Le sulfureux homme d’affaires saoudo-éthiopien, Cheikh Mohammed Hussein Al Amoudi, ancien PDG et ex-actionnaire de référence de la raffinerie la Samir, poursuivi par les autorités judiciaires marocaines dans le cadre de l'affaire éponyme, et arrêté début novembre 2017 par les saoudiens dans le sillage de la «purge anti corruption» déclenchée par le prince héritier Mohamed Ben Salmane, refait parler de lui dans les médias américains. A ce titre, le New York Times du vendredi 16 mars lui a consacré un grande enquête bien fouillée mobilisant pas moins de 5 journalistes d’investigation dans lequel le quotidien new-yorkais revient sur son parcours d’hommes d’affaires, son ascension fulgurante, ses relations avec les puissants de ce monde, son terrain de prédilection qu'est l’Ethiopie et sa chute brutale.
Le quotidien new yorkais se pose la question sur le sort de celui qui “possède une grande partie de l'Ethiopie” et dont les “Saoudiens ne dévoileront pas le lieu de détention”.
Celui qui “fournit du café à Starbucks” et qui menait une vie dorée a vu son ascension prendre “une tournure brutale” en novembre. Cheikh Amoudi, milliardaire de 71 ans et d'origine yéménite a été emporté dans la tourmente de la campagne anti-corruption décidée et menée d'une main de fer par le puissant MBS, au cours de laquelle plus de 100 milliards de dollars d'actifs ont été saisis.
De nombreux détenus, initialement emprisonnés à l’hôtel Ritz-Carlton à Ryadh, ont été libérés, notamment le prince Al-Walid ben Talal, mais le cheikh Amoudi, “autrefois appelé le plus riche des noirs du monde par le magazine Forbes” n'a pas été libéré, laissant un vaste empire qui emploie plus de 70 000 personnes dans les limbes. En Éthiopie, “il est le plus grand employeur privé et le plus important bailleur du gouvernement central” selon le journal américain qui ajoute qu'en “Suède, il possède une grande compagnie de carburant, Preem, ainsi qu'à Londres, qu'il a utilisée comme base arrière de son empire”.
"Il était au Ritz-Carlton, mais les membres de sa famille nous ont dit qu'il avait été transféré, avec d'autres personnes, dans un autre hôtel", a déclaré le service de presse du cheikh Amoudi dans une correspondance au NYT. "Malheureusement, nous ne savons pas où il est. Il est en contact régulier avec sa famille et il est bien traité."
Si le cheikh Amoudi “manque d'un pedigree princier, il est par ailleurs un archétype de ceux qui sont empêtrés dans le jeu du pouvoir du royaume : un milliardaire dont les atouts s'étendent à travers le monde et qui entretiennent des liens étroits avec les gouvernements précédents”.
Un vaste empire commercial
Le conglomérat du cheikh Amoudi en Éthiopie “emploie quelque 70 000 personnes et comprend des entreprises agricoles, une compagnie de carburant et une chaîne de stations-service” selon un décompte établi par les journalistes d'investigation qui ont mené l’enquête.
Selon le NYT, “le défunt roi Abdallah ben Abdelaziz était un partisan du Saudi Star Agricultural Development de Sheikh Amoudi, une vaste entreprise agricole éthiopienne établie pour fournir du riz à l'Arabie saoudite”. L'article précise que de “telles entreprises sont considérées comme des atouts stratégiques dans un royaume du désert profondément conscient de ses limites agricoles. Alors que Saudi Star a eu du mal à démarrer, on dit que c'est un sujet d'intérêt particulier pour le nouveau gouvernement.”
De leur côté les responsables saoudiens ont refusé de commenter les accusations portées contre des détenus en particulier ni dévoiler ainsie leur statut, se prévalant des lois sur la vie privée.
