Il est Chargé de mission au Cabinet royal, avec rang de ministre, depuis 2013. Et, depuis 5 ans, il a sillonné le monde plus qu’il ne l’a fait lorsqu’il officiait en tant que numéro 2 des Affaires étrangères. Il a porté la voix du Maroc dans les plus grands forums internationaux et auprès des think tank les plus prestigieux. Ses sujets de prédilections ? La sécurité humaine, les défis multidimensionnels auxquels fait face l’Afrique, la politique migratoire du Maroc, les partenariats nord-sud et sud-sud etc. De Washington à Rome, en passant par Munich, Barcelone et Moscou, Youssef Amrani, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fut, aux côtés du Conseiller de Mohammed VI, André Azoulay le véritable ambassadeur itinérant du Cabinet royal pour les affaires stratégiques globales. Sa nomination le 20 août 2018 en Conseil des ministres en tant qu’ambassadeur du Maroc en Afrique du sud en a surpris plus d’un. Si ce choix montre le caractère stratégique de la relation entre les deux pays, il est intervenu quelques jours avant la visite, à Pretoria, du ministre algérien des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, où le chef de la diplomatie algérienne a réussi à faire publier un communiqué très en faveur de la thèse des séparatistes du Polisario. La nomination de Youssef Amrani tombe à point nommé pour mettre de l’ordre dans cet imbroglio.
Depuis la nomination de Cyril Ramaphosa à la tête de l’Etat, l’Afrique du sud semble retrouver ses anciens réflexes alors qu’en rencontrant le roi Mohammed VI en novembre 2017 à Abidjan, l’ex-président sud africain Jacob Zuma et le souverain avaient « convenu de travailler ensemble, main dans la main, pour se projeter dans un avenir prometteur (…) et de maintenir un contact direct, et de se lancer dans un partenariat économique et politique fécond, afin de construire des relations fortes, pérennes et stables et dépasser ainsi l’état qui caractérisait les relations bilatérales ». En relations internationales, il y a ce qu’on appelle la continuité de l’Etat, et le président Ramaphosa appartient à la même formation politique que son prédécesseur, à savoir l’ANC, le parti historique de Nelson Mandela.
D’ailleurs, Jacob Zuma et le roi Mohammed VI avaient décidé que «le cadre de la représentation diplomatique entre les deux pays devait être relevé par la désignation d’ambassadeurs de haut niveau à Rabat comme à Pretoria.» Le choix de Youssef Amrani va exactement dans ce sens, mais du côté sud-africain la réponse ne s’est pas fait attendre. La ministre des Affaires étrangères, Lindiwe Sisulu, a reçu, mercredi, son homologue algérien, Abdelkader Messahel. Rien de plus normal. Ce qu’il l’est moins, en revanche, c’est cette attaque en règle des deux pays contre les intérêts supérieurs du Maroc.
Minister @LindiweSisuluSA & Minister @Messahel_MAE noted the noticeable strides by the Continent to advance continental integration as demonstrated by the signing of the African Continental Free Trade Area (AFCTA) Agreement. #AlgeriaInSA @KhayaJames @SAgovnews @UbuntuRadioZA pic.twitter.com/VrmwREieFN
— DIRCO South Africa (@DIRCO_ZA) August 29, 2018
Dans un communiqué conjoint, les deux ministres ont «réaffirmé leur position qui est la réalisation du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui et la décolonisation du Sahara occidental.» Les deux ministres ont également «exprimé leur plein appui et leur confiance dans les efforts de l’Envoyé spécial de l'Union africaine pour le Sahara occidental, l'ancien président Joaquim Chissano du Mozambique» tout en «appelant les deux États membres de l’UA, le Maroc et la RASD, à s'engager sans conditions préalables dans des discussions sérieuses pour mettre fin à leur conflit. » Et, cerise sur le gâteau, les deux ministres ont souligné qu’avec son admission à l’UA, «le Maroc a l'obligation de respecter les principes et les objectifs l’acte constitutif de l’Union africaine, en particulier la nécessité de respecter les frontières telles qu’elles existaient au moment de l’indépendance (sic !)»
Youssef Amrani à Prétoria et le bouclage du deal Saham/Sanlam, des signaux forts de Rabat
C’est dans cette ambiance hostile et électrique que Youssef Amrani devra prendre ses nouvelles fonctions diplomatiques à Pretoria. S’il n’a pas encore reçu ses lettres de créances des mains du roi, cela ne devrait tarder. Le roi Mohammed VI devrait recevoir incessamment les quatorze nouveaux ambassadeurs nommés le 20 août en conseil des ministres présidé par le souverain.
L’ancien secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée, ex- directeur général des relations bilatérales et non moins ancien puissant ministre délégué aux Affaires étrangères et à la coopération, n’aura pas que le sujet du Sahara en tant que priorité absolue à gérer à Pretoria. Les dossiers économiques, l'union africaine, sont autant de dossiers qui intéressent au premier lieu les deux pays des deux extrémités du continent africain.
Le Maroc semble donner un autre signal d'apaisement à l'égard de l'Afrique du sud en levant le blocage sur l'opération de cession de la totalité du pôle assurance de Saham au mastodonte sud-africain Sanlam pour 1,05 milliard de dollars. Le retard pris dans le bouclage de ce deal a fait jaser dans quelques milieux marocains et internationaux jusqu’à faire soulever des interrogations sur son issue, et même sur l'avenir politique de son propriétaire Moulay Hafid Elalamy. Mais la présence concomitante, cette semaine, à Paris de Hicham Naciri, avocat d'affaires et conseil juridique du deal Saham-Sanlam, et de Nadia Fettah, patronne de Saham Assurance, fait croire aux connaisseurs du dossier une rapide résolution du «blocage» et une imminente signature du chèque de la transaction.
Bourita à la tête d'un ministère dépouillée de ses ressources
Sans secrétaire général, plusieurs directions au service central dépouillées de leurs titulaires par de vastes nominations à l’international sans être pourvues de nouveaux responsables, le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita, aime travailler seul et a complètement fait le vide autour de lui. Les ressources humaines de ce département stratégique subissent une pression telle que des diplomates au service central font le travail de trois ou quatre de leurs collègues désignés dans des ambassades ou consulats marocains à l’étranger. Comment également un département souverain et aussi sensible que le ministère des Affaires étrangères puisse faire appel à une société privée pour assurer sa sécurité? Des lacunes de ce genre ont nécessairement des incidences sur la pratique diplomatique et ses performances. Et ce qui s’est passé cette semaine à Pretoria en est un exemple patent.