« La visite de Jack Sullivan en Arabie saoudite, et notamment ses rencontres avec le prince héritier Mohammed ben Salmane et les dirigeants des Émirats arabes unis et de l'Inde, pourraient marquer un tournant dans la politique américaine au Moyen-Orient », avait prédit Ahmed Charaï sur les colonnes du quotidien israélien, Israelhayom. Une semaine plus tard, le site d'information américain Axios surprend la communauté internationale avec l'annonce d'un probable rapprochement israélo-saoudien fruit de la médiation de Jake Sullivan. La prospective de M. Charaï s'est vue encore confortée, cette semaine, par l'annonce surprise de la présence de Zelensky au sommet de la Ligue arabe auquel participe aussi le président syrien Bachar el-Assad
MBS a coché toutes les cases d'un coup diplomatique retentissant après celui du rapprochement avec l'Iran sous l'égide de la Chine. Le Qatar, présenté par Biden comme le partenaire gazier de l'occident dans sa guerre contre Poutine, semble être dépassé par les évènements et astreint à suivre le rouleau compresseur du grand-frère. Biden a entrainé, dès le premier jour de son installation, Tamim Al Thani dans des aventures diplomatiques peu brillantes, notamment le retrait de l'Afghanistan et le dialogue tchadien.
Jake Sullivan, le plus jeune Américain à occuper le poste de conseiller à la sécurité nationale depuis près de 60 ans, est en passe de sauver le bilan diplomatique au Moyen-Orient de Joe Biden.
«Depuis 2021, Jake Sullivan a été confronté à de nombreux défis en matière de politique étrangère, notamment en Afghanistan, à Taïwan, au Soudan, en Ukraine, en Russie et en Corée du Nord» écrit Ahmed Charaï dans les colonnes d'Israelhayom en date du 9 mai, à la veille de la visite du haut responsable américain à Djeddah.
L'analyste marocain estimait que «sa prochaine visite en Arabie saoudite, où il rencontrera des dirigeants dont le prince héritier Mohammed ben Salmane, pourrait marquer un tournant crucial dans la politique américaine au Moyen-Orient». Et il a vu tout juste.
M. Charaï avait affirmé que la rencontre entre Sullivan et MBS pourrait symboliser «une remise à zéro et une réaffirmation de l'engagement du président Biden envers le Moyen-Orient, en particulier après l'acceptation des accords d'Abraham par l'administration Biden».
Du retour à Washington, Sullivan réussit à convaincre Joe Biden à prendre en urgence les mesures suivantes :
- Nomination d'un responsable du département d'État pour les accords d'Abraham, en la personne de Dan Shapiro, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël,
- Prioritisation de la normalisation entre MBS et l'administration Biden d'une part et de l'Arabie Saoudite et Israël d'autre part,
- Acceptation du rôle futur de MBS en tant qu'acteur majeur de la région.
Ahmed Charaï avait porté un regard optimiste à la nouvelle cartographie des alliances qui se dessinait dans son analyse sus-citée : « L'accord irano-saoudien, la normalisation israélo-saoudienne et la coalition émergente I2U2, qui relie l'Inde, Israël, les États-Unis et les Émirats arabes unis, et qui pourrait relier l'Asie du Sud au Moyen-Orient, sont autant d'opportunités de progrès» .
Malgré l'intensification des relations avec la Russie et la Chine, la relation la plus importante des pays arabes du Golfe reste celle avec l'Amérique, principalement en raison des partenariats en matière de sécurité et de renseignement fournis par les États-Unis, a-t-il souligné.
« Il est certain qu'Israël continuera à se coordonner avec les pays du Golfe en matière de renseignement et de défense aérienne. Les Émirats arabes unis et d'autres États du Golfe considèrent l'alliance avec Israël comme une garantie de sécurité supplémentaire, maintenant que la puissance de l'Amérique est remise en question par le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, qui a marqué la fin chaotique de la plus longue guerre des États-Unis. »
— Ahmed Charaï, The Hill -21/03/2023
Influence déclinante du Qatar sur la scène diplomatique du Moyen-Orient
La récente décision de l'Arabie Saoudite en pesant de tout son poids sur la Ligue arabe pour réintégrer le président syrien Bachar el-Assad en son sein a mis en lumière l'influence déclinante du Qatar sur la scène diplomatique du Moyen-Orient.
Le Qatar, qui n'a cessé de clamer son opposition à la réadmission de la Syrie, n'a rien pu faire face à la volonté du rouleau compresseur saoudien qui a réussi à arracher un consensus arabe dont celui du Maroc.