Revenant sur la carrière d’Al Amoudi, on apprend du quotidien new-yorkais que le milliardaire “a déménagé dans le royaume à l'adolescence. Bien qu'il y ait peu de détails précis sur la façon dont un roturier est arrivé à une grande richesse, il a réussi à forger des liens influents.” Le plus important de ces liens était celui avec le défunt “prince Sultan Ben Abdelaziz, qui a servi comme ministre de la défense et prince héritier avant sa mort en 2011.” Cheikh Amoudi s'occupait du patrimoine de ce dernier et a beaucoup tiré profit de sa proximité avec lui. Un autre de ses alliés était “Khalid Ben Mahfouz, un milliardaire qui devint plus tard impliqué dans l'effondrement de la Banque du crédit et du commerce international en 1991, à l'époque l'une des plus grandes banques privées du monde.”
Le journal explique que dans les années 1980, “Cheikh Amoudi a créé Mohammed International Development Research and Organisation Companies, un conglomérat connu sous le nom de Midroc. Au début, son plus gros contrat était un projet de plusieurs milliards de dollars pour construire des réservoirs souterrains de stockage de pétrole du royaume.” L'ingénierie et la construction sont devenues des activités de base pour Midroc, mais selon le quotidien “elle gère tout, des usines pharmaceutiques aux usines de meubles de la région. Cheikh Amoudi possède également la moitié d'une compagnie d'acier appelée Yanbu, et une grande chaîne de stations-service appelée Naft.”
À l'instar d'autres détenus, “le Cheikh Amoudi a étendu son influence aux États-Unis. Il a fait don de millions de dollars à la Fondation Clinton et a offert son avion privé pour transporter Bill Clinton en Éthiopie en 2011. Cette offre avait suscité un large débat au sein de la fondation” expliquent es journalistes auteurs de l'enquête. "Sheikh Mo” aurait envoyé un chèque de 6 millions de dollars à Fondation Clinton.
Ce n'était pas la première fois que le nom de Cheikh Amoudi apparaissait aux États-Unis. Trois ans après les attentats du 11 septembre 2001, le propriétaire du World Trade Center a qualifié le Cheikh Amoudi de «commanditaire matériel du terrorisme international» en raison de son financement d'organisations caritatives islamiques controversées. “Les deux parties ont convenu d'une fin de non-recevoir l'année suivante, et un porte-parole du Cheikh Amoudi a attribué le procès à une affaire d'identité erronée.”
En Ethiopie, les alliés du Cheikh Amoudi le décrivent comme un philanthrope et un champion de la croissance africaine. Alors que l'intéressé se décrit de la sorte : “Je suis un investisseur saoudien, né en Afrique, avec une mère éthiopienne dont je suis fier. J'ai une relation privilégiée avec mon pays natal en investissant dans toute l'Afrique – Nord, Sud, Est, Ouest-.”
Une figure polarisante
L'influence du Cheikh Amoudi en Éthiopie a été si omniprésente qu'un câble diplomatique du Département d'État de 2008, rendu public par WikiLeaks, a souligné que «presque toutes les entreprises de grande valeur monétaire ou stratégique privatisées depuis 1994 sont passées du gouvernement éthiopien» à «une» des entreprises d'Al Amoudi. "Cela a remis en question la" véritable compétitivité du processus ", a relevé le câble.
“Le Cheikh Amoudi a permis la construction d’un hôpital à Addis-Abeba et a financé des programmes de traitement du sida.” Sur le plan politique, “il a également longtemps soutenu le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, qui a gouverné le pays pendant plus d'un quart de siècle, mettant en colère les partisans de l'opposition.”
“Quand il a été emprisonné, il a divisé l'opinion publique", selon Semahagn Gashu Abebe, professeur adjoint d'études internationales au Collège Endicott cité par le NYT. "L'opposition est heureuse parce qu'elle pense que cela va grandement affaiblir le régime." Alors que pour le parti au pouvoir en Ethiopie, son arrestation est “une perte".
“Beaucoup voient le Cheikh Amoudi moins comme un fils local bienfaisant qu'un corsaire saoudien”. Certaines de ses opérations minières, en particulier dans une région d'Éthiopie appelée Oromia, ont provoqué du ressentiment, des protestations et des arrestations.
Selon Henok Gabisa, chercheur universitaire invité à Washington et à la Lee University School “sa présence et son absence font une énorme différence en Éthiopie.”