«Des conditions sanitaires pires qu'au Sud-Soudan». Dans les 120 bidonvilles de banlieue parisienne, des ONG se démènent pour installer des points d'eau et éviter que le coronavirus ne provoque une hécatombe dans la communauté rom, qui souffre pour l'heure avant tout de la faim.
Les pieds dans les gravats et la main sur le ventre, Livia Kovaci explique en roumain «ne plus rien avoir à manger». «L'Etat ne pense pas à nous, il nous laisse mourir ici», dit la vieille dame, les yeux humides.
Avant la pandémie, près de 200 personnes vivaient dans ce camp de Saint-Denis, au nord de Paris, où des rats morts traînent au milieu des débris. Quand le virus est arrivé en région parisienne, la moitié des baraques de contreplaqué se sont soudainement vidées, donnant au lieu des allures fantomatiques.
«Ceux qui pouvaient sont repartis en Roumanie. Depuis le confinement, on n'a plus d'argent», raconte Gheorghe, la trentaine.
Selon la préfecture d'Ile-de-France, 20% des 7.000 habitants des 120 bidonvilles recensés ont quitté la région durant la première semaine du confinement.
Le patron de Gheorghe, ouvrier en CDI dans le bâtiment, a arrêté de le payer. Les autres occupants, qui survivent d'ordinaire grâce à la manche et à la ferraille, ne peuvent plus sortir. «Ici, tout le monde a plus peur de la faim que du virus», résume le jeune homme.
Mais pour les autorités et les ONG, qui ont mis en place une aide alimentaire un peu partout en France, la principale crainte est celle d'une propagation du virus. Et la priorité d'installer des points d'eau, de distribuer des kits d'hygiène, et de permettre à ces populations de consulter un médecin.
19.000 personnes sans accès à l'eau
«Le racisme et l'exclusion ont préservé les habitants des squats et bidonville, du moins pour un temps. Quand il va y avoir des cas, ça va aller très vite. Les gens souffrent pour beaucoup de maladies chroniques et vivent entassés dans leurs baraques, avec un accès réduit à l'eau», décrit Adeline Grippon, coordinatrice de la mission banlieue Ile-de-France pour Médecins du Monde qui a recensé quelques cas isolés dans d'autres banlieues de Paris.
«Il y a souvent un décalage épidémique dans ce type de communauté. Elle sont frappées plus tard mais la crise sanitaire y est plus grave, on le voit actuellement dans les réserves (indiennes, ndlr) aux Etats-Unis», abonde Thierry Benlhasen, directeur des opérations de Solidarités international, qui intervient d'ordinaire dans les pays du Sud, pour l'accès à l'eau potable et la promotion des gestes barrière contre Ebola et le choléra.
«On se retrouve sur des sites où les normes humanitaires les plus basiques, celles qu'on impose au Sud-Soudan ou en Afghanistan, ne sont pas respectées... La France est pourtant signataire de ces conventions!», souligne t-il.
«On demande aux gens de mettre en place les normes barrières mais il n'en ont pas les moyens», constate l'humanitaire, dont l'ONG a installé deux robinets dans ce bidonville de Saint-Denis. Avant ça, les habitants faisaient 45 minutes de marche aller-retour avec des caddies pour aller remplir des bidons.
Avant la crise, 80% des squats et bidonvilles, où vivent environ 19.000 personnes en France, n'avaient aucun accès à l'eau, selon le collectif CNDH Romeurope.
«En Seine-Saint-Denis, la préfecture fait pression sur les mairies récalcitrantes pour installer des points d'eau», se réjouit toutefois Adeline Grippon. «Pour la première fois, elle va dans le sens de ces populations.»