Le renseignement marocain décrypté dans une monographie inédite du R.O.C.K. Institute

Le renseignement marocain n’a jamais été décrit avec autant de précision dans une publication ouverte que dans la note stratégique du R.O.C.K. Institute. Ce document révèle un appareil en pleine transition : héritier d’une tradition makhzénienne d’anticipation, il s’est structuré en un écosystème intégré, interopérable et reconnu à l’international. Mais à l’ère des menaces hybrides, le Royaume résiste non sans succès sur un terrain moins visible : l’agilité du droit et la souveraineté technologique.

Une coordination souveraine au sommet

Le Maroc bénéficie d’une architecture rare : une coordination stratégique exercée par Sa Majesté le Roi, Chef Suprême et Chef d’État-Major Général des Forces Armées Royales. Cette centralité souveraine garantit l’alignement des priorités sécuritaires — de l’intégrité territoriale à la lutte contre les menaces hybrides — et l’arbitrage en temps réel entre impératifs opérationnels et exigences de l’État de droit.

Le Gouvernement assure la coordination opérationnelle à travers les ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Administration de la Défense nationale, veillant à la cohérence inter-services et à l’interopérabilité avec les partenaires internationaux.

Timeline – Évolution juridique & institutionnelle

1956Indépendance, reprise structures protectorat
1975Début conflit du Sahara – contre-ingérence renforcée
2003Attentats de Casablanca – Loi 03-03 anti-terrorisme
2007Loi 53-05 (signature électronique)
2009 Loi 09-08 (CNDP – protection des données)
2011 Constitution (Art. 24 & 27)
2015Création du BCIJ
2018 Adhésion Convention de Budapest
2019Convention 108+ (protection des données)
2020Loi 05-20 (sécurité SI / IIV)
2021Révision loi 43-05 (LBC/FT – ANRF)
Un appareil structuré et intégré

Sous ce pilotage souverain, le Maroc déploie un dispositif articulé :

  • DGST/DGSN : sécurité intérieure, contre-ingérence et renseignement général, avec un pilotage unifié confié à Abdellatif Hammouchi depuis 2015.
  • DGED : renseignement extérieur et stratégique.
  • Gendarmerie royale : maillage en milieux rural et stratégique.
  • DGSSI : cybersécurité, infrastructures d’importance vitale, réponse aux incidents via le maCERT.
  • BCIJ : interface judiciaire pour le contre-terrorisme et la criminalité grave.
  • ANRF : renseignement financier.
  • CNDP : protection des données personnelles.
image
Source : R.O.C.K Institute
image 1
Source : R.O.C.K Institute
Deux catalyseurs de rupture

Deux catalyseurs majeurs ont profondément redessiné la doctrine du renseignement marocain au cours des deux dernières décennies.

Le premier est le choc sécuritaire des attentats de Casablanca, en mai 2003, qui a agi comme un révélateur brutal des vulnérabilités du pays face au terrorisme transnational. Cette tragédie a entraîné une juridicisation accélérée de l’appareil de renseignement, avec l’adoption de la loi 03-03, l’intégration de procédures encadrées pour les interceptions et perquisitions, et une coopération internationale renforcée.

Le second catalyseur est la révolution numérique, qui a bouleversé la nature même du renseignement. L’essor des technologies de l’information, l’explosion des données massives, l’émergence des cybermenaces et des campagnes de désinformation ont imposé au Maroc de développer de nouvelles capacités techniques — cybersécurité, traitement algorithmique, veille OSINT — et d’intégrer la souveraineté technologique comme axe stratégique. Ces deux ruptures, l’une sécuritaire et l’autre technologique, ont façonné un appareil capable d’évoluer dans un environnement où les menaces sont à la fois plus rapides, plus interconnectées et plus sophistiquées.

