L’Éthiopie a officiellement inauguré mardi le Grand Barrage de la Renaissance (GERD), devenu le plus grand ouvrage hydroélectrique du continent africain. Avec une capacité de 5.150 mégawatts, il propulse Addis-Abeba parmi les vingt premières puissances mondiales de l’hydroélectricité, tout en avivant les tensions avec l’Égypte, qui dépend du Nil pour près de 90 % de ses besoins en eau douce.

Fruit de plus de dix ans de travaux et d’un investissement de 5 milliards de dollars, le GERD est érigé sur le Nil Bleu, dans la région de Benishangul-Gumuz.
Le Premier ministre Abiy Ahmed, entouré de ses homologues du Kenya, de Djibouti et de Somalie, a souligné que ce projet visait à « électrifier la région et changer l’histoire des peuples africains », insistant sur le fait que le barrage « n’a pas été construit pour nuire » à l’Égypte et au Soudan.
Près de la moitié des 120 millions d’Éthiopiens n’avaient pas accès à l’électricité en 2022. L’État espère désormais combler ce déficit énergétique tout en exportant ses excédents vers ses voisins. Le barrage devient aussi un outil de modernisation rurale, même si les réseaux de distribution restent largement sous-développés.
L’ouvrage a inondé une superficie plus grande que l’agglomération londonienne, alimentant un réservoir gigantesque destiné à réguler les crues et soutenir l’irrigation.

Au-delà de ses dimensions techniques, le GERD cristallise une fierté nationale. Dans un pays marqué par les conflits internes, le barrage est devenu un symbole d’unité. Selon l’universitaire Mekdelawit Messay (Florida International University), « il incarne ce que les Éthiopiens peuvent réaliser lorsqu’ils sont unis ».
Le financement illustre aussi cet effort collectif : 91 % des fonds proviennent de l’État, le reste ayant été couvert par des obligations souscrites par les citoyens ou des dons.

Les craintes du Caire et de Khartoum
Depuis le lancement du chantier en 2011, l’Égypte s’oppose fermement au projet. Le Caire estime que le barrage viole les traités historiques sur le partage des eaux du Nil et représente une menace existentielle.
Le ministère égyptien des Affaires étrangères a saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, dénonçant une violation du droit international. Le gouvernement égyptien a rappelé qu’il se réservait « le droit de prendre toutes les mesures appropriées pour défendre les intérêts du peuple égyptien ».
Le Soudan, tout en partageant les inquiétudes du Caire sur l’absence d’accord juridiquement contraignant sur le remplissage et l’exploitation du barrage, pourrait tirer profit de la gestion des crues et de l’accès à une électricité à bas coût.
Pour Addis-Abeba, le barrage n’est pas une arme hydrique mais un levier de développement partagé. L’Éthiopie souligne que le remplissage progressif du réservoir, amorcé en 2020, n’a pas entraîné de perturbations majeures dans les débits du Nil, notamment grâce à des années de pluies abondantes.
Reste que la méfiance demeure vive : l’Égypte craint que le GERD ne crée un précédent et n’encourage d’autres pays riverains à lancer leurs propres projets, redessinant l’équilibre stratégique du bassin du Nil.

L’inauguration du GERD n’est pas seulement un événement technique, c’est aussi un acte politique et géopolitique. Pour l’Éthiopie, il s’agit d’un outil d’affirmation régionale et d’émancipation économique. Pour l’Égypte, c’est un défi à sa sécurité hydrique et à son influence historique sur le Nil.
Entre développement et rivalités, la bataille de l’eau entre Le Caire et Addis-Abeba reste ouverte – et pourrait devenir l’un des dossiers les plus sensibles du continent africain dans les années à venir.