Une célèbre blogueuse connue sous le nom de «Donbass Devushka», qui se traduit par «La fille du Donbas», vient d'être démasquée par le Wall Street Journal. L'administratrice de ce profil, fer de lance d'un réseau pro-Kremlin très actif sur les médias sociaux, s'est avérée être une ancienne technicienne en électronique de l'aviation enrôlée aux États-Unis, basée à Washington, dont le vrai nom est Sarah Bils.
C'est le deuxième officier de l'aviation militaire à être accusé en une semaine de propagande pro-russe. Le premier est l’auteur présumé de fuites au Pentagone, Jack Teixeira, un informaticien responsable des réseaux de communication militaires de la Garde Nationale aérienne d’Otis.
«Donbass Devushka» est un nom réputé au sein de la communauté pro-russe qui pullulent sur les réseaux sociaux. Un «digital persona» qui détient plusieurs comptes anglophones les plus suivis de la toile, glorifiant l'armée russe et le groupe paramilitaire Wagner.
Ce dimanche soir, le Wall Street Journal fait une révélation surprenante. L'administratrice de «Donbass Devushka» est une américaine basée dans l'État de Washington et qui de surcroît est une officière de la marine américaine.
Elle s'appelle Sarah Bils. Elle est âgée de 37 ans et a servi jusqu'à la fin de l'année dernière à la station aéronavale américaine de Whidbey Island, une île l'État de Washington dans le Comté d'Island aux États-Unis.
Wall Street Journal affirme que Sarah Bils, alias «Donbass Devushka», a accordé au journal, ce samedi, un entretien à son domicile d'Oak Harbor, dans l'État de Washington.
«Mme Bils a déclaré qu'elle était administratrice du compte Donbass Devushka et a reconnu avoir collecté des fonds et organisé des podcasts sous ce nom. Elle a toutefois ajouté qu'elle était l'une des 15 personnes dans le monde entier impliquées dans la gestion du réseau Donbass Devushka», a écrit le WSJ.
Ce sont les fuites des documents classifiés du Pentagone qui ont démasqué Sarah Bils. En effet, le 5 avril dernier, le compte Telegram Donbass Devushka qui compte 65.000 abonnés, a diffusé quatre des documents classifiés suscités.
Plusieurs grands comptes russes sur les médias sociaux ont alors repris les documents, après quoi le Pentagone a lancé une enquête.
Interrogée par le WSJ, Sarah Bils réfute toute accusation de diffusion des documents du Pentagone. «Ce n'est pas moi qui a posté les pentagone files mais un autre administrateur de la chaîne Telegram» a-t-elle déclaré.
Le compte Telegram Donbass Devushka que Sarah Bils administre se décrit comme s'engageant dans une «guerre de l'information à la russe».
Des comptes liés utilisant le même nom sur d'autres plateformes ont également promu les intérêts russes après l'invasion de l'Ukraine par Moscou en février 2022. Le réseau Donbass Devushka vendait des marchandises à l'effigie de Wagner et de l'armée russe, promettant d'envoyer les recettes pour la «liberté du Donbass» et d'aider «nos hommes sur le front».
«Le 5 avril, le compte Telegram Devushka du Donbass a posté des images de quatre fichiers que l'aviateur Teixeira aurait volés à l'armée américaine» écrit le Wall Street Journal. Le message est resté en ligne pendant plusieurs jours.
Sarah Bils a déclaré qu'un autre administrateur avait publié ces images et que c'est elle qui les a supprimées par la suite.
«Je ne sais même pas si ces documents sont authentiques ou ce qu'ils disent. Je ne suis pas très versée dans la lecture de ce genre de documents», a-t-elle déclaré.
Outre le compte Telegram, créé il y a un an, le digital persona Donbass Devushka gère des comptes populaires sur Twitter, YouTube, Spotify et d'autres plateformes. Le compte Twitter existe depuis 2012. Après la publication de l'article du Wall Street Journal, ce dernier a été protégé.
Certaines des slides volés du Pentagone et publiées sur la chaîne Telegram administrée par Bils ont été modifiées par rapport aux documents identiques partagés par l'aviateur Teixeira sur Discord, «dans le but de gonfler les pertes ukrainiennes et de minimiser les pertes russes», écrit le WSJ.
