Un important think-tank israélien a publié mercredi 22 mars une nouvelle note d'analyse au sujet de l'avenir des Accords d'Abraham à la lumière des dernières évolutions que connait Israël et l'ensemble de la région. Laquelle note constate que le processus de normalisation régionale n'est finalement pas détaché de la question palestinienne.
En conséquence, ont écrit les chercheurs de l’Institut national d’études sécuritaires (INSS) de Tel Aviv, Israël doit prêter attention à cette dynamique qui remet en cause les accords existants et potentiels.
Les auteurs de cette note, ont déploré la dégradation des relations entre le principal pays signataire des accords d'Abraham, les Émirats arabes unis, et l'actuel gouvernement de droite dirigé par Benjamin Netanyahu. Mais également le report du sommet de Néguev qui aurait dû avoir lieu au Maroc et le rapprochement entre l'Arabie saoudite et l'Iran.
«Le comportement du gouvernement israélien, qui a contribué au retour de l'arène palestinienne au centre des intérêts de la région, nuit à la capacité de former une coalition contre l'Iran, qui, au lieu d'être isolé, trouve des moyens d'améliorer ses relations avec les États arabes du Golfe - ce qui pourrait faire pression sur leur normalisation avec Israël» conclut le rapport alarmant de l'INSS.
Ci-après la traduction intégrale de la note d'analyse.
La résilience des accords d'Abraham est mise à mal par les politiques du gouvernement israélien et l'escalade de la violence dans l'arène palestinienne. Les pays qui ont signé des accords avec Israël ont un intérêt à les respecter, parallèlement à l'évolution de la situation dans l'arène palestinienne, dans l'espoir qu'Israël rétablisse le calme et la stabilité.
Toutefois, la poursuite de l'escalade a déjà incité certains d'entre eux, en partie par nécessité, à prêter davantage attention à la politique israélienne à l'égard des Palestiniens, en particulier pendant la période du Ramadan.
Le retour de la question palestinienne au centre de la scène régionale et internationale remet en question les accords de normalisation existants et la capacité d'intégrer d'autres pays arabes importants dans le processus de normalisation - ce qui exige l'attention d'Israël.
L'évaluation selon laquelle la normalisation entre Israël et les pays arabes est détachée du conflit israélo-palestinien est erronée. Plus de deux ans après la signature des accords d'Abraham, il est clair que la question palestinienne a retrouvé une place centrale dans l'agenda du monde arabe. L'escalade de la «terreur palestinienne» et les «actions de Tsahal» en Cisjordanie n'ont pas échappé à l'attention des États arabes du Golfe, en particulier des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite.
Ces événements, qui s'ajoutent à la nouvelle politique d'Israël sur la question palestinienne, mettent à l'épreuve la capacité de ces États du Golfe à maintenir un équilibre entre une préoccupation ostensible pour les Palestiniens et la promotion simultanée de leurs contacts économiques et sécuritaires avec Israël.
Dégradation des relations entre les Émirats arabes unis et Netanyahu
Les relations entre le principal pays signataire des accords d'Abraham, les Émirats arabes unis, et l'actuel gouvernement de droite dirigé par Netanyahu ont commencé sur un mauvais pied en janvier, lorsque les Émirats arabes unis ont annulé la visite prévue du Premier ministre à Abou Dhabi, qui aurait dû constituer un début festif de son nouveau mandat (visite qui n'a pas eu lieu pour l'instant).
L'annulation a été annoncée immédiatement après la visite controversée du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, sur le mont du Temple. Les Émirats arabes unis ne souhaitaient pas accueillir Netanyahou, alors que le monde islamique craignait un changement de la politique israélienne à l'égard du mont du Temple (notamment des restrictions sur les visites et les prières des musulmans sur le mont du Temple, et l'autorisation pour les juifs de prier dans l'enceinte de l'édifice).
Les Émirats arabes unis ont donc remplacé la réception du Premier ministre par une proposition de condamnation d'Israël au Conseil de sécurité des Nations unies.
De manière assez inhabituelle, les Émirats arabes unis ont rejoint la délégation palestinienne à l'ONU pas moins de trois fois depuis janvier pour condamner Israël, en utilisant leur statut de membre temporaire du Conseil de sécurité (en juin 2023, ils assumeront le rôle rotatif de président).
On notera en particulier l'avis très ferme des Émirats arabes unis publié en février, en coordination avec les délégués palestiniens, appelant Israël à cesser immédiatement toute activité de colonisation dans les territoires palestiniens conquis.
Ce n'est que sous la pression des États-Unis que le vote de la résolution contraignante a été remplacé par une déclaration présidentielle (qui n'a pas de force contraignante).
Réchauffement des relations entre les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l'Autorité palestinienne
En arrière-plan se trouve le réchauffement progressif des relations entre les Émirats arabes unis et Bahreïn et l'Autorité palestinienne, qui avaient été suspendues à la suite des accords d'Abraham, perçus par les Palestiniens comme un coup de poignard dans le dos et une trahison à l'égard du peuple palestinien.
Il semble que l'Autorité palestinienne ait récemment pris conscience des avantages potentiels qu'elle pouvait en retirer, comme la participation à des projets régionaux et l'utilisation des pays signataires des accords d'Abraham pour décourager le gouvernement israélien de prendre des mesures extrêmes à l'égard des Palestiniens.
Les relations plus étroites entre l'Autorité palestinienne et les Émirats arabes unis pourraient, par exemple, permettre à l'Autorité palestinienne de participer à des projets d'infrastructure et à des initiatives régionales dans les domaines de l'économie et de l'énergie, sur la base des accords d'Abraham, ce qui servirait à la fois les intérêts israéliens et palestiniens.
