C'est un niet officiel du successeur de Driss Guerraoui à la tête du Conseil de la Concurrence au sujet du projet de loi n° 94.17 relatif au secteur aval du gaz naturel. Lequel projet de loi avait été initié par Aziz Rabbah, il y a exactement cinq ans. L'ancien ministre PJDiste voulait donner à une seul et unique société privée le monopole du transport gazier et de limiter le droit d'importation de cet hydrocarbure à l’ONEE et aux distributeurs (Afriquia, Vivo Energy et Total entre autres).
Neuf mois après sa nomination, Ahmed Rahhou s'attaque à l'un des dossiers brulants que lui a laissé son prédécesseur, débarqué manu militari pour «très mauvaise gestion» de l'affaire de l'entente sur les prix des hydrocarbures. Le dossier en question est le projet de loi n° 94.17 relatif à la régulation du secteur aval du gaz naturel.
Il faut revenir au contexte de l'élaboration de ce texte de loi fin 2017. Le Maroc venait d'organiser la COP22, un évènement qui représentait le fruit d'une décennie d'investissement et d'engagement en matière de transition énergétique et d'énergie propre. De plus, le marché des hydrocarbures constatait une offre abondante du GNL (Gaz Naturel Liquéfié), favorisée, entre autres, par la rentrée en opération de nouvelles capacités de liquéfaction et d’exportation, principalement en Australie, aux Etats Unis et en Russie. Une situation que le Roi Mohammed VI avait anticipé en mettant la pression sur le gouvernement Benkirane II pour élaborer un plan national pour le développement du gaz naturel. Et last but not least, le Royaume voulait disposer de sources alternatives d'importation du gaz en provenance d'Algérie dont les contrats expiraient en 2021.
Aziz Rabbah, alors ministre de l'Energie et des Mines, présente le 08 décembre 2017, le projet de loi n° 94.17 sensé régulé et organisé ce nouveau secteur juteux. Dans la note d'information de ladite loi, le ministre rappelle le contexte de son élaboration et ses objectifs.
«En raison des grands changements qui se produisent au niveau international en matiere d'approvisionnement énergétique et de protection de l'environnement, notre pays a adopté une stratégie visant la sécurisation de son approvisionnement en énergie au moindre cout, tout en assurant sa transition énergétique avec prévoyance et pragmatisme», ainsi a été exprimée l'introduction de la note d'information.
«A cet égard, et afin d'assurer les besoins croissants en énergie le Maroc s'est fixé comme objectif, en plus du développement des energies renouvelables, la diversification des combustibles, en augmentant la part du gaz naturel dans le mix énergétique» poursuit le document. Et ce, pour les principales raisons suivantes :
- Disposer de sources alternatives d l'importation du gaz en provenance d'Algérie a travers Ie Gazoduc Maghreb Europe. Les contrats et accords qui encadrent cette importation arriveront à échéances en 2021 ;
- Répondre aux besoins croissants du pays en électricité a moyen et long termes, et qui évoluent avec un taux de croissance annuel de près de 6%;
- Diversifier ie mix électrique, ou sa production est actuellement dominée par l'utilisation du charbon;
- Répondre aux contraintes techniques resultant de la montée en puissance des energies renouvelables dans la production d'électricité étant donné Ie manque de régularité naturelle de ces energies ;
- Assurer la stabilité du système électrique national en utilisant les technologies de cycle combiné consommant Ie gaz naturel, ce qui permet une plus grande souplesse ;
La note d'information rappelle «l'approbation par le Souverain de la feuille de route du plan national pour le développement du gaz naturel lancée le 16 Décembre 2014. Lequel plan visait, entre autres, la réalisation d'un projet intégré appelé « Gas To Power » comprenant un terminal à Jorf Lasfar pour l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) pour alimenter les centrales électriques et fournir certaines industrie».
Rabbah voulait verrouiller le marché du gaz naturel au profit de quelques «happy few»
Dans sa conception de la régulation du secteur aval du gaz naturel, Aziz Rabbah prévoyait de donner sa gestion à une seule et unique société privée qui porterait le nom de la Société de Transport du Gaz Naturel (STGN) et à limiter l'importation du gaz et sa vente à à l'ONEE aux distributeurs gaziers dont les leaders Afriquia, Vivo Energy et Total, qui concentrent à eux trois près de 60 % de parts de marché avaient «plaidé coupable» dans le scandale de entente sur les prix des carburants.
En effet, dans les articles 8, 10, 11, 12 et 13 du projet de loi n° 94.17, Aziz Rabbah instaurait le monopole de la STGN sur le transport du gaz naturel. La SGTN qui, en vertu d'une concession attribuée par l'Etat, d'une durée de 25 ans renouvelable une seule fois, devait assurer le développement, le financement, la construction, l'exploitation et la maintenance de tout ouvrage de transport de gaz naturel sur l'ensemble du territoire. Le texte prévoyait aussi, une possible participation étatique au capital de la SGTN en apportant ses actifs constitués par les gazoducs existants appartenant à l’État.
Tandis que l'article 9 stipulait que « l'exercice des activités d'importation du gaz naturel ou du gaz naturel liquéfié et d'achat du gaz naturel auprès des producteurs locaux sont réservés exclusivement aux distributeurs et à l'Office National de l'Electricité et de I'Eau Potable ».
