L’Inde n’est pas encore entrée dans l’ère post-Modi, mais elle commence à en mesurer l’horizon. Selon une analyse publiée par Reuters le 24 décembre, le pays sera amené, plus tôt qu’il n’y paraît, à réfléchir à son prochain leadership. D’ici fin 2026, Narendra Modi aura franchi la moitié de son troisième mandat consécutif, un jalon symbolique pour un dirigeant qui aura alors passé près de quinze ans à la tête de la plus grande démocratie du monde.
Cette longévité place Modi juste en deçà des figures tutélaires de l’Inde indépendante, Jawaharlal Nehru et Indira Gandhi. Elle rend surtout inévitable une question longtemps éludée par le système politique indien : celle de sa succession.
Une popularité toujours élevée, mais un cycle politique qui s’use
Toujours selon Reuters, Narendra Modi reste aujourd’hui l’un des dirigeants les plus populaires à l’échelle mondiale. En novembre, il arrivait en tête d’un classement de dirigeants de 24 grandes économies établi par la société américaine Morning Consult, avec un taux d’approbation de 71 %. Cette popularité s’explique par une décennie de stabilité politique et par une ligne résolument pro-entreprises.
Reuters souligne que la domination électorale de Modi repose sur une combinaison singulière : un discours de réussite économique, appuyé par des réformes structurelles longtemps différées, fiscalité, faillites, droit du travail, et une capacité à transformer la ferveur religieuse hindoue en capital électoral durable. La réduction progressive des déficits budgétaire et courant a également contribué à renforcer sa crédibilité auprès des milieux d’affaires.
Pour autant, la perspective d’un quatrième mandat apparaît incertaine. La majorité du Bharatiya Janata Party s’est érodée, et Reuters note que le phénomène classique d’anti-incumbency pourrait s’amplifier à mesure que le temps passe.
Classement des Premiers ministres indiens selon la durée cumulée au pouvoir
| Rang | Premier ministre | Durée totale des mandats |
|---|---|---|
| 1 | Jawaharlal Nehru | 16 ans, 9 mois et 12 jours |
| 2 | Indira Gandhi | 15 ans, 11 mois et 16 jours |
| 3 | Narendra Modi | 11 ans + |
| 4 | Manmohan Singh | 10 ans et 4 jours |
| 5 | Atal Bihari Vajpayee | 5 ans, 8 mois et 3 jours |
Trois scénarios pour l’après-Modi
Dans son analyse, Reuters identifie trois scénarios principaux si Narendra Modi venait à quitter la scène politique.
Le plus probable à ce stade serait une succession interne au BJP. Parmi les noms cités figure Amit Shah, ministre de l’Intérieur et bras droit du Premier ministre, incarnation d’une continuité politique et idéologique. Autre profil évoqué : Devendra Fadnavis, chef du gouvernement de l’État du Maharashtra, actuellement engagé dans une vaste refonte des infrastructures de Mumbai. Reuters souligne qu’aucun rival interne crédible n’a, à ce stade, émergé face à ces figures.
Un deuxième scénario verrait un allié du BJP tenter de fédérer une coalition. N. Chandrababu Naidu ou son fils Nara Lokesh sont cités par Reuters comme des acteurs potentiels, portés par une stratégie d’investissements massifs, notamment dans le numérique. L’agence rappelle à ce titre le projet de data centers de 15 milliards de dollars soutenu par Google dans l’État de l’Andhra Pradesh.
Enfin, Reuters évoque un scénario d’alternance mené par l’opposition, avec Rahul Gandhi, chef du Congrès, ou sa sœur Priyanka Gandhi, à condition que l’opposition parvienne à surmonter ses divisions structurelles.
Une inquiétude de fond : la fin d’un leadership hégémonique
Quelle que soit l’issue, Reuters insiste sur un point central : l’après-Modi sera, par définition, une phase de fragilisation du pouvoir exécutif. Aucun successeur n’est aujourd’hui en mesure de bénéficier du même niveau de soutien populaire et politique.
L’agence met en garde contre deux risques majeurs. D’une part, un dirigeant affaibli pourrait être tenté de recourir davantage aux aides financières et aux politiques de redistribution pour consolider sa base électorale, au détriment de la discipline budgétaire. D’autre part, une coalition fragmentée favoriserait le retour de multiples centres de pouvoir, avec une hausse potentielle de la corruption et des arbitrages politiques permanents.
Ces préoccupations, conclut Reuters, restent encore latentes. Mais à mesure que Narendra Modi avance vers la dernière partie de son règne, elles commencent à remonter à la surface. L’Inde n’a pas encore tourné la page Modi. Elle a simplement commencé, discrètement, à envisager ce qui viendra après.