Report du Sommet du Néguev au Maroc
L'inquiétude suscitée par les changements dans les dispositions relatives au Mont du Temple et les craintes de violence à Jérusalem rendent plus difficile la mise en œuvre des accords, du moins en ce qui concerne leur aspect cérémoniel.
La deuxième réunion du Sommet du Néguev - le forum créé l'année dernière avec Israël, les États-Unis, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et l'Égypte - qui devait avoir lieu au Maroc en mars, a été reportée.
Des diplomates occidentaux ont confirmé que les États membres arabes du forum étaient inquiets à l'idée d'organiser un événement aussi médiatisé à quelques jours du Ramadan - qui a débuté le 23 mars - car cette période a été marquée ces dernières années par une escalade sécuritaire à Jérusalem et dans l'arène israélo-palestinienne (en particulier, l'escalade entre Israël et le Hamas en mai 2021 au cours de l'opération «Gardien des murs»).
Projet d'annexion de la Cisjordanie
Les appels publics et les pressions exercées par les partis de la coalition en Israël pour étendre la construction en Cisjordanie et subordonner l'administration civile à leurs représentants (une décision qui a d'ailleurs été confirmée quelques jours après la condamnation de l'ONU) ont été largement partagés et discutés sur les médias sociaux dans le Golfe, où l'on craint qu'Israël ne se prépare à annexer des zones de la Cisjordanie.
Le discours prédominent sur les réseaux sociaux souligne que l'accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis en 2020 visait en partie à empêcher une telle annexion. Il n'est donc pas étonnant que la condamnation présentée par les EAU au Conseil de sécurité mentionne explicitement «toutes les mesures unilatérales», y compris les décisions et les mesures prises par Israël concernant les colonies et les territoires palestiniens.
Bezalel Smotrich et son appel à anéantir le village de Huwara
À la suite des événements survenus dans le village de Huwara, près de Naplouse - les dommages causés par les colons aux biens des résidents palestiniens et l'appel du ministre des finances Bezalel Smotrich à «anéantir le village» (bien qu'il se soit ensuite rétracté et ait présenté ses excuses) - les Émirats arabes unis auraient suspendu les contrats d'achat de systèmes de sécurité à Israël qui étaient sur le point d'être signés.
Malgré les dénégations du gouvernement israélien, les Émirats arabes unis ont clairement ressenti un malaise croissant face à la conduite d'Israël et un manque de confiance dans les messages apaisants émis par le Premier ministre Netanyahou, qui est perçu comme étant sous le contrôle d'éléments extrémistes au sein de son gouvernement.
Le pas en arrière de l'Arabie saoudite
L'Arabie saoudite - désignée par le gouvernement comme une cible importante pour les efforts de normalisation - a également condamné Israël avec une vigueur inhabituelle et à de nombreuses reprises sur la question palestinienne, en se référant notamment aux récentes opérations des FDI à Jénine et à Naplouse, qui ont coûté la vie à plusieurs Palestiniens, et au déchaînement des colons à Huwara.
Le ministère saoudien des affaires étrangères a qualifié la déclaration de Smotrich de «raciste et irresponsable», reflétant «l'ampleur de la violence et de l'extrémisme pratiqués par l'entité israélienne occupante à l'égard du peuple palestinien frère».
En outre, les publicistes saoudiens favorables à la promotion des relations avec Israël ont baissé le ton de leurs appels à la suite des événements, comprenant que ce n'était pas le moment d'exprimer leur soutien à la normalisation avec Israël.
L'Iran en ambuscade
Ces actions politiques et la rhétorique des médias soulignent la pression croissante exercée sur les pays qui ont signé des accords avec Israël et sur ceux qui restent sur la touche, compte tenu des événements survenus dans l'arène israélo-palestinienne. L'Iran, qui n'est pas favorable au processus de normalisation entre les pays du Golfe et Israël, s'efforce de rétablir ses relations avec certains pays du Golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, ce qui, s'il se poursuit, pourrait exercer une pression sur le processus de normalisation.
Conclusion
Les développements récents ne menacent pas encore l'existence même des Accords d'Abraham et n'ont pas effacé la possibilité que d'autres États les rejoignent. Cependant, si la tension dans l'arène israélo-palestinienne se poursuit, et en particulier s'il y a une escalade et/ou un changement de statu quo sur le Mont du Temple, il pourrait y avoir un gel de l'évolution des relations Jérusalem-Riyad, voire un recul de la «lune de miel» publique entre Israël et les EAU, en d'autres termes, un arrêt du processus de normalisation.
Les sondages d'opinion arabes réalisés depuis la signature des accords d'Abraham montrent que les différents aspects du problème palestinien restent une des principales pierres d'achoppement dans la capacité des États arabes à reconnaître Israël et à nouer des liens avec lui. Les pays signataires des accords d'Abraham, en particulier les Émirats arabes unis, ont effectivement intérêt à poursuivre leurs relations avec Israël, indépendamment de la question palestinienne.
Toutefois, cette question continuera d'avoir un impact sur les relations, en tout cas sur l'aspect public de la normalisation. Le comportement du gouvernement israélien, qui a contribué au retour de l'arène palestinienne au centre des intérêts de la région, nuit à la capacité de former une coalition contre l'Iran, qui, au lieu d'être isolé, trouve des moyens d'améliorer ses relations avec les États arabes du Golfe - ce qui pourrait faire pression sur leur normalisation avec Israël.