Deux figures au sommet de l’appareil de renseignement

Au cœur de l’efficacité du renseignement marocain, deux personnalités incarnent la continuité stratégique et l’adaptation permanente aux défis contemporains.

image 2
M. Abdellatif Hammouchi – DG du pôle DGSN-DGST

Depuis 2015, Abdellatif Hammouchi cumule la direction de la DGSN et de la DGST, un modèle de pilotage unifié rare sur la scène internationale. Cette double responsabilité a permis de créer une synergie opérationnelle inédite, renforçant la cohérence des actions de sécurité intérieure et de contre-ingérence. Sous son impulsion, les dispositifs se sont modernisés en continu, avec une attention particulière portée à la valorisation des ressources humaines, considérées comme le socle de la performance sécuritaire, et à la révolution communicationnelle engagée pour instaurer transparence, proximité et pédagogie dans la relation avec les citoyens. En parallèle, la coopération avec les partenaires étrangers s’est accrue et diversifiée. Reconnu bien au-delà des frontières, Hammouchi a reçu de nombreuses distinctions honorifiques, notamment en Espagne, en France et aux États-Unis, saluant l’efficacité et le professionnalisme des forces de sécurité marocaines.

image 3
M. Mohamed Yassine Mansouri – DG de la DGED

À l’international, Mohamed Yassine Mansouri, premier civil nommé à la tête de la DGED, incarne une approche où diplomatie et renseignement se complètent pour servir les intérêts stratégiques du Royaume. Son expérience diplomatique et sa capacité à établir des relations durables avec des partenaires étrangers ont renforcé la position régionale et la crédibilité internationale du Maroc. Sa reconnaissance officielle dans plusieurs pays atteste de la valeur accordée à son rôle stabilisateur dans un environnement régional souvent marqué par l’instabilité.

La juridicisation, levier de légitimité

Véritable colonne vertébrale de la modernisation sécuritaire, la juridicisation a offert au renseignement marocain un socle légal clair, renforçant à la fois son efficacité et sa légitimité face aux menaces hybrides.

En effet, depuis 2003, le Maroc a engagé une accélération normative sans précédent, inscrivant la lutte contre le terrorisme, la protection des données et la cybersécurité dans un corpus législatif cohérent et aligné sur les standards internationaux :

  • Loi 03-03 contre le terrorisme.
  • Réformes de l’article 108 du Code de procédure pénale (interceptions sous contrôle judiciaire).
  • Constitution 2011 : protection de la vie privée (art. 24) et droit à l’information (art. 27).
  • Lois sectorielles : 53-05 (signature électronique), 09-08 (protection des données), 05-20 (sécurité des systèmes d’information).
  • Alignement sur la Convention de Budapest (cybercriminalité) et la Convention 108+ (protection des données).
image 4
Source : R.O.C.K Institute

Tableau – Menaces & Réponses

MenaceRéponse actuelleBesoin identifié
Terrorisme globaliséLoi 03-03, BCIJAdaptation flux financiers/crypto
Guerre hybrideLoi 05-20, DGSSI, maCERTProtocoles attribution rapide
Cybercriminalité avancéeLoi 05-20, IIVAudits sectoriels obligatoires
IA générative & deepfakesLoi 09-08, Convention 108+Gouvernance IA nationale
Quantique (HN/DL)Veille DGSSI, UM6P, ENSIASFeuille de route PQC
Criminalité transnationale 2.0Coopération Interpol/AfripolMise à jour Code pénal
Menaces hybrides : nouveau terrain de vigilance

Face aux menaces hybrides, le renseignement marocain évolue désormais sur un champ de bataille diffus, où le terrorisme, la guerre informationnelle, l’espionnage économique et les technologies disruptives se conjuguent pour redéfinir les lignes de vigilance.

L’appareil marocain affronte une topographie de risques interconnectés :

  • Terrorisme globalisé : démantèlement préventif des cellules (BCIJ).
  • Guerre de l’information : campagnes hostiles sur les réseaux sociaux, parfois couplées à des cyberattaques ciblées.
  • Espionnage économique : captation de données stratégiques (énergie, télécoms, recherche).
  • Criminalité transnationale 2.0 : blanchiment via cryptomonnaies, trafic orchestré via messageries chiffrées.
  • Technologies disruptives : IA générative et rupture cryptographique attendue avec le quantique.

