La visite du Premier ministre britannique à Ankara, censée sceller un méga-contrat pour la vente de chasseurs Eurofighter Typhoon, est éclipsée par de nouvelles accusations d’espionnage visant le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu, figure emblématique de l’opposition à Recep Tayyip Erdoğan.
Le déplacement officiel du Premier ministre britannique Keir Starmer en Turquie devait marquer une étape majeure dans la relance du secteur de la défense britannique. Objectif : finaliser un contrat évalué à près de 8 milliards de livres sterling, portant sur la vente de 20 à 40 avions de chasse Eurofighter Typhoon à Ankara.
Mais l’annonce, simultanée, de nouvelles accusations d’espionnage contre Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et rival politique du président Erdogan, a transformé cette visite économique en épisode diplomatique à haut risque.
Un accord stratégique pour Londres et Ankara
En quête de relais de croissance industrielle, le gouvernement de Keir Starmer mise sur le redéploiement des exportations d’armement pour renforcer la base industrielle britannique et créer jusqu’à 20 000 emplois au Royaume-Uni.
L’accord, soutenu par Berlin depuis que le chancelier allemand Friedrich Merz a levé en juillet son veto sur les ventes d’Eurofighter à la Turquie, vient consacrer la réintégration progressive d’Ankara dans les cercles stratégiques occidentaux.
Pour la Turquie, l’enjeu est tout aussi vital : il s’agit de moderniser une flotte aérienne vieillissante, toujours dépendante des F-16 américains, et de consolider son rôle dans le flanc sud-est de l’OTAN.
« De la Syrie à Gaza, du Golfe à la guerre en Ukraine, aucune équation ne peut se former sans la Turquie », a déclaré le président Erdoğan, soulignant la centralité de son pays dans les équilibres régionaux.
Le spectre d’une dérive autoritaire
Mais alors que Keir Starmer foulait le sol turc, les procureurs d’Istanbul annonçaient de nouvelles charges contre Ekrem İmamoğlu, accusé « d’espionnage indirect » pour le compte du renseignement britannique (MI6).
Selon l’agence Anadolu, les poursuites reposeraient sur des liens présumés entre l’équipe de campagne du maire et un homme d’affaires arrêté en juillet pour « collaboration avec un service de renseignement étranger ».
Charismatique figure du Parti républicain du peuple (CHP), İmamoğlu est déjà détenu depuis mars dans le cadre d’une autre affaire de corruption qu’il dénonce comme politique. Sa condamnation pourrait permettre au ministère de l’Intérieur de nommer un administrateur pour diriger Istanbul, privant l’opposition de son bastion le plus stratégique.
« Il serait plus réaliste de m’accuser d’avoir incendié Rome », a ironisé le maire à l’audience, dénonçant des accusations fabriquées de toutes pièces.
Un monde où la guerre redessine les alliances
La visite de Keir Starmer à Ankara ne s’inscrit pas seulement dans une relation bilatérale entre Londres et Ankara : elle s’insère dans un basculement global où l’Occident s’éloigne de ses certitudes morales pour renouer avec les logiques de puissance.
Depuis la guerre contre la Russie, la guerre à Gaza, et la prolifération de deals militaires aussi opaques qu’incompréhensibles au Moyen-Orient, les démocraties occidentales ont peu à peu troqué leur discours universaliste contre un pragmatisme stratégique assumé.
Entre le front ukrainien et les ruines de Gaza, le Vieux Continent et ses alliés anglo-saxons se redécouvrent un vocabulaire qu’ils croyaient révolu : celui du hard power, de l’économie de guerre et de la relance par l’armement.
Les budgets militaires explosent, les contrats d’armement se multiplient, et les principes de droit international ne pèsent plus lourd face aux impératifs de sécurité, de production et d’influence.







