Les autorités colombiennes ont annoncé lundi l’expulsion de neuf membres de la secte juive ultra-orthodoxe Lev Tahor, à la suite d’une opération qui a permis de sauver 17 enfants et adolescents présentés comme victimes potentielles d’abus au sein du groupe.
Selon la Direction nationale de la migration, les adultes expulsés ont été remis aux autorités américaines et transférés à New York, accompagnés des 17 mineurs issus de la communauté.
Ces derniers, entrés légalement en Colombie avec leurs familles, ont été placés sous la responsabilité du Child Protective Services (CPS) de l’État de New York, chargé de garantir leur sécurité et la protection de leurs droits.
Les membres du groupe avaient rejoint la Colombie fin octobre, via les aéroports de Carthagène et Medellín.
Une opération déclenchée par une notice d’Interpol
L’intervention colombienne a été lancée après la publication, le 13 novembre, d’une notice jaune d’Interpol visant cinq enfants détenteurs de passeports américains et guatémaltèques, signalés comme disparus ou victimes potentielles d’enlèvement parental.
Une opération conjointe a alors mobilisé l’autorité migratoire, les forces spéciales de l’Eastern Military GAULA et l’Institut colombien du Bien-être familial.
Les enquêteurs ont localisé le groupe dans un hôtel de Yarumal, dans le nord-ouest du pays, où les membres de la secte séjournaient en attendant d’acquérir une propriété rurale pour établir une nouvelle base.
« Le positif dans tout cela, c’est que nous sommes intervenus avant qu’ils n’aient établi un campement », a déclaré Gloria Esperanza Arriero, directrice de la Migration colombienne.
Aucune arrestation n’a été effectuée, les personnes concernées ne faisant l’objet d’aucun mandat en Colombie. Leur expulsion administrative a donc été jugée suffisante.
Fondé dans les années 1980, Lev Tahor est régulièrement décrit par les autorités et d’anciens membres comme une secte aux pratiques extrêmes :
- isolement forcé,
- mariages précoces,
- déplacements imposés,
- conditions de vie strictes.
Depuis plus d’une décennie, le groupe est la cible d’enquêtes dans plusieurs pays.
- Guatemala (2024) : raid policier, mise en protection d’au moins 160 mineurs et 40 femmes.
- Mexique (2022) : arrestation d’un dirigeant et extraction de plusieurs familles.
- États-Unis (2021) : condamnation de deux leaders pour enlèvement et exploitation sexuelle d’enfants.
La communauté est connue pour sa mobilité, s’installant successivement au Canada, aux États-Unis, au Guatemala, au Mexique et en Israël, souvent pour fuir les enquêtes judiciaires.
Les 17 enfants secourus sont désormais sous juridiction américaine, où des enquêtes sont en cours concernant leur situation et leurs liens avec les membres de la secte.
Une secte immorale qui échappe encore aux poursuites
Malgré la succession de scandales liés à Lev Tahor à travers le monde, le Bureau du Procureur colombien n’a ouvert aucune enquête à leur encontre, précise El Pais. Les représentants du ministère public expliquent que les mineurs « sont entrés par un point d’immigration normal, enregistrés et accompagnés de leurs parents. Il n’existe aucun indice qu’ils allaient être exploités sexuellement, forcés au mariage ou victimes de traite ».
Une position qui contraste avec l’historique international du groupe.
Depuis quinze ans, Orit Cohen, une Israélienne originaire de Rishon LeZion, alerte les autorités d’Israël, du Canada et du Guatemala sur la réalité du mouvement, qu’elle estime sans rapport avec le judaïsme. « Cette secte a détruit ma famille et celle de dizaines de connaissances », affirme-t-elle.
Elle n’a plus vu son frère depuis 2010, date à laquelle il a rejoint Lev Tahor. Ce dernier a eu six enfants, qui ont eux-mêmes eu cinq enfants supplémentaires durant leur séjour en communauté au Guatemala.
Trois de ses neveux et nièces ont réussi à fuir, portant avec eux des récits de mariages forcés, abus sexuels et manipulations psychologiques.
Son neveu, Israel Amir, qui a passé près de neuf ans sous l’emprise du groupe au Guatemala, décrit un système de coercition totale :
« Il était impossible de s’opposer. Ceux qui n’étaient pas d’accord étaient battus, isolés ou enfermés dans une sorte de cellule. Toute tentative de partir ou même de penser différemment était punie jusqu’à ce que la personne cède. »
Pour Cohen, la bataille est inégale :
« Ils sont un groupe de pédophiles. De quoi a-t-on encore besoin pour les arrêter ? »
Devenue le visage public de la lutte contre Lev Tahor, elle espère que la justice israélienne lui accordera la garde des enfants encore sous le contrôle de la secte, estimant que leur sécurité ne peut être garantie auprès de leurs parents.
« Ce sont des enfants juifs, et l’État d’Israël les attend », dit-elle.
En décembre 2024, les autorités avaient secouru 160 enfants dans un campement de Lev Tahor, où des traces de violences multiples avaient été retrouvées. Un an plus tard, seuls deux d’entre eux demeurent sous protection institutionnelle, la plupart ont été renvoyés dans leur famille, malgré les mises en garde de Lucrecia Prera, cheffe du Bureau du défenseur des enfants.
Prera décrit une réalité déroutante :
- une femme de 43 ans avec 17 enfants,
- 29 mineurs utilisant de fausses identités,
- des enfants dénutris entraînés à garder le silence,
- et une « boîte d’os » dont l’origine n’a jamais été expliquée.
« Ils recherchent toujours des pays où la législation est faible », analyse-t-elle.
Elle s’interroge également sur la provenance des fonds permettant au groupe de financer ses avocats et ses déplacements fréquents. Plusieurs sources évoquent des donations de groupes fondamentalistes qui soutiendraient la survie de la communauté.








