Le ministre de la Santé, Anas Doukkali, a réuni il y a quelques jours la presse nationale et quelques professionnels du secteur dans un luxueux Palace de Casablanca pour leur présenter son « bilan » 2018 et les «réalisations » de son département. J’ai beaucoup apprécié le déroulé de son intervention. En bon orateur et dans l’habit d’un communicant aguerri, il a su «convaincre » son auditoire malgré quelques voix dubitatives notamment en ce qui concerne la gestion catastrophique des services des urgences et, plus grave encore, celle de l’épidémie du virus de la grippe H1N1. Quand, par exemple, devant l’insistance des journalistes il a nié en bloc tout décès suite à ce virus, je n’ai pu que le croire : ne représente-t-il pas la parole publique ? N’est-il pas responsable de ses actes et de sa politique devant le roi et le parlement ?
Après un show ministériel qui a duré presque une heure, j’ai eu l’occasion de parler à Anas Doukkali quelques minutes, en aparté. J’ai trouvé en lui un homme affable, trop sûr un peu de sa personne et figé sur ses certitudes, mais il me paraissait sincère. J’ai loué ses qualités devant quelques amis et me suis dit qu’il était peut-être cet homme providentiel dont le ministère de la Santé avait besoin et qui allait secouer le cocotier tout en se débarrassant des brebis galeuses qui rongent le secteur de l’intérieur. Mais jamais je n’aurais pu penser, un seul instant, qu’il pouvait mentir. Eh ben oui, durant tout son exposé, son exercice était basé sur le mensonge dont il a fait un outil de «communication».
Toutes les personnes présentes à la conférence de presse étaient certaines que le virus de la grippe H1N1 avait fait plusieurs victimes. Des morts. Non seulement le ministre était dans le déni total et repoussait en bloc ces «accusations » mais il s’est permis, sans vergogne, de rétorquer à une journaliste qui lui rappelait le décès d’une femme enceinte à l’hôpital Cheikh Khalifa Ben Zayed de Casablanca de «prouver scientifiquement » qu’elle était morte des suites de la grippe porcine.
Sermonné et recadré le lendemain en Conseil de gouvernement pour la légèreté et la nonchalance avec laquelle il a communiqué sur l’épidémie de grippe, Anas Doukkali se rétracte et reconnaît du bout des lèvres que deux personnes étaient effectivement mortes des suites du virus H1N1. Sans bien sûr aucune compassion envers les victimes et aucune expression de soutien à leurs familles. Puis, en moins de 24 heures, on est passé à cinq morts le vendredi, neuf le samedi…si le ministre a menti d’une manière flagrante devant une brochette de journalistes et de hauts fonctionnaires de son département, sur quoi d’autre a-t-il encore menti ? Sur la gestion des urgences ? Sur les stocks de Tamiflu ? Sur les chiffres de son «bilan » et des ses « réalisations » ? Sur le bilan réel des victimes de H1N1 ? Pour le savoir, les élus de la nation doivent s’approprier le dossier, convoquer le ministre et diligenter une commission d’enquête. Quand l’ex- ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac avait démissionné, c’était non pas à cause de ses millions d’euros déposés dans les banques suisses et au Panama, mais parce qu’il avait menti «les yeux dans les yeux » aux français, à l’Assemblée nationale et aux médias. Un sacrilège ! Et ce n’est que par la suite que la Justice a suivi son cours.
C’est le cas aujourd’hui de Anas Doukkali. Il nous a menti « les yeux dans les yeux ». Et personne ne pourra plus le croire désormais. Lorsqu’il a été nommé par le roi il y a tout juste un an, il a prêté serment devant le souverain par ces termes d’une charge symbolique et de responsabilité lourds de sens : «أقسم بالله العلي العظيم أن أكون مخلصاً لديني ولملكي ولوطني وأن أؤدي مهمتي بصدق وأمانة» ! Sans ambages, nous pouvons affirmer que Anas Doukkali est devant un cas de parjure caractérisé. A défaut d’être jugé –cela est du ressort de la Justice-, il doit immédiatement présenter sa démission. Sinon, il appartient au chef de gouvernement de demander au roi de le relever de ses fonctions.