Grâce au «deal» avec Jake Sullivan, MBS a réussi à réunir les conditions «écologiques» pour le succès de «son sommet» de la Ligue Arabe qui se tient ce vendredi 19 mai. Le sommet qui le veut celui de la rupture.
Le «move» est tellement disruptif, qu'il a mis en porte-à-faux l'Algérie qui a décidé de revoir à la baisse son niveau de représentation. Les manoeuvres du régime militaire algérien se sont avérées être juste des gesticulations improductives.
Du côté marocain et pour montrer son appui à toute initiative de paix, de sécurité et d'apaisement des tensions entre frères arabes, le Royaume chérifien est représenté dans ce sommet par SAR le Prince Moulay Rachid, frère du Roi Mohammed VI.
«Le retour d'Assad au sommet de la Ligue arabe à Djeddah, après une interruption de 12 ans, signifie la fin de son isolement régional dû à la guerre civile syrienne» analyse Andrew Mills sur Reuters.
Le correspondant de l'agence de presse au Qatar a examiné les points clés de l'évolution de la position du Qatar sur la Syrie et analyse les implications de l'évolution de son approche en matière de politique étrangère :
- Diminution de l'influence du Qatar
La décision de la Ligue arabe de réintégrer Bachar el-Assad dans ses rangs met en évidence le déclin de l'influence du Qatar au Moyen-Orient. Le Qatar, autrefois connu pour sa politique étrangère affirmée, s'était opposé à l'initiative de l'Arabie saoudite visant à normaliser les relations avec Damas. Toutefois, il n'a finalement pas fait obstacle au consensus arabe, ce qui témoigne d'une diminution de sa capacité à influencer la dynamique régionale.
- Atténuer les conflits avec les voisins
Les analystes suggèrent que le changement de position du Qatar sur la Syrie pourrait être motivé par le désir d'atténuer les conflits potentiels avec ses puissants voisins. Le Qatar s'efforce d'améliorer ses relations avec l'Arabie saoudite, l'Égypte, les Émirats arabes unis (EAU) et le Bahreïn, à la suite d'un boycott lié à des allégations de soutien au terrorisme, ce que le Qatar nie catégoriquement. La normalisation des liens avec la Syrie pourrait être considérée comme une étape vers la réduction des tensions et l'alignement de sa position sur celle de ses voisins.
- Isolement et réintégration régionale
Le retour d'Assad au sein de la Ligue arabe après des années d'isolement régional marque un tournant notable. Le soutien antérieur du Qatar aux mouvements pro-démocratiques et aux rebelles en Syrie, en Égypte et en Libye à la suite du printemps arabe avait tendu ses relations avec les pays voisins. Toutefois, la réintégration régionale d'Assad indique que la guerre civile syrienne a atteint un stade où les principaux acteurs sont prêts à s'engager à nouveau avec son gouvernement.
- Mise à l'écart des questions régionales
Malgré les richesses considérables que le Qatar tire de son gaz naturel et son implication dans les affaires mondiales, il a récemment été mis à l'écart de questions régionales essentielles telles que les pourparlers de paix au Yémen et au Soudan. Cela souligne la nécessité pour le Qatar de donner la priorité à ses relations avec les pays voisins plutôt que de s'impliquer dans les conflits régionaux. Selon un diplomate occidental, l'attention que porte actuellement le Qatar à ses voisins reflète une approche pragmatique de la sauvegarde de ses intérêts.
- Politique étrangère indépendante et dialogue constructif
Le Qatar affirme que sa politique étrangère est indépendante, axée sur la recherche de consensus et le dialogue constructif, sans compromettre ses positions fondamentales. Bien que le Qatar ait modifié sa position sur la Syrie, il continue de considérer Assad comme un criminel de guerre et n'a pas rétabli de relations avec son gouvernement. Toute normalisation des liens est liée à des progrès vers une solution politique en Syrie, ce qui démontre l'engagement du Qatar envers ses principes.
- Spéculation sur la position à long terme du Qatar
La question de savoir combien de temps le Qatar pourra maintenir sa position actuelle sans normaliser ses relations avec la Syrie fait l'objet de spéculations. Au fur et à mesure de l'évolution de la région, le Qatar pourrait être soumis à une pression croissante pour aligner ses politiques sur celles de ses voisins. L'équilibre entre ses intérêts et la dynamique régionale sera un défi majeur pour le Qatar alors qu'il navigue dans le réseau complexe de la géopolitique du Moyen-Orient.