Ahmed Rahhou : «Établir des monopoles et octroyer des exclusivités auront un impact négatif sur le développement du secteur», REFAITES VOTRE COPIE !
Le nouveau président du Conseil de la Concurrence, Ahmed Rahhou, six jours après s'être exprimé, avec des pincettes certes, sur un autre sujet délicat, les huiles de tables, un secteur qui connait fort bien, vient de publier ce jeudi son avis sur la loi° 94-17. Et il est défavorable.
Politiquement, M. Rahhou sait qu'il est sur un terrain glissant, en raison de la grosse polémique qui a concerné, aussi, les hydrocarbures et qui a couté la place à son prédécesseur. Une affaire qui s'est transformée en une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de l'actuel Chef de Gouvernement, avec tout son lot de mauvaise presse, entachant l'image de l'institution dont Rahhou tient aujourd'hui les rênes.
Le communiqué de Rahhou, repris dans une dépêche de la MAP, a été clair et sans ambiguïté : «le Conseil de la concurrence recommande la reprise de la rédaction du projet de loi en vue de l’harmoniser avec les règles relatives au libre jeu de la concurrence, telles qu’édictées par la loi n° 104.12 relative à la liberté des prix et de la concurrence». Et bien sur dans la ligne de mire du Conseil figurent les articles sus-cités, stipulant le monopole de la distribution et l'exclusivité à l'approvisionnement et à la vente.
«Étant donné que le secteur du gaz naturel n’est pas encore établi, il est impératif de profiter des bienfaits de la concurrence sur ce marché et d’éviter, dès la mise en place initiale de ce secteur, de figer des positions, d’établir des monopoles et d’octroyer des exclusivités qui auront un impact négatif sur le développement du secteur», souligne le Conseil.
Ahmed Rahhou a également pointé du doigt le manque de visibilité et la prévisibilité du projet de loi° 94-17. Il a recommandé à ce titre de clarifier et de préciser certaines dispositions « en vue de disposer d’un cadre juridique stable, équitable et attractif et de renforcer sa prévisibilité afin d’adresser des signaux rassurants aux investisseurs nationaux et étrangers dans le secteur du gaz naturel ».
Le Conseil a tenu à souligner l'importance de «garantir le libre jeu de la concurrence sur le segment transport et stockage», estimant «qu’il ne serait pas indiqué d’hypothéquer le développement du marché du gaz naturel par la seule technologie de transport via les gazoducs».
En conséquence, le Conseil de Rahhou «recommande de ne pas octroyer le monopole sur la totalité des prestations et des moyens de transport car il portera atteinte à la concurrence sur un marché embryonnaire et empêchera le développement rapide du secteur du gaz naturel au Maroc».
«Il est question, en outre, de garantir le libre jeu de la concurrence sur le segment distribution, en évitant d’octroyer des exclusivités de distribution régionales et en encourageant les opérateurs à réaliser les ouvrages de distribution» martèle l'avis du Conseil de la Concurrence.
Par ailleurs, les équipes de Rahhou ont émis d'autres recommandations d'ordre technique, juridique et organisationnel, notamment le risque de chevauchement des prérogatives entre le Conseil de la Concurrence et l'ANRE :
- Remplacer le système d’autorisation par un système de déclaration,
- Permettre au producteur local d’être exempté de l’autorisation d’importation,
- Veiller au respect du principe de séparation des activités,
- Garantir l’indépendance du ou des gestionnaires de Réseau de Transport (GRT) et des infrastructures lourdes (le stockage) vis-à-vis des structures de fourniture et de production,
- Harmoniser de la loi n° 21.90 portant code des hydrocarbures avec le projet de loi relatif au gaz naturel,
- Mettre en place une régulation ex-ante forte et éviter les chevauchements de compétences entre l’Agence Nationale de Régulation de l’Électricité (ANRE) et le Conseil de la concurrence,
- Revoir en profondeur la rédaction du projet de loi concernant les compétences de l’ANRE,
- Consacrer la protection des droits des consommateurs,
- Concilier entre les impératifs liés aux contrats à long terme des concessions conclus en vertu de la loi n° 21.90 portant code des hydrocarbures et le respect de l’ordre public concurrentiel et garantir à tous les utilisateurs l’accès non-discriminatoire et transparent au réseau de transport.
La balle est maintenant dans le camp de l'exécutif et du législatif pour sortir enfin cette loi qui aurait dû voir le jour il y a des années. Entre la vision du Roi Mohammed VI exprimée publiquement en 2014 et aujourd'hui, sept années se sont écoulées. Le marché du GNL sature et depuis moins de deux années, une nouvelle compétition énergétique globale s'intensifie : la course à l’hydrogène décarboné.
L’hydrogène décarboné est aujourd’hui au cœur des initiatives de recherche publiques et privées des grandes puissances. Car il répond à l'ensemble des enjeux environnementaux, technologiques et économiques du moment.
Nous constatons avec regret, l'inertie de notre machine à légiférer qui fait perdre au pays des années de croissance et de développement. Nous ne pouvons qu'espérer que notre nouveau Chef de Gouvernement, Aziz Akhannouch, soit plus alerte et plus performant que ses prédécesseurs sur le sujet crucial de la souveraineté énergétique du Royaume.