Emmanuel Macron s'est débarrassé vendredi de son premier ministre, Edouard Philippe, devenu trop populaire grâce à la crise sanitaire. Il l'a remplacé par Jean Castex, personnalité peu connue du grand public chargée récemment de la stratégie de déconfinement en France. Le timing est parfait: au lendemain des municipales et du début des grandes vacances. Sans pression médiatique, Macron veut préparer une rentrée des plus difficiles et récupérer par la même occasion le contrôle de l'exécutif en s'appuyant sur les grandes qualités du nouveau premier ministre, à savoir le manque de notoriété et le déficit de charisme.
«Il était le "Monsieur déconfinement" du gouvernement français. Jean Castex, 55 ans, est désormais le nouveau Premier ministre, après la démission d'Édouard Philippe» a annoncé l'AFP vendredi 3 juillet suite l'annonce de la nomination.
La dépêche de l'agence de presse française n'a pas tari d'éloges à l'égard du nouveau premier ministre : « Jean Castex avait eu la charge de résoudre le casse-tête du déconfinement progressif de la population française dans un contexte où le nouveau coronavirus n'aura pas totalement disparu. Un défi qui n'a pas fait peur à cet énarque, habitué des dossiers complexes, qui peut s'appuyer sur une vie professionnelle et politique très largement orientée vers le secteur social et celui de la santé.»
« Lors du premier plan pandémie [pour le virus H5N1 en 2006], c'est Jean Castex qui est dir'cab au ministère de la Santé, période durant laquelle l'OMS avait alors indiqué qu'on était l'un des pays les mieux préparés au monde» rapporte la même source de la bouche de Xavier Bertrand.
L'agence gouvernementale va aussi louer l'attachement local de ce haut fonctionnaire : «Ce père de quatre filles a conservé l'accent du sud et reste très attaché à son Gers natal. Il est maire de Prades depuis 2008, où il a d'ailleurs été très largement réélu avec 76 % des suffrages lors du premier tour des municipales, 48 heures avant le confinement».
Apaiser les relations avec les collectivités locales
«Jean Castex a officiellement pris ses fonctions en fin d’après-midi lors de la traditionnelle cérémonie de passation de pouvoirs à l’hôtel de Matignon, où son prédécesseur et lui, qui ont travaillé étroitement à l’élaboration du plan de déconfinement de la France, ont rivalisé d’éloges mutuels», précise Reuters qui estime que Jean Castex aura pour mission «de mettre en musique l’inflexion promise par le chef de l’Etat».
Son profil d’élu local et rural pourrait notamment l’aider à apaiser les relations entre le chef de l’Etat et les représentants des collectivités locales, tendues depuis le début du quinquennat et la réforme de la taxe d’habitation, souligne la même source.
Une hypothèse que va confirmer l'intéressé quand il va déclarer dans la soirée à TF1«Tout ne peut pas se décider depuis Paris, je crois aux territoires, je crois à la confiance et aux valeurs de responsabilité».
«Effacement de la fonction de premier ministre», «pouvoir solitaire du président», convergence des analyses des observateurs français
Tout en louant les capacités techniques et le sérieux de Jean Castex, les médias français ont concomitamment marqué l'imaginaire collectif au fer rouge en étiquetant d'emblée le nouveau premier ministre. Sur le JT de TF1 par exemple, l'on n'a pas hésité de le qualifier «d'un peu vieillot en apparence» et de relever qu'il n'était pas souriant, avait l’air soucieux, utilisait des phrases compliquées, sans oublier la petite phrase « il doit être sans doute plein de bonne volonté».
Le Monde, dans un article signé Cédric Pietralunga et Alexandre Lemarié, n'y va pas par quatre chemin : «Il entend être le seul patron. Après avoir dirigé le pays en binôme avec Edouard Philippe pendant trois ans, Emmanuel Macron a décidé, vendredi 3 juillet, de remplacer son premier ministre, si populaire dans l’opinion et qui n’hésitait plus à contester certains choix, par Jean Castex, un haut fonctionnaire et élu local de 55 ans, censé lui faire moins d’ombre. Un profil de "collaborateur", qui illustre la volonté du chef de l’Etat d’être à la manœuvre pour la dernière ligne droite de son quinquennat, avant de se lancer dans la campagne pour la présidentielle de 2022. "Macron a décidé de cumuler les deux postes. Il fera président et premier ministre en même temps ! ", s’amuse un responsable de la majorité.»
Edwy Plenel va publier pour sa part un éditorial dans lequel il fustige un remaniement qui «accentue le pouvoir solitaire du président» et «infantilise les électeurs».
«En France, un président démonétisé peut seul changer la donne gouvernementale pour son bon plaisir politique. Ce présidentialisme nous abêtit et nous infantilise. Dans une démocratie intelligente et adulte, ces changements relèveraient de choix collectifs, ceux de la majorité parlementaire ou du parti majoritaire.» a-t-il écrit.
Dans un tweet le fondateur de Mediapart rajoute : « Un président discrédité remplace un premier ministre populaire, ne serait-ce que par contraste, par une sorte d’intendant haut fonctionnaire, autrement dit un préfet gouvernement».