Le jeudi 4 septembre 2025, la scène d’Al Hoceima a pris une dimension qui dépasse le cadre funéraire. La présence exceptionnelle de Nasser Zefzafi, leader du Hirak du Rif condamné à vingt ans de prison, aux obsèques de son père a été perçue comme un moment hautement symbolique. Libéré temporairement pour l’occasion, il est apparu au milieu des siens, libre de ses mouvements, sans menottes, et s’est adressé à la foule venue partager son deuil avec une maturité qui a marqué les esprits.
Mais c’est surtout son message patriotique — « la patrie inclut tout le Sahara, son sud, son est, son nord et son ouest » — qui a donné à cette séquence une résonance nationale et géopolitique. En quelques mots, Zefzafi a opposé un contre-feu clair et puissant aux tentatives de récupération séparatiste, notamment celles relayées depuis l’étranger par certains cercles algériens.
Une mise en scène politique assumée
Le journaliste Younes Dafkir a souligné le contraste saisissant entre l’arrestation de 2017 et l’apparition d’Al Hoceima en 2025. Huit ans plus tôt, Zefzafi quittait sa ville menotté, affaibli et dissimulé aux regards. Cette fois-ci, il y revient libre de ses mouvements, le visage découvert, s’exprimant devant la foule en véritable orateur politique.
Ce retour ne peut être réduit à une simple permission humanitaire : tout, dans la mise en scène, évoquait la figure du leader. Accueil populaire, slogans scandés, discours calibré… autant d’éléments qui ont donné à l’événement la forme d’une reconnaissance implicite. Plus qu’une construction artificielle, il s’agissait d’une légitimation symbolique d’une autorité née de la contestation, de la prison et du deuil. Dans ce face-à-face silencieux, Zefzafi est reparti auréolé d’un statut de chef local, tandis que l’État, depuis Rabat, réaffirmait sa centralité en conjuguant fermeté et geste d’ouverture.
Le contre-discours au narratif séparatiste étranger
Depuis l’émergence du Hirak en 2016, certaines voix séparatistes à l’étranger, notamment en Algérie, ont tenté d’exploiter la dimension régionale des revendications du Rif. L’objectif était clair : instrumentaliser la contestation sociale pour promouvoir l’idée d’un Rif autonome, voire indépendant. Mais la déclaration de Nasser Zefzafi change radicalement la donne.
En affirmant que « la patrie, pour lui, n’est pas seulement le Rif, mais chaque parcelle du royaume », il a envoyé un message géopolitique fort, contraire aux discours sécessionnistes. Comme l’ont souligné plusieurs observateurs marocains, cette intervention a été vue comme un moment charnière, ouvrant la voie à une issue consensuelle, notamment par la libération des prisonniers du mouvement.
La diaspora rifaine : une influence décisive à l’international
Depuis 2017, la diaspora rifaine en Europe — principalement aux Pays-Bas, en Belgique, en Espagne et en Allemagne — a constitué l’un des vecteurs les plus visibles de la mobilisation. Elle a porté la cause du Hirak sur les places publiques, devant les institutions européennes et jusque dans les médias internationaux. Cette visibilité a contribué à internationaliser le dossier, mais aussi à brouiller ses contours en alimentant parfois des récits à coloration séparatiste.
Le discours de Zefzafi, réaffirmant que son combat n’est pas celui d’une région contre l’État mais celui de citoyens marocains attachés à leur patrie dans toutes ses dimensions, est susceptible de peser lourd sur cette diaspora. En coupant court aux instrumentalisations, il repositionne le Hirak comme un mouvement social marocain, et non comme une revendication indépendantiste.
Le Maroc et l’héritage de la réconciliation
Cet épisode s’inscrit dans une trajectoire plus large : celle d’un Maroc qui, à la différence d’autres pays de la région, a su engager un processus de réconciliation voulu par les rois du Maroc, notamment le Roi Mohammed VI, et incarné par des mécanismes institutionnels comme l’Instance Équité et Réconciliation. Cette démarche, portée et consolidée par Fouad Ali El Himma, conseiller royal, a permis au pays de solder des pages douloureuses de son histoire en privilégiant la vérité, la mémoire et la réparation.
Dans ce contexte, le cas du Hirak du Rif peut apparaître comme un prolongement de cette politique : une épreuve nouvelle, mais qui peut être abordée avec le même esprit d’ouverture et de hauteur, la même volonté de dépassement et de construction collective. L’attitude apaisée de Zefzafi s’inscrit pleinement dans cette continuité.
Temporalité : de la répression à une possible résolution
Depuis 2017, l’évolution du dossier du Hirak suit une trajectoire identifiable. La première phase fut celle de la répression face à la crispation et à l’instrumentalisation du mouvement, marquée par des arrestations massives et de lourdes condamnations. Vint ensuite une phase d’assouplissements progressifs — libérations partielles, autorisations humanitaires, gestes de clémence — et aujourd’hui une séquence inédite où Zefzafi s’exprime en patriote depuis sa ville natale.
Aujourd’hui, l’image de Zefzafi libre, parlant sans entraves et appelant à l’unité nationale « du Rif au Sahara », pourrait constituer le point culminant de ce processus. Elle ouvre la perspective d’une possible résolution définitive, marquée par la libération des derniers détenus du Hirak et l’ouverture d’un chapitre nouveau.