importe qui d’autre».
Demain la guerre ?
Donald Trump nous trace des lendemains qui déchantent pour la paix et la sécurité, surtout avec ces nominations et le retour en force de Bandar Ben Soltane aux côtés de Mohammed Ben Salmane. Bush, père et fils, ont eu leurs guerre du Golfe, et comme dit l’adage populaire jamais deux sans trois, il ya de fortes chances que le scénario de la troisième guerre américaine dans le Golfe arabo-persique soit signé Bolton avec Trump dans l’exécution.