Le 12 avril, un message posté sur la chaîne Telegram Devushka du Donbass a nié que l'image avait été trafiquée par les administrateurs.
«Nous ne modifierions jamais le contenu pour nos abonnés», a indiqué le message.
Sarah Bils, profil type de la série «The Americans»
Dans son entretien avec le WSJ, Sarah Bils reconnait avoir enregistré des podcasts défendant le président russe Vladimir Poutine et s'opposant à l'aide américaine à l'Ukraine.
Originaire du New Jersey, Bils parlait avec un léger accent russe et expliquait qu'elle était née à Louhansk, dans le Donbas contrôlé par la Russie. Lors de son entretien avec le WSJ, Bils a déclaré qu'elle avait «quelques» origines russes, sans donner de détails.
Sarah Bils a été promue au grade E-7 de technicien en chef de l'électronique aéronautique fin 2020, un poste de sous-officier supérieur, selon les dossiers de promotion affichés sur le site Web de la marine et les photographies de la cérémonie sur la page Facebook de son ancienne unité.
Elle a quitté l'armée en novembre de l'année dernière avec une décharge honorable et le grade inférieur de E-5, selon les dossiers militaires. La raison de cette importante rétrogradation n'a pas pu être déterminée immédiatement. Bils a déclaré avoir quitté la marine pour des raisons médicales, après avoir souffert d'un syndrome de stress post-traumatique.
Rien ne prouve que Bils, qui avait une habilitation de sécurité pendant son service dans la marine, ait utilisé cet accès pour se procurer illégalement elle-même des informations classifiées.
«Je connais évidemment la gravité des documents classés top secret. Nous ne les avons pas divulgués», a-t-elle déclaré.
Le Wall Street Journal a interrogé une ancienne collègue de Sarah Bils à la base aéronavale de Whidbey Island. Rachel Stevens, de son nom, a déclaré qu'une personne de la position et du rang de Mme Bils aurait normalement eu une habilitation «top secret» parce qu'elle travaillait sur de l'avionique sensible.
L'île de Whidbey est la principale installation aéronavale du nord-ouest du Pacifique. Elle abrite tous les escadrons d'attaque électronique tactique de la marine qui utilisent l'EA-18G Growler, ainsi que huit escadrons d'avions de patrouille et de reconnaissance P-3 Orion, P-8 Poseidon et EP-3E Aries, selon le site web de l'U.S. Navy.
Juste avant le WSJ, un groupe d'ukrainiens expose Sarah Bils sur Twitter
L'identité de Donbass Devushka a été révélé pour la première fois par des analystes et activistes pro-ukrainiens de renseignement, connus sous le nom de NAFO.
L'un d'eux, Pekka Kallioniemi, chercheur à l'université de Tampere en Finlande, a publié samedi une série de tweets présentant les preuves, notamment la date de naissance de Sarah Bils figurant dans des documents officiels et l'appel aux dons en ligne de Donbass Devushka à l'occasion d'un anniversaire.
Le réseau Donbass Devushka est devenu un élément important de la campagne de propagande de guerre pro-russe, a déclaré Kallioniemi : «Il s'agit sans aucun doute de l'une des communautés pro-russes de langue anglaise dont la croissance a été la plus rapide».
Jack Teixeira et Sarah Bils, un «pattern» de dysfonctionnement du renseignement aérien américain
Le scandale de la fuite des documents classifiés du Pentagone a levé le voile sur un phénomène jusque là tabou, à savoir le fanatisme de ses propres soldats. Lequel phénomène se serait accentué avec le Trumpisme.
Fait curieux, se sont des militaires techniciens en informatique et en électronique spécialisés dans l'aviation qui ont été impliqués dans des faits aussi graves que la divulgation de données sensibles.
Rappelons que Jack Teixeira, premier suspect dans l'affaire des Pentagon leaks, travaillait en tant que spécialiste informatique et communications dans l’aile du renseignement de la Garde nationale aérienne du Massachusetts. Le jeune militaire avait atteint le rang d’aviateur de première classe en juillet
L'aviateur de la Garde Nationale, Teixeira a été traduit en justice vendredi pour conservation et transmission non autorisées de documents classifiés qu'il aurait pris à l'armée américaine. Il n'aurait pas plaidé coupable lors de sa comparution. Un juge a ordonné qu'il soit incarcéré jusqu'à une audience sur la détention qui aura lieu mercredi.