Maroc – lecture critique du dispositif de renseignement

CE QUI FONCTIONNE
+ Pilotage intégré DGSN–DGST : la double direction favorise la vitesse d’exécution, réduit les silos et fluidifie la chaîne renseignement–police judiciaire–prévention (effet levier pour le BCIJ).
+ Socle juridique consolidé depuis 2003 : articulation progressive entre efficacité opérationnelle (03-03, art. 108 CPP) et garanties (Constitution 2011, 09-08, 05-20).
+ Crédibilité externe : la DGED combine diplomatie et renseignement ; partenariats renforcés (Budapest, 108+), image d’acteur “fiable” en Méditerranée et en Afrique.
+ Mix HUMINT/tech : tradition de maillage humain conservée, montée en gamme cyber (DGSSI, IIV, maCERT).
+ Doctrine “menaces hybrides” assumée : prise en compte conjointe du terrorisme, de la désinformation, du cyber et de l’économique.
LES ZONES DE FROTTEMENT
Absence d’une loi-cadre unifiée du renseignement : le corpus est robuste mais éclaté ; la lisibilité externe (coopérations) et la sécurité juridique interne (techniques spéciales) gagneraient à être clarifiées.
Article 108 à moderniser : preuve numérique, cloud extraterritorial, chiffrement massif, chaîne de custodie et horodatage qualifié : il manque une doctrine probatoire “by design”.
Souveraineté technologique : dépendance à des briques critiques (capteurs, appliances réseau, IA “boîte noire”) ; besoin d’une trajectoire claire vers des solutions souveraines ou “auditables”.
IA de sécurité : opportunités évidentes (OSINT massif, biométrie, priorisation) mais risques de biais/explicabilité et d’acceptabilité sociale sans gouvernance dédiée.
Transparence maîtrisée : peu d’indicateurs publics agrégés (interceptions, incidents cyber, démantèlements) ; un reporting annuel renforcerait confiance et coopération.


Maroc vs France – points de comparaison utiles

DimensionMarocFrance
GouvernancePilotage intégré DGSN–DGST (synergies fortes). DGED pour l’externe.Communauté multi-services : DGSE (extérieur), DGSI (intérieur), DRM, DRSD, DNRED, Tracfin ; coordination nationale rattachée à l’Élysée et instances interministérielles.
Base légaleCorpus post-2003 + Constitution 2011 + lois sectorielles (09-08, 05-20) ; pas de loi-cadre unique du renseignement.Loi Renseignement 2015 (techniques spéciales encadrées), prolongements ultérieurs ; cadre consolidé dans le Code de la sécurité intérieure.
Contrôle & oversightContrôle judiciaire (art. 108), CNDP (données). Recommandé : rapport public annuel ; oversight parlementaire formalisé moins développé.CNCTR (contrôle des techniques), DPR (délégation parlementaire), contrôle juridictionnel (Conseil d’État), CNIL (données) : écosystème d’oversight robuste et public.
Interceptions & preuve numériqueArt. 108 à moderniser (cloud/chiffrement/custodie).Techniques listées et encadrées (y compris algorithmiques), traçabilité, recours ; jurisprudence abondante.
Cyberdéfense / SSIDGSSI, IIV, homologations/notifications (loi 05-20) ; montée en puissance.ANSSI, doctrine d’homologation mature, exercices réguliers (type Piranet/Defnet), obligations sectorielles étendues.
TransparenceFaible volume d’indicateurs publics agrégés ; la note propose un rapport annuel.Rapports publics réguliers (CNCTR, DPR, ANSSI), documentation doctrine/procédures.
Intégration opérationnelleFort effet de levier grâce au pilotage unifié et au BCIJ (interface justice).Modèle multi-piliers, coopération structurée mais plus “fédérale” ; centres de fusion/coordination multi-services.
Souveraineté technoEn transition : besoins identifiés en PQC, preuve numérique, IA explicable.Écosystème plus fourni (industriels/éditeurs), mais mêmes défis IA/crypto/5G ; forte doctrine sécurité nationale.
Source le1.ma
Six chantiers stratégiques

