Depuis l’éclatement de la colère populaire au Soudan le 19 décembre dernier après le triplement du prix du pain, plusieurs dizaines de personnes ont trouvé la mort, dont des membres des forces de l’ordre. Et au moment où le pouvoir n’entend pas céder à la pression, les manifestants choisissent de durcir le ton en appelant à une « semaine du soulèvement ». Pour preuve, alors que plusieurs villes soudanaises étaient secouées par des manifestations violentes, Omar El-Béchir, le président soudanais a affirmé, lors d'un rassemblement de ses partisans au Darfour à l’ouest du pays, que la contestation qui secoue le pays depuis près d'un mois ne viendra pas à bout du pouvoir qu'il exerce depuis près de trois décennies.
Devant ses partisans rassemblés à Niyala, la capitale du Darfour-Sud, Omar El-Béchir a clamé que « les manifestations ne conduiront pas à un changement de pouvoir ». Cette déclaration survient après les premières manifestations contre le pouvoir dans cette région, ravagée par la guerre depuis le début des années 2000. Omar El-Béchir du haut de ses 75 ans a ajouté qu’il y a « une seule voie vers le pouvoir, et c'est celle des urnes. Le peuple soudanais décidera en 2020 qui doit les gouverner ».
J’y suis, j’y reste
Dirigeant le pays d’une main de fer depuis 1989, Omar El-Béchir ne semble pas inquiété par ce mouvement de colère de la population. Si le bilan officiel des victimes fait état de 24 morts, les ONG Human Rights Watch et Amnesty International estiment leur nombre à quarante. Cela ne semble pas affecter le président soudanais qui jette la pierre aux pays étrangers : « le Soudan a beaucoup d'ennemis et ces ennemis comptent quelques personnes parmi nous qui ne veulent pas la stabilité et la sécurité ».
Le danger vient de l’extérieur
Pour mater la colère des Soudanais, le Président a pris de la graine de ses prédécesseurs. Si les manifestations ont commencé par de petites villes avant de gagner Khartoum et le Darfour, le pouvoir compte sur la police pour mater les protestants, à coups de gaz lacrymogène, de matraques et de jets d’eau et, s’il le faut, avec des tirs à balles réelles. A ce propos, plus de 1000 personnes ont été arrêtées par les autorités dans différentes localités du Soudan en trois semaines de manifestations, dont des militants, des leaders de l'opposition et des journalistes.
Détention secrète de plus de 1000 personnes
Environ 1000 personnes ont été arrêtées dans différentes localités du Soudan en trois semaines de manifestations, selon des groupes de défense des droits humains, notamment des militants, des leaders de l'opposition et des journalistes. Vers la fin de l’année, plusieurs appels ont été lancés pour mener une enquête sur la mort de manifestants. Le parti du Congrès populaire (PCP), membre de la coalition au pouvoir au Soudan, a réclamé l'ouverture d'une enquête dans ce sens.
Le Président soudanais n’entend pas céder. Il a promis de mener de « vraies réformes » pour sortir de la crise et calmer la rue, en vain. En tout cas, il peut compter, lui qui est sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour génocide au Darfour, sur le soutien de des alliés arabes et occidentaux. Arabes comme l’Egypte et l’Arabie saoudite avec laquelle combattent les soldats soudanais au Yémen. Occidentaux comme l’Union européenne soucieuse de stopper le flux d’immigrés et les Etats-Unis qui cherchent à renforcer leur présence dans la région.
L’armée contrôlée par des organisations parallèles
Si le mouvement de contestation est inédit depuis 30 ans, il ne pourra pas compter sur l’appui de l’armée. Et pour cause, si les révolutions de 1964 et 1985 ont conduit à des changements de gouvernement après le ralliement des forces armées aux côtés du peuple, il n’en sera pas ainsi cette fois. Selon, Willow Berridge, universitaire et auteur de « Soulèvements civils au Soudan moderne », « le régime d’El-Béchir a clairement tiré les leçons des erreurs de ses prédécesseurs. Il a créé un service national de sécurité et du renseignement (NISS) beaucoup plus puissant, ainsi que de nombreuses autres organisations de sécurité et milices armées parallèles, qu’il utilise pour contrôler Khartoum au lieu de l’armée régulière. Cette organisation, conjuguée aux craintes mutuelles des différents commandants de devoir répondre des crimes de guerre en cas de chute du régime, signifie qu’une intervention de l’armée ne se produira pas facilement, comme ce fut le cas en 1964 ou 1985 ».
En d’autres termes, le pouvoir soudanais a les mains franches pour écraser les protestants. Ses alliés regarderont ailleurs lorsqu’il se salira les mains.