La démission forcée de François Bayrou, consécutive au vote de défiance de l’Assemblée nationale, peut être lue comme un épisode de la très tourmentée vie politique française. Mais le timing de cette chute soulève des interrogations. Pourquoi maintenant, à deux jours d’une journée de mobilisation nationale annoncée comme particulièrement tendue ? Pourquoi ce silence de l’Élysée, comme si Emmanuel Macron avait choisi de ne pas retenir son Premier ministre, malgré l’évidence du péril ?
Le président a-t-il laissé faire ?
Depuis plusieurs jours, François Bayrou s’était lancé dans un marathon médiatique, occupant plateaux et antennes comme pour préparer l’opinion à une issue inévitable. Emmanuel Macron, lui, s’est tenu en retrait, observant la scène sans intervenir. Doit-on y voir une simple résignation face aux équilibres parlementaires impossibles ? Ou bien une stratégie délibérée, consistant à laisser tomber le « fusible » pour offrir à l’opinion un responsable désigné, et détourner la colère sociale de l’Élysée ? Dans ce contexte, les propos de Nicolas Sarkozy prennent une résonance particulière : l’ancien président a signé l’arrêt de mort de Bayrou tout en insistant sur le fait qu’une démission de Macron ne réglerait pas le problème d’un pays que ce dernier juge désormais « ingouvernable ». Une manière de valider, indirectement, l’idée que sacrifier Bayrou suffisait peut-être à calmer la rue sans fragiliser l’Élysée.
Une manœuvre pour désamorcer la rue ?
La question du calendrier pèse lourd. Le 10 septembre, les services de renseignement redoutent une vague de blocages, d’actions spectaculaires et de fronde territoriale. Le spectre des « gilets jaunes » hante encore l’exécutif. En laissant tomber Bayrou avant cette échéance, Macron a-t-il cherché à désamorcer une partie de la contestation ? La rue, qui réclamait des têtes, peut-elle se satisfaire d’un Premier ministre sacrifié ? Ou la manœuvre sera-t-elle perçue comme un écran de fumée, incapable de calmer une colère plus profonde ?
À court terme, cette décision peut se lire comme une tentative de reprendre l’initiative : montrer que le problème a été identifié et « corrigé », avant même que la rue ne l’impose. Mais la manœuvre reste fragile. Bayrou est parti, certes, mais la crise de gouvernabilité demeure. L’opinion acceptera-t-elle de dissocier le président de son Premier ministre ? Ou considérera-t-elle que le mal est plus profond, et que l’architecture de la Ve République tout entière vacille ? Dans l’intervalle, Emmanuel Macron pourrait tabler sur un autre levier : occuper l’opinion par le suspense autour du choix du successeur de Bayrou, tenant ainsi médias et concitoyens en haleine, tout en offrant plus tard un nouveau punching-ball sur lequel canaliser critiques et frustrations.
Une séquence que Macron traversera sans doute
Il serait hasardeux de parier sur l’effondrement d’Emmanuel Macron. Le président a déjà prouvé sa capacité à traverser les tempêtes, à retourner les défaites en leviers, à se maintenir malgré des crises qui semblaient insurmontables.
Dans un monde devenu instable et dangereux, où les Français se sentent tétanisés par l’angoisse des crises internationales autant que par l’incertitude de leur avenir immédiat, l’idée d’un saut dans l’inconnu paraît encore plus risquée. Les citoyens devront probablement se résoudre à ne pas prendre ce risque, d’autant que Macron sait qu’il pourra toujours repousser les problèmes les plus explosifs — la dette, les budgets impossibles à équilibrer — pour les refiler à son successeur.
Macron conserve en main plusieurs cartes. Il a su, au fil de ses deux mandats, sacrifier ses proches pour préserver l’essentiel : Édouard Philippe au lendemain du premier quinquennat, Élisabeth Borne dans un contexte de blocage institutionnel, Gabriel Attal lors de le coup de poker de la dissolution. François Bayrou vient s’ajouter à cette liste. À chaque fois, le président a fait tomber un pion pour maintenir le roi debout.
Cette capacité du président français à manœuvrer dans la tempête, à rester le seul point fixe d’un échiquier mouvant, demeure la clé de sa survie politique. Il traversera sans doute la chute du gouvernement Bayrou comme il en a traversé d’autres. Mais il n’ignore pas que viendra un temps où son successeur pourrait être issu de la droite dure, voire de l’extrême droite, à l’image de Giorgia Meloni en Italie, de Donald Trump aux États-Unis ou d’autres figures qui s’imposent dans le paysage occidental. D’autant que de nombreux Français regardent avec attention le “modèle Meloni” : une Italie replacée au centre de l’échiquier international, redevenue attractive, et désormais perçue comme un refuge pour une partie des élites économiques déçues d’un Occident mal en point.