La Commission européenne pêche en eaux troubles

On se demande à quoi joue l’Union européenne ? Que certaines institutions non exécutives de l’Europe, judiciaires ou législatives, se permettent de déterminer unilatéralement le champ géographique dans le périmètre duquel doit s’appliquer l’Accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc, est plus que dénonciable. Mais quand Bruxelles, par le biais de son institution exécutive, en principe «partenaire» du Maroc, prend fait et cause des conclusions de la Cour de justice européenne, et impose à Rabat des conditions touchant à sa souveraineté et à ses affaires intérieures, on n’est plus alors en phase avec un partenariat stratégique, mais plutôt un diktat. Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Nasser Bourita, qui vient de rentrer de Kigali, n’a pas encore réagi à cette nouvelle –et gravissime- position de l’Europe.

De quoi s’agit-il ? Faisant suite au verdict prononcé par la Cour de justice de l’Union européenne le 27 février dernier, soulignant que «l’accord de pêche conclu entre l’UE et le Maroc est valide dès lors qu’il n’est pas applicable au Sahara occidental et aux eaux adjacentes à celui-ci» en réponse à une plainte déposée par une ONG de droit britannique, la Western Sahara Campaign –WSC- roulant pour le Polisario, le Conseil de l’Union européenne a rendu public hier (mercredi) une décision autorisant la Commission Européenne à «ouvrir des négociations au nom de l’Union européenne en vue de la modification de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche et de la conclusion d’un protocole avec le Royaume».

Après avoir rappelé le contexte de l’accord de partenariat sur la pêche avec le Maroc, entré en vigueur pour la première fois en février 2007, et qui a été mis en œuvre par deux protocoles successifs permettant aux navires de 11 Etats européens de pêcher dans les eaux territoriales du royaume, un troisième protocole conclu en 2014 expirera le 14 juillet 2018 et, par conséquent, ouvrira la voie à de nouvelles négociations.

Dans sa littérature propre, la Commission européenne a notamment mis en relief d’abord la compensation financière octroyée au Maroc «pour soutenir la gestion durable de la pêche (…) et à sa stratégie «Halieutis» de développement du secteur de la pêche».

La Commission de part ses recommandations, non seulement elle pèche par excès, mais pêche dans des eaux troubles

Mais, en abordant les volets politique et juridique du futur accord, la Commission a cherché, à juste titre, à noyer le poisson en épousant pratiquement les thèses de la Cour de Justice. L’exécutif européen a souligné dans les attendus de son projet de texte, qu’«à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, il est nécessaire de clarifier la portée géographique de l’accord (…) La position de l’UE est qu’il est possible d’étendre les accords bilatéraux avec le Maroc au Sahara Occidental sous certaines conditions. Toutefois, il est entendu que tout arrangement ne sera que provisoire tant que le règlement du conflit dans le cadre des Nations Unies et conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies restera en suspens.»

Deux points essentiels qui en disent long sur le jeu pernicieux de la Commission européenne pour la reconduite de l’accord de pêche, à savoir : 1) Prévoir l’accès aux eaux couvertes par l’Accord et le Protocole actuels et aux eaux adjacentes au territoire «non autonome du Sahara Occidental» ; 2) Soutenir les efforts déployés par le Secrétaire général des Nations Unies pour trouver une solution garantissant «l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies. ».

La Commission européenne, conduite par Jean-Claude Juncker, va plus loin dans ses recommandations pour la conduite des prochaines négociations. Parmi les clauses, elle réclame l’inclusion d’«une clause sur les conséquences des violations des droits de l’homme et des principes démocratiques (…), de prévoir des mécanismes appropriés pour garantir que la Commission soit suffisamment informée et impliquée dans la répartition géographique et sociale des avantages socioéconomiques prévus par l’accord et le protocole, afin de permettre à la Commission de veiller à ce que les deux bénéficient aux populations concernées; et inclure une clause de révision permettant de prendre en compte une solution politique mutuellement acceptable qui assurerait l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies». Si ce n’est pas là une intrusion dans les affaires intérieures du Maroc, ça lui ressemble fort.

A aucun moment, la Commission n’a évoqué la proposition contenue dans l’initiative marocaine pour un statut d’autonomie pour la région du Sahara et présentée aux Nations-Unies en 2007. La seule expression qui revient dans le texte de la Commission est «trouver une solution garantissant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental.»

L’autre point saillant dans ce texte à double tranchant est que la Commission, où siège notre «amie» Federica Mogherini, exige d’être informée et impliquée dans la répartition des avantages socioéconomiques et de leurs retombées ! Ce ton d’injonction, peu diplomatique, reflète clairement l’état d’esprit de l’establishment bruxellois vis-à-vis de Rabat.

A n’en pas douter, la Commission de part ses recommandations, non seulement elle pèche par excès, mais pêche dans des eaux troubles et met en équation la politique dite de « bon voisinage» dont elle se targue même si, dans les salons feutrés, elle tient à confirmer et à répéter que ses relations avec le Maroc sont d’ordre stratégique.

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