Une double surprise attendait les Libanais ce dernier jour de janvier. Après huit mois de tractations stériles, de joutes oratoires, de campagnes par médias interposés, les partis politiques libanais ont fini par accorder leurs violons et donner naissance à un gouvernement d’union nationale. Le nouveau cabinet a été présenté au Président Michel Aoun hier par le Premier ministre désigné, Saad Hariri, leader du Courant du futur et de la communauté sunnite.
Répartis à part égales entre les chrétiens et les musulmans comme le veut le régime confessionnel libanais et les accords de Taëf, les portefeuilles sont allés plus dans le giron du Hezbollah qui est sorti vainqueur des dernières élections législatives en raflant 18 départements contre 12 pour le camp pro-occidental.
Un pays au bord du gouffre
La juxtaposition de deux camps, l’un pro-syrien mené par le Hezbollah et l’autre pro-occidental incarné par Saad Hariri, reflète la dichotomie du champ politique très complexe du Liban. La tâche du nouvel exécutif ne sera pas mince puisqu’il devra mener à bien les réformes économiques et administratives préconisées par les bailleurs de fonds. Ces derniers ont promis des prêts et des dons à hauteur de 11,5 milliards de dollars en échange après la formation du nouvel exécutif pour financer les infrastructures, le réseau routier et les réseaux de distribution d’eau et d’électricité du pays sont dans un piteux état. Avec un taux de surendettement de 141% du PIB, les Libanais vivent avec la hantise d’un crash financier.
Le Hezbollah décroche 12 portefeuilles
Composé de trente ministres, dont quatre femmes, contre une seulement dans le gouvernement sortant, le nouveau gouvernement a apporté une surprise de taille : la nomination de la première femme au monde arabe et au Liban au poste de ministre de l’Intérieur. La nomination de Raya Haffar El-Hassan au poste de ministre de l’Intérieur a dû surprendre bien des politiciens libanais. Elle siègera au conseil aux côtés de trois autres femmes ministres qui sont Nada Boustani, ministre de l’Énergie, May Chidiac, ministre d’État au développement administratif et Violette Khairallah Safadi, ministre d'Etat pour l'insertion socio-économique des jeunes et de la femme.
Raya El-Hassan, un parcours marqué par le manque d’expérience politique
Née en janvier 1967 à Tripoli, elle obtient en 1987 un diplôme en gestion administrative de l’Université américaine de Beyrouth avant de décrocher un MBA en finances et investissements de la George Washington University en 1990.
Deux ans plus tard, elle rejoint l’équipe de l’ex-Premier ministre, Fouad Siniora où elle pilotera un projet de réforme de ce département. Après la nomination de Sélim Hoss au poste de Premier ministre et de Georges Corm au ministère des Finances, elle claque la porte en raison de leurs orientations antinomiques avec ses convictions et rejoint le secteur privé. La nomination de Bassel Fleyhane au poste de ministre de l’Economie lui remet le pied à l’étrier. Elle rejoint son cabinet en tant que conseillère. Le duo Fleyhane-El-Hassan fera des étincelles avec l’adoption de la loi pour la sécurité alimentaire et d’un texte sur la protection du consommateur.
La mort de Bassel Fleyhane en avril 2005 lors de l’attentat contre Rafik Hariri la prive d’un grand soutien et d’un modèle. Elle ne quitte pas pour autant les rouages du pouvoir et devient conseillère économique de Saad Hariri. Raya Haffar El-Hassan au sein de l’équipe de Fouad Siniora apportera sa touche à l’agenda économique des élections législatives de 2009. Cette année-là, elle est nommée ministre des Finances (une première au Liban), poste qu’elle conservera jusqu’en janvier 2011.
Une femme déterminée qui s’accroche à ses convictions
Sous ses airs discrets, Raya Haffar El-Hassan est une femme déterminée et motivée. Sans un véritable background politique, sans être vraiment préparée à l’adversité, même au sein de son camp, elle est passée de l’ombre à la lumière. « Il (ndlr : Saad Hariri) voulait une femme, qui plus est, de Tripoli. C'est ainsi que j'ai été choisie. », avoue-t-elle candidement au journal libanais L’Orient Le Jour. Elle-même ne pensait pas un jour devenir ministre, qui plus est de l’Intérieur. Face à l’adversité, Raya Haffar El-Hassan a appris à se défendre. Contrairement à ses débuts, où elle hésitait à prendre la parole en public ou à parler aux médias, elle a su se forger une attitude et par contre-attaquer ses détracteurs. « Au sein du gouvernement, les discussions les plus violentes étaient avec les ministres Charbel Nahas et Gebrane Bassil. Mais les attaques n'étaient jamais personnelles. », assure-t-elle au même support. Idem au Parlement, où elle a pris le pli et ne pense plus qu’à défendre ses choix et ses convictions.
Dans les rouages du pouvoir
Si Raya Haffar El-Hassan n’a pas vraiment fait une carrière politique, elle a de l’énergie à revendre et des choix idéologiques à défendre. Convaincue que le modèle économique promu par le Courant du futur est le meilleur pour son pays, elle est aujourd’hui membre du bureau politique de ce mouvement. Sa récente nomination en tant que PDG de la zone économique spéciale à Tripoli, lui permettra de revenir souvent dans sa ville natale et de veiller à son développement. Cela dit, elle devra gérer des dossiers épineux comme le Hezbollah, la sécurité aux frontières et le million de réfugiés syriens. Mère de trois filles, Raya Haffar El-Hassan, avoue ne pas avoir du temps pour eux, mais veut « leur montrer que ce pays reste un ancrage et un avenir. » Il reste à espérer que ce gouvernement d’union nationale ne volera pas en éclats à la moindre discorde.