Pour anticiper les prochaines mutations sécuritaires, le R.O.C.K. Institute identifie six chantiers stratégiques appelés à structurer l’avenir du renseignement marocain :

  1. Loi-cadre sur le renseignement (missions, techniques spéciales, contrôle judiciaire et parlementaire).
  2. Modernisation de l’article 108 CPP (cloud, chiffrement, custodie numérique certifiée).
  3. Opérationnalisation renforcée de la loi 05-20 (audits sectoriels, exercices nationaux).
  4. Migration vers la cryptographie post-quantique (audit, feuille de route, formation).
  5. Gouvernance nationale de l’IA sécuritaire (comité technico-éthique, lignes rouges, recours citoyens).
  6. Rapport public annuel (statistiques agrégées, tendances, coopération internationale).
Cap 2030 : anticiper, protéger, inspirer confiance

Fort d’un socle normatif consolidé depuis le tournant sécuritaire post-2003 et d’un appareil reconnu sur la scène internationale, le Maroc aborde les cinq prochaines années avec un triple impératif :

  • Agilité juridique pour intégrer rapidement les innovations et encadrer l’action des services dans un environnement où les menaces évoluent plus vite que le droit.
  • Souveraineté technologique pour sécuriser les briques critiques – cryptographie, IA explicable, capteurs – face aux ruptures annoncées par l’informatique quantique.
  • Transparence maîtrisée pour renforcer la confiance publique et internationale, tout en protégeant les méthodes et les capacités opérationnelles.

À l’horizon 2030, il ne s’agira plus seulement de déjouer les menaces, mais de façonner l’écosystème sécuritaire où elles émergent : imposer ses propres standards technologiques, faire du droit un instrument d’anticipation, et mobiliser la puissance du renseignement pour protéger, influencer et affirmer la souveraineté marocaine dans un monde où la donnée est devenue la première frontière stratégique. Un renseignement méditerranéen et africain, capable de dialoguer d’égal à égal avec ses partenaires tout en protégeant ses spécificités souveraines. La trajectoire décrite montre un équilibre entre fermeté opérationnelle et intégration aux standards internationaux — un facteur clé de résilience et de projection d’influence dans l’ère des menaces hybrides.

Nawfal Laarabi
Nawfal Laarabi
Intelligence analyst. Reputation and influence Strategist 20 années d’expérience professionnelle au Maroc / Spécialisé dans l’accompagnement des organisations dans la mise en place de stratégies de communication d’influence.

Les plus lus

Khalid Zerouali nommé wali de la région Fès-Meknès et gouverneur de la préfecture de Fès par intérim

Le ministère de l’Intérieur a désigné, ce vendredi 3...

Omar Balafrej, le Benkirane de la GenZ212 ?

Là où le gouvernement s’enlise dans le silence, Omar...

Quand la télévision retrouve la voix du pays

Ce vendredi, les Marocains ont été agréablement surpris.Très agréablement...

Mohamed Faouzi, nommé wali par intérim de la région Marrakech-Safi

Le ministère de l’Intérieur vient de nommer Mohamed Faouzi en tant...

GENZ212 : Medi1 TV crée l’évènement, première confrontation entre le gouvernement et l’opposition

Medi1 TV organise ce samedi 4 octobre une confrontation directe entre...

Saisie de 9300 comprimés psychotropes à Tiflet : un suspect interpellé

Les services de police de Tiflet, en coordination avec...

Saisie de 33 kg de cocaïne au port de Tanger Med

Les services de police du port de Tanger Med,...

GENZ212 : Medi1 TV crée l’évènement, première confrontation entre le gouvernement et l’opposition

Medi1 TV organise ce samedi 4 octobre une confrontation directe entre...

Quand la télévision retrouve la voix du pays

Ce vendredi, les Marocains ont été agréablement surpris.Très agréablement...

Omar Balafrej, le Benkirane de la GenZ212 ?

Là où le gouvernement s’enlise dans le silence, Omar...

Related Articles

Focus Thématiques

[