En moins de trois jours, la Syrie a vu deux digues céder : celle des financements internationaux, avec le règlement de sa dette auprès de la Banque mondiale par le Qatar et l’Arabie saoudite, et celle de l’embargo occidental, après l’annonce par Donald Trump de la levée des sanctions américaines. Un tournant majeur pour un pays en ruines, qui cherche désormais à se réinventer.
Pourquoi c’est important :
La Syrie, dirigée par Ahmad al-Sharaa depuis la chute du régime Assad, voit se refermer une longue parenthèse d’isolement. Le déblocage des prêts concessionnels et la fin annoncée des sanctions ouvrent la voie à un redémarrage économique encadré. Cette synchronisation des gestes politiques et financiers, menée par les États-Unis et les puissances du Golfe, marque un retour stratégique de Damas dans les circuits régionaux et multilatéraux.
Mais en coulisses, les enjeux sécuritaires et géopolitiques freinent la normalisation.
Ce qu’il s’est passé
- Le 13 mai, Donald Trump a annoncé depuis Riyad qu’il allait «ordonner l’arrêt des sanctions contre la Syrie» afin de lui «donner une chance de grandeur».
- Le président américain a conditionné cette décision à plusieurs engagements syriens : rapprochement avec Israël via les accords d’Abraham, expulsion des combattants étrangers, coopération contre Daech, et reprise des camps kurdes de détention.
- Le 16 mai, la Banque mondiale confirme que le Qatar et l’Arabie saoudite ont remboursé la dette syrienne de 15,5 M$, rendant Damas éligible à de nouveaux prêts.
- Concomitance stratégique : ces annonces interviennent au terme de la tournée moyen-orientale de Trump, marquée par sa rencontre avec le président syrien de transition, Ahmad al-Sharaa, et une volonté affichée d’intégrer Damas dans un nouveau cycle de développement.
Contexte : une réintégration accélérée et une reconstruction à l’horizon
- Le président syrien Ahmad al-Sharaa, arrivé au pouvoir après la chute d’Assad en décembre 2024, a rencontré Trump à Riyad — une première en 25 ans entre dirigeants des deux pays .
- Trump a salué al-Sharaa comme un «jeune, attractif et coriace» leader, et a évoqué une normalisation des relations, y compris une possible reconnaissance d’Israël par Damas
- Le conflit syrien a fait plus de 500 000 morts et détruit une grande partie des infrastructures.
Et maintenant ?
- La Banque mondiale prévoit un premier projet : amélioration de l’accès à l’électricité.
- Aujourd’hui, 90 % des Syriens vivent sous le seuil de pauvreté et l’électricité publique n’est disponible que deux heures par jour.
- Le Qatar avait déjà commencé, en mars, à fournir du gaz naturel via la Jordanie pour limiter les coupures.
- La Syrie post-Assad est loin d’être une page blanche. Si le régime d’al-Charaa cherche une réhabilitation rapide, il doit composer avec des influences contradictoires — Washington, Moscou, Ankara, et les capitales du Golfe. La levée des sanctions n’est qu’un pas. Le véritable test sera la gestion des zones kurdes, le sort des combattants étrangers, et l’arbitrage entre alignement occidental et loyautés régionales
Ce que ça change
- Reprise de projets : la Banque mondiale annonce un premier projet axé sur l’électricité, dans un pays où les coupures sont la norme.
- Flux financiers facilités : la levée des sanctions bancaires permet le retour des transferts d’argent, des aides au développement et des financements d’infrastructures.
- Impact immédiat attendu : L’afflux de devises pourrait contribuer à stabiliser la livre syrienne et relancer l’investissement.
Réactions et effets diplomatiques
- Le ministre syrien des Finances parle d’un «tournant décisif» et d’une opportunité pour restaurer la confiance des bailleurs.
- L’UE, le Royaume-Uni et le Canada ont eux aussi amorcé un assouplissement progressif de leurs régimes de sanctions.
- La conférence de Paris en février dernier avait posé les bases d’un engagement occidental, à condition que Damas garantisse la stabilité, les droits humains et la protection des minorités.
Obstacles persistants
Malgré la mise en scène diplomatique, plusieurs lignes rouges bloquent une normalisation pleine :
- Influence turque pesante : Ankara, principal soutien du nouveau régime, impose sa ligne sur le traitement des combattants étrangers (CTE) et sur la neutralisation des Kurdes syriens (YPG). Cette orientation contrarie Paris, Tel-Aviv et Abou Dhabi, qui maintiennent leur soutien aux YPG dans la lutte contre l’EI.
- Un régime en quête d’équilibre stratégique : Le ministre de l’intérieur Anas Khattab joue un rôle central, notamment en utilisant les prisonniers djihadistes comme levier diplomatique. Mais Damas refuse encore de s’engager clairement sur le retrait de la présence militaire russe à Tartous et Hmeimim — un sujet de crispation majeur avec les chancelleries occidentales.
- La Russie reste en embuscade : Moscou, par l’entremise de son émissaire Alexandre Lavrentiev, pousse pour un retour en force. Ankara ne s’y oppose pas, préférant maintenir un équilibre des puissances sur le théâtre syrien.
- Le coût de la reconstruction est estimé à plus de 400 milliards de dollars.
- La «loi César», encore en vigueur aux États-Unis, ne peut être abrogée que par le Congrès. Trump peut la suspendre, mais pas l’effacer.
- Les Européens conditionnent leur soutien à des avancées concrètes du gouvernement de transition syrien.
- Seuls 1,87 million de déplacés sont revenus dans leurs régions d’origine selon l’ONU. L’absence d’emplois et de services reste un frein majeur.