Dans une critique virulente, six éminents experts de la santé qui ont conseillé l'équipe de transition du président Biden ont appelé à une stratégie pandémique nationale entièrement nouvelle consistant à vivre indéfiniment avec le virus, et non à l'éradiquer.
Le jour de l'investiture du président Biden, le conseil consultatif d'experts en santé qui l'avait conseillé pendant sa transition a officiellement cessé d'exister. Mais ses membres ont discrètement continué à se réunir régulièrement via Zoom, leurs conversations tournant souvent autour de la frustration suscitée par la réponse de Joe Biden au coronavirus, rapporte le New York Times.
Aujourd'hui, six de ces anciens conseillers ont rendu publique une critique surprenante. Dans trois articles d'opinion publiés jeudi dans le Journal of the American Medical Association, ils appellent le président américain Biden à adopter une toute nouvelle stratégie nationale de lutte contre la pandémie, adaptée à la «nouvelle normalité» consistant à vivre indéfiniment avec le virus, et non à l'éradiquer.
Les auteurs sont tous des grands noms de la médecine américaine. Plusieurs d'entre eux, dont le Dr Luciana Borio, ancienne responsable scientifique par intérim de la Food and Drug Administration, et le Dr David Michaels, ancien responsable de l'Occupational Safety and Health Administration, aujourd'hui à l'école de santé publique de l'université George Washington, ont occupé des postes gouvernementaux de haut niveau. Le Dr Ezekiel Emanuel, oncologue, éthicien médical et professeur à l'université de Pennsylvanie qui a conseillé l'ancien président Barack Obama, a organisé cette initiative.
Comme toute Maison-Blanche, celle de Joe Biden privilégie la loyauté et préfère taire ses divergences ; à cet égard, les articles constituent une démarche inhabituelle. Les auteurs disent qu'ils les ont écrits en partie parce qu'ils n'ont pas réussi à parler directement aux responsables de la Maison Blanche, écrit le New York Times.
«D'un point de vue macro, on a l'impression de toujours lutter contre la crise d'hier et de ne pas nécessairement penser à ce qui doit être fait aujourd'hui pour nous préparer à ce qui va suivre», a déclaré le Dr Borio.
Les auteurs ont partagé les articles avec des responsables de la Maison Blanche avant leur publication, mais il n'est pas certain que l'administration adopte l'une ou l'autre de leurs suggestions. Le Dr Anthony S. Fauci, principal conseiller médical de M. Biden pour la pandémie, a refusé de commenter les articles.
Ni la vaccination ni l'infection par le COVID-19 ne semblent conférer une immunité à vie, et les vaccins actuels n'offrent pas non plus de protection contre l'infection
Nouvelle normalité
Les auteurs ont précisé que le COVID-19 n'est pas encore endémique, et que les États-Unis sont loin d'en être là. Mais ils ont déclaré que l'administration doit communiquer clairement les objectifs et les stratégies actuels, au lieu de passer d'une crise à une autre.
Par exemple, ils ont déclaré qu'il était peu clairvoyant pour Biden de déclarer l'été dernier que les États-Unis avaient «pris le dessus sur ce virus».
«En septembre 2021, le variant Delta a prouvé que ces mesures étaient prématurées, et fin novembre, le variant Omicron a suscité des inquiétudes quant à un état d'urgence perpétuel, Dans la délimitation d'une stratégie nationale, l'humilité est essentielle», ont-il conseillé.
Ni la vaccination ni l'infection par le COVID-19 ne semblent conférer une immunité à vie, et les vaccins actuels n'offrent pas non plus de protection contre l'infection. L'objectif de la «nouvelle normalité» avec le COVID-19 ne comprend pas l'éradication ou l'élimination, ont-ils écrit.
Le seuil de risque approprié devrait refléter les pics hebdomadaires de décès, d'hospitalisations et de prévalence communautaire des maladies respiratoires virales au cours des années de forte gravité, comme en 2017-2018. Cette année-là, il y a eu environ 41 millions de cas symptomatiques de grippe, 710 000 hospitalisations et 52 000 décès.
«Aujourd'hui, les États-Unis sont loin de ces seuils», ont-ils déclaré, et atteindre ce point demandera des efforts.
Ils recommandent également que les États-Unis devaient investir dans une infrastructure de données de santé publique.
«Comme Omicron l'a montré de nouveau, les États-Unis fonctionnent avec des estimations imprécises de la propagation des maladies, une surveillance génomique limitée, des projections basées sur des sites de déclaration sélectionnés et des données provenant d'autres pays qui ne sont pas forcément généralisables. Ces lacunes menacent des vies et le fonctionnement de la société», alertent les anciens conseiller de Biden.
L'objectif de la «nouvelle normalité» avec le COVID-19 ne comprend pas l'éradication ou l'élimination
Ils ont également appelé à un meilleur investissement dans les tests.
«Chaque personne aux États-Unis devrait avoir accès à des tests peu coûteux pour déterminer si elle est infectée et contagieuse. Le projet de l'administration Biden de distribuer 500 millions de tests rapides à domicile et d'augmenter la production en utilisant le Defense Production Act est un pas important dans la bonne direction, mais il en faut beaucoup plus», ont-ils suggéré.
Par ailleurs, les auteurs recommadent que le pass vaccinal devrait être imposé plus largement, y compris pour les enfants dans les écoles, et que le gouvernement devrait mettre gratuitement à la disposition de tous les Américains des masques de haute qualité comme le N95.
«Il semble que le SRAS-CoV-2 va persister, et que la pandémie de COVID-19 va se poursuivre pendant un certain temps. Par conséquent, pour parvenir à une «nouvelle normalité» durable, avec une transmission du virus et une mortalité par COVID-19 considérablement réduites, les tests, la surveillance, le port du masque et la ventilation doivent tous être améliorés de manière significative», ont conclu les auteurs.